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Contentieux : une réforme de la procédure d’appel applicable à compter du 1er septembre 2024

Contentieux : une réforme de la procédure d’appel applicable à compter du 1er septembre 2024

Après avoir favorisé le règlement amiable des litiges en première instance par un décret du 29 juillet 2023, le ministère de la Justice a clos l’année 2023 par la publication le 29 décembre 2023 d’un décret portant simplification de la procédure d’appel en matière civile.

 

Cette réforme s’appliquera notamment aux appels formés contre les jugements rendus par les conseils de prud’hommes, mais aussi par le tribunal judiciaire en matière de conflits collectifs du travail. Elle est donc susceptible d’influencer la conduite des litiges auxquels sont confrontées les directions des ressources humaines. Nous faisons le point sur les nouveautés de cette réforme.

 

Une réforme bienvenue

 

Depuis le décret n°2017-891 du 6 mai 2017, la procédure d’appel est complexe et recèle de nombreux points de vigilance procédurale qui ont donné du fil à retordre aux praticiens du droit. Leurs clients s’en trouvent directement impactés puisque d’excellents dossiers au fond ont ainsi pu être définitivement perdu pour des raisons strictement procédurales.

 

La réforme engagée en 2017 a notamment eu un véritable impact en matière de litiges individuels du travail. En effet, la procédure devant le conseil de prud’hommes est relativement souple, les parties n’étant pas obligées d’être représentées par un avocat. Cependant 60% des jugements rendus par les conseils de prud’hommes font l’objet d’un appel, pour lequel la procédure devient soudainement, depuis 2017, beaucoup plus difficile à maîtriser.

 

Cette rigidité de la procédure d’appel a été souvent critiquée puisqu’elle conduit les avocats à un formalisme excessif, dont la pertinence et la finalité ne sont pas toujours aisées à trouver. L’oubli de parfois seulement quelques mots au sein d’une déclaration d’appel ou de conclusions est ainsi susceptible de conduire au rejet de la procédure d’appel engagée, indépendamment des arguments de fond et du caractère potentiellement très critiquable de la décision rendue par les premiers juges.

 

La publication d’un décret de simplification de la procédure d’appel était donc attendue, et c’est désormais chose faite avec le décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023. Celui-ci ne s’appliquera qu’aux appels formés à compter du 1er septembre 2024. Les procédures en cours ou celles qui s’engageraient avant septembre 2024 ne seront donc pas impactées.

 

Toutefois, si ce décret procède à une importante réécriture formelle des normes applicables, force est de constater que la procédure rigide que nous connaissons n’est en réalité qu’assez peu modifiée.

 

Une réorganisation et une réécriture des normes

 

Sur le plan strictement formel, plutôt qu’à une modification des articles actuellement en vigueur, le décret du 29 décembre 2023 procède à une réécriture totale des articles du Code de procédure civile. Néanmoins, cette réécriture se fait pour l’essentiel à droit constant.

 

Certains articles sont ainsi réécrits à l’identique, avec la même numérotation, tandis que d’autres voient seulement leur numérotation être modifiée.

 

Cette réécriture supprime également les références qui étaient faites, dans le cadre des dispositions relatives à la procédure d’appel, à la procédure de première instance, sans pour autant modifier le régime applicable.

 

Par exemple, les articles actuels relatifs à la rédaction de la déclaration d’appel énonçaient que celle-ci devait mentionner certaines informations qui figuraient dans d’autres articles du Code de procédure civile. La référence à ces articles est supprimée mais les mentions qui y figurent sont directement reprises dans le texte relatif à la déclaration d’appel.

 

De même, le rôle du conseiller de la mise en état est précisé. Rappelons que celui-ci est le magistrat en charge d’instruire le dossier avant qu’il ne soit jugé. Les dispositions actuelles précisent qu’il exerce les mêmes missions que le juge de la mise en état devant le tribunal judiciaire. Avec la réforme, ce renvoi est supprimé : les nouveaux textes précisent directement les missions du conseiller de la mise en état tout en reprenant à l’identique ses attributions antérieures.

 

Ainsi, sur ces points, la rédaction du texte est certes modifiée mais le régime juridique reste identique.

 

Dans le même ordre d’idée, le décret clarifie l’organisation des dispositions s’agissant de la distinction entre procédure à bref délai et procédure classique.

 

Il faut en effet rappeler qu’en matière de procédure avec représentation obligatoire (ce qui concerne tous les litiges du travail), deux « sous-procédures » coexistent : la procédure classique et la procédure dite à bref délai qui s’applique lorsque le litige justifie une certaine célérité.

 

La procédure à bref délai prévoit ainsi des délais plus courts et s’applique lorsque le litige présente une certaine urgence, ce qui est soit spécifique au litige en cause, soit systématique du fait de la nature de la procédure engagée.

