Directive sur le reporting de durabilité des sociétés (CSRD) : l’ordonnance de transposition est publiée
13 décembre 2023
L’ordonnance transposant la directive CSRD, relative aux obligations d’information en matière de durabilité du 14 décembre 2022 a été publiée le 7 décembre 2023 au Journal officiel. L’ordonnance fixe les conditions d’application en droit français des objectifs fixés par la directive.
Rappelons que le 16 décembre 2022, la Commission européenne a publié au Journal officiel de l’Union européenne une nouvelle directive du 14 décembre 2022, relative à la publication et à la certification d’informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d’entreprise des sociétés commerciales), qui est venu compléter le contenu de la directive NFRD (« Non Financial Reporting Directive ») adoptée en 2014 (1), en élargissant le champ des entreprises concernées et le contenu des informations à communiquer.
La loi 2023-171 du 9 mars 2023 (loi « Ddadue 3 ») avait habilité le Gouvernement à procéder à cette transposition par voie d’ordonnance avant le 9 décembre 2023.
Attendue depuis de long mois, l’ordonnance n°2023-1142 qui transpose la directive 2022/2464 du 14 décembre 2022 (« CSRD ») a été adoptée le 6 décembre 2023
L’objectif est désormais atteint ou presque car des textes sont encore attendus : un décret devant préciser les informations à publier en se référant aux textes européens et fixer les seuils applicables aux catégories d’entreprises et de groupes devrait être publié avant fin décembre pour mettre en œuvre ces mesures ; ainsi que plusieurs arrêtés.
Pour reprendre les mots du communiqué du Gouvernement : « cette ordonnance représente ainsi une évolution majeure des obligations de transparence en matière de durabilité. L’ensemble des parties prenantes des entreprises – investisseurs, salariés, clients, associations de la société civile – auront désormais un accès facilité à une information détaillée, standardisée et comparable au niveau européen, et faisant l’objet d’une certification indépendante. Une telle information est la condition nécessaire d’une prise en compte rationnelle des enjeux de durabilité dans les activités des entreprises et dans les choix les concernant ».
Une mise en cohérence des dispositions du code de commerce
L’ordonnance simplifie, réorganise et harmonise plusieurs dispositifs du code de commerce existant en matière de responsabilité sociale et environnementale des entreprises.
Elle permet ainsi d’éviter des redondances en termes de reporting, d’améliorer la cohérence du déclenchement des différentes obligations en créant des définitions communes de tailles de sociétés et de groupes, de faciliter la lisibilité des dispositifs, notamment en les rassemblant au sein d’une section commune aux différentes formes de sociétés.
Ces dernières sont regroupées, selon leur taille, en plusieurs catégories d’entreprises et de groupe. Sont ainsi définies la « micro-entreprise », la « petite entreprise », la « moyenne entreprise » et la « grande entreprise » (C. com., art. L230-1). De même, est défini le « petit groupe », le « moyen groupe » et le « grand groupe » d’entreprises (C. com., art. L. 230-2).
Une définition du rapport de durabilité
Le rapport de durabilité sera obligatoire dès l’exercice 2024 (publication en 2025) pour les sociétés cotées sur un marché réglementé qui dépassent certains seuils ou qui sont des sociétés mères d’un groupe dépassant ces seuils sur une base consolidée (nombre moyen de salariés supérieur à 500 ; total du bilan supérieur à 20 000 000 € ou chiffre d’affaires net supérieur à 40 000 000 €).
Seront par la suite concernées, selon un calendrier progressif, les grandes entreprises et les sociétés mères de grands groupes, y compris les sociétés par actions simplifiées et sociétés à responsabilité limitée (à compter de l’exercice 2025), les petites et moyennes sociétés cotées sur un marché réglementé (à compter de l’exercice 2026 avec un report possible sur option) et certaines entreprises établies hors de l’Union européenne.
Les autres dispositions de l’ordonnance entreront en vigueur, selon le cas, le 1er janvier 2024 (dispositions relatives aux commissaires aux comptes, notamment), le 1er janvier 2025, le 1er janvier 2026 ou le 6 janvier 2027.
L’ordonnance renforce les obligations de transparence en matière de durabilité des grandes entreprises, des petites et moyennes entreprises cotées en bourse, ainsi que, par un régime spécifique, des entreprises de pays tiers disposant d’une succursale ou d’une filiale en France.
Ces informations portent sur les enjeux sociaux, environnementaux et de gouvernance (ESG) et seront établies selon le principe dit de «double matérialité», qui conduit à refléter à la fois les incidences de l’activité de l’entreprise sur les enjeux de durabilité, mais aussi les incidences de ces enjeux sur l’entreprise. C’est le cœur de la dimension « RSE » de la Directive CSRD.
L’ordonnance vient ainsi définir le contenu du rapport de durabilité, en ce qu’il doit d’abord constituer une section distincte du rapport de gestion. Le nouvel article L.232-6-3 du Code de commerce le prévoit ainsi explicitement.
