Règlement intérieur : quand la procédure disciplinaire devient une garantie de fond
11 décembre 2023
Par un arrêt du 13 septembre 2023 (n°21-25.830), la Cour de cassation a confirmé sa position selon laquelle le manquement de l’employeur à une règle interne de l’entreprise imposant, dans la lettre de convocation à l’entretien préalable, l’information du salarié des griefs retenus contre lui, constitue une garantie de fond.
En l’espèce, le règlement intérieur de l’entreprise comportait une clause selon laquelle «lorsque l’employeur envisage de prendre une sanction, il doit dans un premier temps convoquer le salarié à un entretien préalable par lettre recommandée ou remis en main propre en l’informant des griefs retenus contre lui (article L.122-41 du Code du travail). Suivra l’entretien préalable au cours duquel lui seront exposés les faits reprochés et ses explications retenues.»
Selon la cour d’appel, la clause du règlement intérieur ne contraignait pas l’employeur à détailler, au sein de la lettre de convocation à l’entretien préalable, les griefs reprochés au salarié, mais imposait seulement de l’informer desdits griefs.
Dans le cas précis, les juges du fond avaient considéré que la précision par l’employeur, au sein de la lettre de convocation à l’entretien préalable, de «faits particulièrement graves commis [par la salariée] dans l’exercice de [ses] fonctions», suffisait à remplir la condition d’information du salarié telle que posée par le règlement intérieur.
La Cour de cassation casse le raisonnement de la cour d’appel, en jugeant que la lettre de convocation à l’entretien préalable ne détaillait pas les faits reprochés à la salariée et ne répondait donc pas aux exigences du règlement intérieur. La Haute Cour en déduit qu’il revenait aux juges du fond de rechercher si cette omission n’avait pas privé la salariée de la possibilité de préparer utilement sa défense.
I. Rédaction des clauses du règlement intérieur par l’employeur : une prudence primordiale
Cet arrêt met l’accent sur l’importance des termes choisis par l’employeur lors de la rédaction du règlement intérieur de l’entreprise.
En tant que norme créatrice de droit, l’ajout de règles et/ou de conditions plus strictes que la loi au sein du règlement intérieur (dans la limite des domaines réservés au règlement intérieur) contraint l’employeur à en assurer le respect, sous peine d’annulation de la sanction prononcée à l’encontre du salarié.
Ce principe s’applique notamment aux règles procédurales encadrant la réalisation de tests d’alcoolémie ou de dépistage de drogue au sein de l’entreprise (1).
Dans la présente décision, le règlement intérieur décrivait la procédure à suivre en cas de mesure disciplinaire envisagée à l’encontre d’un salarié.
Alors que l’article L.1232-2 al.2 du Code du travail énonce que «la convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l’objet de la convocation», la clause du règlement intérieur de l’entreprise prévoyait que le salarié devrait être convoqué par l’employeur «à un entretien préalable par lettre recommandée ou remise en main propre l’informant des griefs retenus contre lui».
Si cette clause, lue rapidement, peut être perçue comme une simple reprise des dispositions légales, la réalité est, en fait, plus subtile. Au rôle classique de la lettre de convocation à l’entretien préalable de «seulement indiquer l’objet de l’entretien et non les motifs appuyant le licenciement» (2), le règlement intérieur ajoutait ici le but d’informer le salarié des griefs retenus contre lui.
Toute la difficulté résidait, en l’espèce, dans l’interprétation de l’étendue de l’information devant être délivrée au salarié.
Sur ce point, l’avis des juges du fond divergeait de celui des juges de la Cour de cassation, ces derniers retenant que la mention dans la lettre de convocation de «faits particulièrement graves» commis par la salariée ne permettait pas de l’informer des griefs retenus contre elle au sens du règlement intérieur.
Partant, la Cour de cassation donne une interprétation stricte des dispositions du règlement intérieur, et l’on peut en déduire que l’information du salarié devait en réalité nécessiter une explication détaillée des motifs retenus contre la salariée au sein du courrier de convocation, ce que n’avait pas fait l’employeur en l’espèce.
