Garantie de rémunération de certains représentants élus et syndicaux : les précisions de la Cour de cassation !
1 février 2024
La loi n°2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, dite «Loi Rebsamen», a institué, au profit de certains représentants du personnel ou syndicaux – dont le nombre d’heures de délégation sur l’année dépasse 30% de la durée du travail fixée dans leur contrat de travail ou, à défaut, de la durée applicable dans l’établissement – une garantie d’évolution de rémunération, sur le modèle de celle qui a été instituée pour les salariées revenant de congé maternité.
Cette mesure vise, selon l’exposé des motifs de la loi, à lutter contre la pénalisation des représentants du personnel et syndicaux en matière de rémunération du fait des conséquences financières de l’exercice du mandat sur leur carrière et à valoriser leur parcours professionnel.
Du point de vue des modalités de mise en œuvre de cette garantie d’évolution de la rémunération, il ressort des termes de l’article L.2141-5-1 du Code du travail que :
⇒ C’est à l’accord collectif de branche ou d’entreprise qu’il appartient de déterminer les garanties d’évolution de la rémunération de ces salariés, dans des conditions au moins aussi favorables que celles qui s’appliquent à défaut d’accord ;
⇒ A défaut d’accord, ces salariés doivent bénéficier d’une évolution de rémunération au moins égale, sur l’ensemble de la durée de leur mandat :
-
- aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant cette période par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l’ancienneté est comparable ;
-
- ou, à défaut de tels salariés, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l’entreprise.
C’est précisément sur les modalités d’application de cette garantie, en l’absence d’accord collectif, que s’est prononcée, pour la première fois, la Cour de cassation par une décision en date du 20 décembre 2023 (n°22-11.676).
Faits d’espèce
Dans cette affaire, un salarié, titulaire de plusieurs mandats syndicaux et électifs et cumulant un crédit d’heures supérieur au tiers de la durée totale de son temps de travail, avait bénéficié d’une évolution de sa rémunération calculée, à la fin de son mandat, au regard d’une moyenne des points attribués, par comparaison, à un panel de salariés pendant la durée du mandat.
Estimant que cette pratique était constitutive d’une discrimination syndicale, un syndicat exerçant l’action par substitution, à la place du salarié, avait saisi la juridiction prud’homale pour obtenir la condamnation de l’employeur au paiement d’un rappel de salaire sur la base de 14 points de compétence à allouer au salarié, ainsi que des dommages-intérêts.
Débouté en première instance et en appel, le syndicat s’est pourvu en cassation.
Or, la Cour de cassation censure la décision des juges du fond en apportant deux précisions importantes relatives aux modalités de mise en œuvre de la garantie légale de rémunération :
-
- du point de vue de sa date d’appréciation ;
-
- et s’agissant du panel de salariés à prendre en considération.
Date d’appréciation du versement de la garantie de rémunération
Dans un premier temps, la Cour de cassation se prononce sur l’interprétation des dispositions issues de l’article L.2141-5-1 du Code du travail précisant que cette garantie s’apprécie «sur l’ensemble de la durée de leur mandat».
En l’espèce, l’employeur avait procédé au calcul et au versement de la garantie d’évolution de la rémunération à l’issue du mandat, au regard de la moyenne des attributions de points à un panel de salariés sur toute la période du mandat. Suivant cette méthode, il avait été octroyé au salarié concerné trois points de compétence à la fin de ses mandats.
La cour d’appel avait approuvé cette interprétation.
Dans son pourvoi, le syndicat soutenait, au contraire, que cette garantie aurait dû s’apprécier pour chaque année et non à la fin du mandat.
La Cour de cassation était donc invitée à se prononcer sur la date d’application de la garantie et, plus précisément, sur le point de savoir s’il y avait lieu d’apprécier la garantie :
⇒ à la fin du mandat et, ainsi, de prendre en compte les moyennes des augmentations attribuées sur toute la durée de celui-ci, comme les termes de l’article L.2141-5-1 du Code du travail peuvent le laisser supposer ;
⇒ ou à la fin de chaque année d’exercice du mandat.
La Cour de cassation opte pour la seconde interprétation et rejette ainsi la solution retenue par la cour d’appel en considérant :
«qu’en l’absence d’accord collectif de branche ou d’entreprise déterminant des garanties d’évolution de la rémunération des salariés mentionnés à l’article L.2141-5-1 du Code du travail au moins aussi favorables, la comparaison de l’évolution de leur rémunération, au sens de l’article L.3221-3 de ce code, au moins égale aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant cette période par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l’ancienneté est comparable ou, à défaut de tels salariés, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l’entreprise, doit être effectuée annuellement ».
