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Obligation de reclassement et cause économique : à chacune son périmètre

Obligation de reclassement et cause économique : à chacune son périmètre

Dans un arrêt du 8 novembre 2023 (1), la Cour de cassation a réaffirmé que le périmètre de l’obligation de reclassement n’est pas limité aux sociétés du groupe appartenant au même secteur d’activité que l’employeur. Ce faisant, la Haute Juridiction confirme une jurisprudence ancienne selon laquelle le périmètre de l’obligation de reclassement ne se confond pas avec celui servant à l’appréciation de la cause économique.

 

Rappel des faits et de la procédure

 

En l’espèce, un salarié magasinier vendeur est licencié pour motif économique le 29 janvier 2018. Il saisit la juridiction prud’homale afin de contester son licenciement.

 

L’employeur, une société de négoce, appartient à un groupe composé de quatre autres sociétés, ayant quant à elles une activité de réalisation de travaux.

 

En appel, le salarié fait notamment valoir que l’employeur aurait dû rechercher un poste de reclassement dans toutes les sociétés du groupe entre lesquelles la permutabilité du personnel était possible, même si ces dernières opéraient sur un secteur d’activité différent.

 

La cour d’appel a suivi l’argumentation développée par l’employeur et a jugé que la société n’avait pas à rechercher de poste de reclassement au sein des quatre autres sociétés du groupe ayant pour activité la réalisation de travaux, au motif que ces sociétés avaient un secteur d’activité différent.

 

Le juge d’appel a donc retenu, pour l’application de l’obligation de reclassement, le même périmètre que celui utilisé pour apprécier les difficultés économiques mises en exergue par l’employeur.

 

Considérant que la réalité des difficultés économiques invoquées par l’employeur était établie et que ce dernier avait respecté son obligation de reclassement dans le périmètre ainsi défini, la cour d’appel a jugé que le licenciement pour motif économique du salarié était fondé sur une cause réelle et sérieuse.

 

Le salarié forme alors un pourvoi, invitant la Cour de cassation à se prononcer sur la pertinence du critère du secteur d’activité pour l’appréciation du périmètre de l’obligation de reclassement défini à l’article L.1233-4 du Code du travail.

 

L’introduction d’une définition légale du périmètre de l’obligation de reclassement

 

Lorsqu’une entreprise envisage de procéder à un licenciement pour motif économique, elle est tenue de procéder, en amont, à une recherche de poste de reclassement en interne.

 

Lorsque l’entreprise n’appartient pas à un groupe, le périmètre de l’obligation de reclassement est celui de l’entreprise en question. En revanche, lorsque l’entreprise appartient à un groupe, il convient de déterminer le périmètre dans lequel l’obligation de reclassement devra être mise en œuvre.

 

La question de la définition du groupe au sens de l’obligation de reclassement était à l’origine peu règlementée par la loi. En 2002, le législateur a introduit l’obligation de reclassement dans le Code du travail, consacrant ainsi la solution jurisprudentielle selon laquelle la recherche s’opère dans le cadre de l’entreprise ou, le cas échéant, dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient (2).

 

Jusqu’à l’adoption des ordonnances «Macron» en 2017, il convenait donc se reporter aux solutions dégagées par la Cour de cassation pour déterminer quelles étaient les entreprises du groupe qui entraient dans le périmètre de l’obligation de reclassement.

 

Sur ce point, la Cour de cassation considérait, de longue date, que les possibilités de reclassement doivent être recherchées parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation leur permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel (3).

 

En application de ce critère de « permutabilité », l’appartenance, ou non, des entreprises du groupe au même secteur d’activité que l’employeur était indifférent (4).

 

Selon cette interprétation, le périmètre de l’obligation de reclassement se distingue de celui de la cause économique, qui est apprécié au sein des entreprises du groupe appartenant au même secteur d’activité que l’employeur. La Cour de cassation a confirmé que le juge peut donc retenir un périmètre distinct pour l’appréciation de chacun de ces deux éléments (5).

 

Depuis une ordonnance du 22 septembre 2017 (6), l’article L.1233-4 alinéa 1er du Code du travail, dispose dorénavant que :

 

« Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. »

 

Le texte reprend ainsi le critère précédemment dégagé par la Cour de cassation, à la différence que :

 

L’alinéa 1 vise les entreprises dont l’activité, l’organisation ou le lieu d’exploitation « assurent » la permutation de tout ou partie du personnel, là où la jurisprudence exigeait que ces mêmes éléments « permettent d’effectuer » une telle permutation (7).

 

L’alinéa 2 introduit une définition capitalistique du groupe au sens de l’obligation de reclassement, en opérant un renvoi à la définition du groupe au sens du comité de groupe, qui repose sur les critères fixés par les articles L.233-1, L.233-3 I et II, et L.233-6 du Code de commerce.

 

Il s’agit ici d’une évolution importante, puisque c’est uniquement entre les entreprises du groupe au sens du Code de commerce qu’il convient de vérifier si la condition de permutation est satisfaite.

 

Cette définition constitue donc une première délimitation du périmètre de l’obligation de reclassement.

 

Il est intéressant d’ailleurs de souligner qu’en appel, le périmètre du groupe au sens capitalistique est discuté par l’employeur qui tente par ce premier biais de réduire le périmètre de l’obligation de reclassement.