Or, dès lors que le règlement intérieur crée une condition supplémentaire à respecter au cours de la procédure disciplinaire, celle-ci s’impose à l’employeur bien qu’elle ne soit pas initialement prévue par la loi.
Cette règle n’est pas nouvelle et ne se limite pas aux dispositions du règlement intérieur. En effet, dans une décision précédente, la Cour de cassation a posé le principe selon lequel en présence de dispositions spécifiques d’une convention collective imposant, antérieurement à l’entretien préalable au licenciement pour motif disciplinaire, de notifier au salarié par écrit les motifs de la mesure qu’il envisage, l’employeur est contraint de préciser ces motifs de la sanction disciplinaire envisagée avant l’entretien préalable (3).
Cette solution ne s’étend pas, en revanche, aux règles fixées par un guide RH interne à une entreprise.
Ainsi, la méconnaissance par l’employeur de l’obligation posée par ce guide de mentionner la ou les fautes reprochées au sein de la convocation n’est, selon la Cour de cassation, pas de nature à affecter la validité du licenciement.
Selon les juges, ce guide «se borne à expliciter les règles de droit, à destination des délégataires du pouvoir disciplinaire en charge de les appliquer» et ne possède donc aucune valeur contraignante (4).
II. Conséquences du non-respect de la clause du règlement intérieur : la violation d’une garantie de fond
Dans sa décision du 13 septembre 2023, la Cour de cassation rappelle le principe bien ancré dans la jurisprudence selon lequel l’irrégularité commise dans le déroulement de la procédure disciplinaire prévue par une disposition conventionnelle ou un règlement intérieur est assimilée à la violation d’une garantie de fond.
Les juges distinguent depuis longtemps les règles de procédure assimilées à des garanties de fond de celles assimilées à des garanties de forme.
Tandis que la violation des premières, prévues pour renforcer les droits de la défense, rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse, le non-respect des secondes donne uniquement droit au salarié qui l’invoque à l’octroi des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.
La jurisprudence a ainsi pu caractériser :
⇒ Comme garantie de fond : l’obligation conventionnelle d’inviter le salarié à prendre connaissance de son dossier disciplinaire et de fournir des explications (5) ;
⇒ Et comme simple règle de forme : le défaut de signature du procès-verbal de réunion de la commission de conciliation de l’entreprise par l’ensemble de ses membres et de transmission de celui-ci au salarié à l’issue de la réunion (6).
Au cas d’espèce, l dispositions du règlement intérieur de nature à renforcer les droits de la défense en permettant au salarié de connaître les motifs de la sanction envisagée antérieurement à l’entretien préalable devaient, dès lors, s’analyser en une garantie de fond comme l’a jugé la Cour de cassation.
Au vu de la sanction applicable en cas de violation d’une garantie de fond, l’employeur doit être particulièrement vigilant sur la rédaction du règlement intérieur de l’entreprise.
En outre, le contenu du règlement intérieur obéissant déjà à un strict formalisme, prévoir au-delà des obligations textuelles applicables en la matière peut s’avérer risqué pour l’employeur qui manquerait alors à la norme qu’il édicte lui-même.
La maxime bien connue suivant laquelle «le mieux est l’ennemi du bien» est probablement à méditer dans cette affaire …
Auteurs
Vincent Delage, Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats
Ellyne Cluzet, Juriste, CMS Francis Lefebvre Avocats
(1) Cass. soc., 18 février 2016, n° 14-23.149
(2) Cass. soc., 14 novembre 2000, n° 98-44.117 ; Cass. soc., 13 mai 2009, n° 08-40.103
(3) Cass. soc., 9 janvier 2013, n° 11-25.646
(4) Cass. soc., 27 mai 2021, n° 19-16.117
(5) Cass. soc., 11 mars 2009, n° 08-40.453
(6) Cass. soc., 8 juillet 2020, n° 18-15.603
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