Pour justifier cette solution privilégiant une appréciation de la garantie de rémunération chaque année, la Cour de cassation s’est expressément référée au caractère annuel de l’indemnité de congés payés, mais aussi des forfaits en heures et, enfin, de la périodicité de la négociation sur les salaires.
Concrètement, il appartient donc à l’employeur de vérifier chaque année, au cours de l’exercice du mandat, que le salarié a bien bénéficié d’une évolution de rémunération au moins égale aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l’ancienneté est comparable au titre de l’année considérée.
Calcul de la garantie par comparaison avec un panel de salariés
Dans un second temps, la Cour de cassation se prononce sur l’interprétation des dispositions issues de l’article L.2141-5-1 du Code du travail se référant, pour le calcul de la garantie, aux «salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l’ancienneté est comparable».
En l’espèce, l’employeur, pour appliquer la garantie, avait établi un panel de comparaison composé de salariés :
-
- relevant du même coefficient que le représentant du personnel en cause au regard de la classification de l’entreprise ;
-
- mais occupant des emplois de natures très différentes et dans des tranches fixes d’ancienneté de cinq années, par exemple de 16 à 20 ans ou de 21 à 25 ans.
La cour d’appel avait approuvé cette méthode en relevant que la détermination d’un tel panel et la fixation d’une tranche d’ancienneté de cinq ans n’étaient pas dénuées de pertinence et s’analysaient donc en des éléments objectifs de nature à justifier l’absence de toute discrimination syndicale.
Le syndicat considérait néanmoins, dans le cadre de son pourvoi, que l’employeur aurait dû ne pas inclure dans ce panel des salariés qui, bien que classés au même niveau, occupaient des emplois de natures différentes et qu’il ne pouvait se référer à des tranches d’ancienneté de 5 ans.
Pour écarter la solution de la cour d’appel et faire droit à l’argumentaire du salarié, la Haute Juridiction considère qu’au sens de l’article L.2141-5-1 du Code du travail :
«les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l’ancienneté est comparable sont ceux qui relèvent du même coefficient dans la classification applicable à l’entreprise pour le même type d’emploi, engagés à une date voisine ou dans la même période».
Au soutien de cette solution, la Cour de cassation se fonde sur :
⇒ Le dispositif de garantie d’évolution de la rémunération bénéficiant aux femmes de retour de leur congé maternité ( C. trav., art. L.1225-26) pour lequel une circulaire d’application de ce texte (circulaire DGT du 19 avril 2007) précise que les salariés de la même catégorie professionnelle au sens de l’article L.1225-26 sont ceux qui relèvent du même coefficient dans la classification applicable à l’entreprise pour le même type d’emploi;
⇒ Certaines décisions jurisprudentielles suivant lesquelles la comparaison concernant le déroulement de carrière doit être faite avec d’autres salariés d’ancienneté comparable, c’est-à-dire engagés à une date voisine ou dans la même période (Cass. soc., 24 octobre 2012, n°11-12.295 ; Cass. soc., 7 novembre 2018, n°16-20.759).
Concrètement, la cour d’appel aurait dû rechercher si les salariés relevant de la même catégorie professionnelle inclus dans le panel de comparaison produit par l’employeur étaient bien ceux qui relèvent du même coefficient dans la classification applicable à l’entreprise pour le même type d’emploi, engagés à une date voisine ou dans la même période. L’affaire est donc renvoyée devant une autre cour d’appel qui devra procéder à cette recherche.
Par cette décision, la Cour de cassation donne, pour la première fois, un « mode d’emploi » aux entreprises pour l’application de la garantie de rémunération instaurée par la loi au profit des titulaires de mandats électifs ou syndicaux dont le nombre d’heures de délégation dépasse 30% de la durée du travail.
Un certain nombre de questions restent néanmoins en suspens qu’il s’agisse de l’appréciation :
-
- du « même type d’emploi » ;
-
- de la notion d’ancienneté « comparable », qui renvoie aux salariés engagés à une « date voisine ou dans la même période » ;
-
- du calcul de «la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l’entreprise».
Les entreprises doivent donc faire preuve de la plus grande vigilance dans l’application de ces principes pour éviter tout risque d’action en discrimination syndicale.
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