 

Devant la Cour de cassation, la question des liens capitalistiques entre les sociétés du groupe, pourtant fondamentale, n’a pas été discutée.

 

La question portait donc uniquement sur le fait de savoir si l’interprétation jurisprudentielle de l’ancien critère de permutabilité, selon laquelle le secteur d’activité est inopérant, est transposable à la nouvelle définition légale de l’obligation de reclassement.

 

Confirmation : le périmètre légal de l’obligation de reclassement n’est pas limité aux sociétés du groupe relevant du même secteur d’activité

 

Dans le cadre de l’arrêt commenté, rendu au visa de l’article L.1233-4 du Code du travail, la Cour de cassation reprend la solution qu’elle avait précédemment dégagée, en réaffirmant que :

 

« Le périmètre à prendre en considération pour l’exécution de l’obligation de reclassement se comprend de l’ensemble des entreprises du groupe dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation leur permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel, peu important qu’elles appartiennent ou non à un même secteur d’activité ».

 

La cour d’appel ne pouvait donc pas retenir que les sociétés avaient un secteur d’activité différent, pour considérer que la condition de permutabilité n’était pas satisfaite, de tels motifs étant insuffisants.

 

Par conséquent, la décision de la cour d’appel, qui opérait une confusion entre le critère de la permutabilité servant à l’appréciation de l’obligation de reclassement, et celui du secteur d’activité servant à l’appréciation de la cause économique, est censurée.

 

Pour l’employeur appartenant à un groupe de société, cette distinction implique d’avoir éventuellement à rechercher des postes de reclassement dans un périmètre plus large que celui retenu pour l’appréciation de la cause économique.

 

Cette solution ne surprend pas, dès lors qu’aux termes de l’article L.1233-4 du Code du travail, comme le prévoyait déjà la jurisprudence, la permutabilité des membres du personnel des sociétés d’un même groupe peut s’apprécier alternativement, au regard de leurs activités, mais également, de leur organisation ou de leur lieu d’exploitation.

 

Selon une lecture littérale du texte, il n’y avait donc pas lieu de restreindre le champ de la recherche des postes de reclassement aux entreprises du groupe ayant le même secteur d’activité.  

 

La notion d’activité utilisé comme indice pour apprécier la permutabilité du personnel et définir le périmètre de l’obligation de reclassement, ne se confond pas avec celui du secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement (8).

 

En revanche, à l’évidence, selon le poste occupé par le salarié concerné par un licenciement, l’activité des autres entreprises du groupe peut avoir plus ou moins d’importance. Ainsi par exemple, pour une assistante de direction, l’activité de l’entreprise n’a pas la même importance que pour un ingénieur qui serait spécialisé dans un domaine très spécifique.

 

Il est toutefois intéressant de noter que, dans son attendu de principe, la Cour de cassation ne reprend pas mot pour mot la notion de permutabilité au sens de l’article L.1233-4 du Code du travail.

 

En effet, à la différence de la formulation traditionnelle du principe édicté par la Haute juridiction, la disposition légale vise les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation « assurent » la permutation de tout ou partie du personnel (et non « permettent d’effectuer »).

 

Pourtant, le changement de rédaction semblait annoncer un durcissement dans l’appréciation de la permutation.

 

En effet, en utilisant le verbe « assurer » au lieu de la formule « permettre d’effectuer », la loi semble exiger une permutation effective entre les entreprises du groupe, et plus seulement possible.

 

La solution de la Cour de cassation laisse au contraire penser que la définition jurisprudentielle et la définition légale du critère de permutabilité se valent.

 

La cour d’appel de renvoi pourrait toutefois utiliser cet argument de texte pour limiter le périmètre de l’obligation de reclassement, auquel cas il serait intéressant de voir comment une permutation «concrète» devrait, à son sens, se matérialiser.

 

Au cas particulier, plusieurs éléments laissaient penser que la permutabilité était effectivement possible au sein des entreprises du groupe.

 

En effet :

 

Le salarié avait été embauché par la société Brel en qualité de responsable de magasin, puis son contrat avait été transféré au sein de la société Brel Distribution.

 

A la suite du transfert de son contrat de travail au sein de la société Brel Distribution, le salarié faisait toujours des livraisons pour le compte de la société Brel et aidait le magasinier de cette dernière.

 

Reste à déterminer si ces éléments suffiront à faire constater un manquement de l’employeur à son obligation de reclassement, de nature à priver le licenciement pour motif économique de cause réelle et sérieuse.

 

Auteurs

Laura Sultan, Avocate Counsel, CMS Francis Lefebvre Avocats

Ludivine Carlet, Juriste, CMS Francis Lefebvre Avocats

 

(1) Cass. soc., 8 novembre 2023, n°22-18.784, Publié au bulletin
(2) Loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 – art 108, ayant modifié l’ancien article L. 321-1 du Code du travail
(3) Cass. soc., 5 avril 1995, n°93-42.690 ; Cass. soc., 13 janvier 2016, n°14-21.672
(4) Cass. soc., 13 décembre 2011, n°10-21.745
(5) Cass. soc., 5 avril 1995, n°93-42.690
(6) Ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 – art. 16, modifiant l’article L.1233-4 du Code du travail
(7) Cass. soc., 5 avril 1995, n°93-42.690 ; Cass. soc., 13 janvier 2016, n°14-21.672
(8) Article L.1233-3 alinéa 5 du Code du travail : Le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.