 

En matière de droit du travail, la procédure à bref délai s’applique par exemple aux appels formés à la suite d’une procédure de référé engagée par un salarié devant le conseil de prud’hommes, à une procédure de référé engagée par un syndicat devant le tribunal judiciaire, ou encore aux procédures de prorogation des délais de consultation du CSE.

 

Dans les dispositions actuelles, les textes relatifs à la procédure à bref délai se trouvent mêlés à ceux de la procédure classique. La réforme opère une réorganisation des articles afin de très clairement distinguer les deux procédures : celle à bref délai et celle avec mise en l’état.

 

Sur ces points comme sur d’autres, la réforme procède donc à une simplification du texte, mais pas une simplification de la procédure.

 

Le décret apporte néanmoins plusieurs changements substantiels à la procédure applicable dont on retiendra principalement un léger assouplissement des délais.

 

Un assouplissement des délais

 

Depuis 2017, outre le formalisme des actes, la procédure d’appel est soumise à des délais particulièrement stricts.

 

En procédure classique, l’appelant dispose actuellement d’un délai de trois mois pour conclure. S’il ne le fait pas, ou s’il remet des conclusions que la cour d’appel n’estime pas recevables, sa déclaration d’appel est caduque et le jugement devient alors définitif.

 

Son adversaire dispose également d’un délai de trois mois pour conclure et éventuellement former appel incident, sous peine d’irrecevabilité de l’intégralité de ses conclusions et pièces.

 

En procédure à bref délai, le droit actuel prévoit que les délais de conclusions sont raccourcis à un mois pour chaque partie, sous les mêmes sanctions.

 

La réforme du 29 décembre 2023 procède à deux importants changements.

 

Premièrement, en procédure à bref délai, les délais pour conclure seront allongés à deux mois. Cela semble pleinement justifié dans la mesure où la complexité des dossiers ne rendait pas toujours aisé d’établir des conclusions dans un délai aussi court qu’un mois.

 

Deuxièmement, les parties pourront désormais solliciter un allongement des délais dont elles disposent pour conclure dans les procédures avec mise en état et à bref délai

 

Le futur régime ne prévoit toutefois pas d’automaticité à cet allongement dont l’opportunité demeure à l’appréciation du magistrat. Cela semble justifié afin d’éviter que toutes les procédures d’appel ne voient leurs délais allongés, mais cela aura aussi l’inconvénient d’ouvrir la voie à des divergences d’application selon les cours d’appel, voire au sein même d’une cour d’appel selon les chambres.

 

Malgré cet assouplissement des délais, les sanctions de caducité ou d’irrecevabilité sont à quant à elles conservées. La rigidité en cas de non-respect d’un délai est donc totalement maintenue.

 

D’autres nouveautés tendant à une simplification

 

Outre l’assouplissement des délais, le décret apporte également plusieurs autres nouveautés dans une optique de clarification et de rationalisation de la procédure.

 

Premièrement, la notion d’indivisibilité du litige est supprimée. Les contentieux du travail n’en seront pas impactés puisque cette notion ne s’y appliquaient, à notre connaissance, jamais.

 

De plus, il devient désormais possible pour l’appelant de compléter sa déclaration d’appel par ses premières conclusions, en particulier s’agissant de la mention des chefs de jugement critiqués.

 

Rappelons en effet qu’au terme d’une jurisprudence remarquée et depuis abondamment appliquée et critiquée, la Cour de cassation a jugé que lorsque la déclaration d’appel ne mentionne pas un chef de jugement critiqué, l’effet dévolutif n’opère pas, de sorte que la cour d’appel n’en est tout simplement pas saisie (Cass. civ. 2, 30 janvier 2020, n°18-22.528).

 

Prenons l’exemple d’un employeur condamné par le conseil de prud’hommes à verser à son ancien salarié, d’une part un rappel de prime variable, d’autre part des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Si l’employeur ne mentionne dans la déclaration d’appel que la condamnation au titre du variable, alors la déclaration d’appel n’opère aucun effet dévolutif s’agissant du licenciement de sorte que la condamnation prononcée en première instance devient définitive.

 

Il peut néanmoins, en l’état actuel, rectifier cette déclaration d’appel par une déclaration d’appel rectificative dans le délai de trois mois dont il dispose pour conclure.

 

Après la réforme, cette modification pourra également intervenir par voie de conclusions et non plus seulement par une déclaration d’appel rectificative, ce qui évitera à l’avenir de multiplier les actes de procédure.

 

La réforme ambitionne également d’accélérer la mise en état des parties, c’est-à-dire leurs échanges de conclusions nouvelles en réponse après les délais impératifs dont elles disposent pour déposer leurs premières conclusions.