De même, il expose que les informations y figurant doivent permettre de « comprendre les incidences de l’activité de la société sur les enjeux de durabilité, ainsi que la manière dont ces enjeux influent sur l’évolution de ses affaires, de ses résultats et de sa situation. Les enjeux de durabilité comprennent les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernement d’entreprise ».
A cette fin, l’article renvoie à un futur décret en Conseil d’Etat le soin de préciser les éléments décrits par ces informations, les mentions à l’appui de celles-ci et leurs modalités de présentation.
Nul doute que le décret renverra aux normes adoptées par acte délégué de la Commission européenne, sur avis technique de l’European Financial Report Advisory Group (EFRAG).
Notons en ce sens que le premier acte délégué a été adopté le 31 juillet 2023. Il comprend la première série des normes d’information de durabilité, dites « ESRS », requises par la CSRD pour établir le rapport de durabilité. Il comprend une première série de 12 normes d’information de durabilité, sur la base des propositions faites par l’EFRAG (Annexe I de l’acte délégué).
Ces normes seront applicables dès l’exercice 2024 pour les sociétés concernées.
Elles sont non sectorielles, c’est-à-dire applicables à toutes les entreprises relevant du champ d’application de la CSRD, quels que soient les secteurs dans lesquels ces entreprises exercent leurs activités. Il est d’ailleurs prévu que la Commission européenne adopte également des normes sectorielles, ainsi que des normes simplifiées pour les PME cotées sur un marché réglementé.
Les deux premières ESRS sont des normes transversales (ESRS 1 : Exigences générales ; ESRS 2 : Informations générales à publier).
Elles définissent les principes généraux du reporting de durabilité prévus par la CSRD, notamment le principe de double matérialité (matérialité d’impact et matérialité financière), le périmètre du reporting de durabilité et les informations globales qui doivent être fournies par toutes les entreprises qui entrent dans le champ d’application de la CSRD.
Les dix autres normes ESRS sont des normes thématiques comprenant les exigences de reporting spécifiques pour les questions :
♦ environnementales :
• ESRS E1 : Changement climatique ;
• ESRS E2 : Pollution ;
• ESRS E3 : Ressources aquatiques et marines ;
• ESRS E4 : Biodiversité et écosystèmes ;
• ESRS E5 : Utilisation des ressources et économie circulaire),
♦ sociales :
• ESRS S1 : Effectifs de l’entreprise ;
• ESRS S2 : Travailleurs de la chaîne de valeur ;
• ESRS S3 : Communautés touchées ;
• ESRS S4 : Consommateurs et utilisateurs finaux)
♦ et de gouvernance :
• ESRS G1 : Conduite des affaires
L’ensemble des normes ESRS mentionné ci-dessus, leurs exigences de publication ainsi que leurs points de données sont soumises à l’analyse de matérialité (à l’exception toutefois des exigences d’information définies dans la norme ESRS 2 « Informations générales à publier » qui est d’application obligatoire).
En d’autres termes, les entreprises pourront se dispenser de la publication de certaines informations si elles peuvent démontrer que celles-ci, ou les enjeux attachés, n’ont aucun impact pour les parties prenantes ou ne créent ni risques ni opportunités pour l’entreprise (double matérialité).
Une obligation de certification des informations du rapport de durabilité
En outre, l’ordonnance demande à ce que les informations contenues dans le rapport de durabilité soient certifiées par un commissaire aux comptes ou par un organisme tiers indépendant accrédité.
Le Gouvernement a précisé que « ce choix assure (…) la cohérence et la continuité de la position française, qui avait demandé sa présence dans la directive [et]apporte aussi les avantages de la concurrence et de la diversification du marché aux entreprises ; elle permet au marché de s’enrichir de compétences dont la diversité est à la mesure de la diversité des thématiques de la durabilité ».
En conséquence, le régime d’exercice de la profession de commissaires aux comptes est modifié afin de permettre à ces derniers de prendre en charge l’audit des informations en matière de durabilité.
L’ordonnance encadre également cette nouvelle mission de certification, en appliquant aux professionnels qui la réalise des exigences et des garanties reprenant celles encadrant actuellement la certification des comptes.
L’ensemble des professionnels procédant à cette nouvelle mission seront supervisés par la Haute autorité de l’audit (H2A), que l’ordonnance fait succéder au Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C) en en adaptant l’organisation.
On le voit, le mouvement des obligations de reporting et de transparence en matière de durabilité est donc définitivement lancé en droit français. Encore quelques semaines et la publication des textes réglementaires offrira aux entreprises l’ensemble du corpus applicable.
Il faut désormais s’en saisir et s’y familiariser ; ce qui sera loin d’être la tâche la plus aisée.
(1) Dir. 2014/95/UE du 22-10-2014
AUTEUR
Damien Chatard, Avocat senior, docteur en droit, CMS Francis Lefebvre Avocats
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