 

S’agissant de la procédure à bref délai, cela passera par la possibilité d’une passerelle vers la procédure avec mise en état. Si le président estime ainsi que les parties ne sont pas en état dans le cadre de la procédure accélérée car les échanges de conclusions s’éternisent, il peut renvoyer d’office l’affaire en procédure classique ce qui leur fera perdre de nombreux mois avant d’obtenir une date d’audience.

 

Concernant la procédure avec mise en état, cela passera par la possibilité pour le conseiller de la mise en état de rendre une ordonnance de clôture partielle à l’égard d’une partie. Outre les délais absolument impératifs de trois mois pour conclure, le conseiller de la mise en état peut en effet imposer d’autres délais de communication ultérieurs pour les réponses de chaque partie aux conclusions adverses.

 

Désormais, lorsqu’une partie ne respectera pas ce délai, le conseiller de la mise en état pourra lui interdire de produire toute nouvelles conclusions ou pièces par une clôture qui ne la concernera qu’elle.

 

Ces nouveautés incitent ainsi à ne pas multiplier les échanges de conclusions et surtout à respecter les délais fixés par le conseiller de la mise en état.

 

Si elles conduisent certes à une rationalisation de la procédure d’appel, il semble que cette simplification bénéficie plus aux magistrats qu’aux parties et à leurs avocats qui se verront plus sévèrement sanctionnés en cas de multiplication des échanges de conclusions.

 

Ce sentiment est renforcé par de nouvelles exigences apportées par la réforme.

 

De nouvelles exigences procédurales

 

Bien que le décret ambitionne à une simplification de la procédure d’appel, deux nouveautés nous paraissent être au contraire source de complexification.

 

Premièrement, dans le cadre de la procédure à bref délai, la réforme redéfinit les pouvoirs du président de chambre. Jusqu’à présent, dans le cadre de cette procédure accélérée, les difficultés procédurales (caducité de l’appel, irrecevabilité, etc.) pouvaient être tranchées par le président ou par la cour et les parties pouvaient donc développer leurs éventuels arguments de procédure dans les mêmes conclusions que celles qui concernent le fond du litige.

 

Désormais, le président de chambre sera seul compétent pour trancher l’essentiel des questions de procédure et devra être saisi pour cela par des conclusions distinctes. Autrement dit, là où auparavant les avocats pouvaient n’établir qu’un seul jeu de conclusions, ils devront désormais impérativement en rédiger deux. Cela ne va clairement pas dans le sens d’une simplification.

 

Deuxièmement, le décret renforce également les exigences en matière de rédaction des conclusions.

 

Il faut au préalable rappeler que les conclusions d’appel comprennent impérativement un dispositif récapitulant les prétentions des parties. Par ailleurs, la procédure d’appel impose un principe de concentration des prétentions qui oblige les parties à soulever l’intégralité de leurs prétentions dès les premières conclusions.

 

La rédaction du dispositif des premières conclusions doit donc être particulièrement vigilante, puisque la partie qui n’aurait pas soulevé une demande sera irrévocablement irrecevable à le faire par la suite.

 

Ce principe de concentration est maintenu par la réforme, et même renforcé.

 

En effet, outre les prétentions au fond, le dispositif des conclusions devra désormais énoncer expressément l’ensemble des chefs de jugement critiqués. Jusqu’à présent, seule la déclaration d’appel devait mentionner ces chefs de jugement, cette exigence n’étant pas reprise pour les conclusions.

 

Pour reprendre l’exemple précédent, l’employeur condamné en première instance au titre de la rémunération variable et du licenciement devait dans le cadre de sa déclaration d’appel mentionner ces deux condamnations s’il entendait les contester. Cependant, dans le cadre de ses conclusions il pouvait se contenter de solliciter l’infirmation du jugement, sans redétailler les deux condamnations contestées.

 

Avec la réforme, il faudra également que les conclusions mentionnent les deux condamnations, imposant ainsi un nouveau formalisme rigoureux.

 

En conclusion, la simplification de la procédure d’appel tant attendue n’a finalement pas eu lieu. Le décret de simplification permet certes quelques assouplissements, mais l’essentiel des exigences de rédaction et de délai en appel est maintenu, sous peine des mêmes sanctions particulièrement strictes.

 

Ce décret de simplification semble ainsi simplifier essentiellement la rédaction du Code de procédure civile (ce qui est bienvenu) plus que la procédure elle-même.

 

Ajoutons enfin que la multiplication des réformes en matière de procédure civile complexifie la tâche des avocats qui doivent sans cesse adapter leurs pratiques à de nouveaux textes.

 

Or, cette complexification de la procédure civile impacte au premier plan les justiciables eux-mêmes, qui voient ainsi parfois leur litige totalement leur échapper pour des exigences procédurales.

 

Auteurs

Damien Decolasse, Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats

Martin Perrinel, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats