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Mise à pied disciplinaire d’un salarié protégé : l’employeur retrouve son pouvoir disciplinaire

Mise à pied disciplinaire d’un salarié protégé : l’employeur retrouve son pouvoir disciplinaire

La mise à pied disciplinaire d’un salarié protégé n’était pas chose aisée pour l’employeur. Cependant, grâce aux décisions récentes de la Cour de cassation, ce dernier retrouve une simplicité d’action.

 

En effet, la Cour juge que la mise à pied disciplinaire d’un salarié protégé n’est pas subordonnée à son accord, car elle ne constitue ni une modification du contrat de travail ni un changement des conditions de travail (Cass. soc., 11 déc. 2024, n° 23-13.332 ; Cass. soc., 11 déc. 2024, n° 23-14.178).

 

A titre liminaire, rappelons que la chambre sociale de la Cour de cassation a construit une protection exorbitante du droit commun en considérant qu’il ne pouvait être imposé à un salarié protégé ni une modification de son contrat de travail, ni même un changement de ses conditions de travail (en ce sens : Cass, soc., 3 mars 1999, n°96-45.306 ; Cass. soc., 23 septembre 2012, n°90-45.106 ; Cass. soc., 15 février 2023, n°21-20.572), alors même que les salariés non-protégés ne pouvaient refuser un tel changement.

 

Néanmoins, l’application de ces règles à la mise à pied disciplinaire était sujette à controverse.

 

Dans une décision ancienne, la Cour de cassation avait implicitement laissé sous-entendre que la mise à pied disciplinaire pouvait être assimilée à une modification du contrat de travail lorsqu’elle entraînait une perte de rémunération – même temporaire – de sorte que la sanction ne pouvait s’appliquer qu’en l’absence de refus du salarié protégé (Cass, soc., 23 juin 1999, n°97-41.121).

 

En cas de refus, il appartenait donc à l’employeur, s’il l’estimait justifié, d’engager une procédure de licenciement et de solliciter l’autorisation de l’inspecteur du travail.

 

Il a ainsi été dégagé le principe selon lequel la mise à pied disciplinaire prononcée par l’employeur à l’encontre d’un salarié protégé doit, pour pouvoir s’appliquer, avoir été acceptée par ce dernier. Il était donc recommandé aux employeurs, d’informer les salariés protégés de leur droit d’accepter ou de refuser la mise à pied disciplinaire.

 

Pour autant, la Cour de cassation a entretenu une certaine ambiguïté, quelques années plus tard, en s’assurant uniquement que la sanction (mise à pied disciplinaire) était proportionnée à la faute commise, sans rechercher si le salarié protégé, qui au demeurant sollicitait l’annulation de la sanction, avait donné son accord (Cass. soc., 3 avril 2001, n°98-45.818).

 

Face à cette incertitude juridique, les juges du fonds ont adopté une appréciation dissonante.

 

Pour certains, la mise à pied modifiait le contrat de travail du salarié protégé, de sorte qu’elle devait être nécessairement acceptée par le salarié concerné (en ce sens : CA de Reims, 3 juillet 2019, n°18/01030 ; CA Aix-en-Provence, 20 nov. 2020, n°17/21897 ; CA Grenoble, 10 janv. 2023, n°21/00795), quand d’autres juridictions estimaient que la mise à pied disciplinaire suspendait temporairement les effets du contrat de travail mais ne le modifiait pas (en ce sens : CA Paris, 11 janv. 2022, n°19/04408 ; CA Papeete, 13 oct. 2022, n°20/00099 ; CA Versailles, 28 mars 2024, n°22/01965).

 

Avec les arrêts récents du 11 décembre 2024, la Cour de cassation tranche le débat en matière de sanction disciplinaire du salarié protégé et met ainsi un terme à une insécurité pour l’employeur en clarifiant le régime applicable à la mise à pied disciplinaire du salarié protégé, tout en harmonisant le traitement des salariés protégés et des salariés non-protégés.

 

Les circonstances des affaires du 11 décembre 2024

 

Dans la première affaire soumise à la Cour de cassation (Cass. soc., 11 déc. 2024, n°23-13.332), un salarié protégé exerçant plusieurs mandats, dont celui de délégué syndical au sein d’une entreprise de restauration rapide, a fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire de cinq jours.

 

Contestant cette sanction, il saisit la juridiction prud’homale pour en obtenir l’annulation et la condamnation de l’employeur aux paiements de diverses sommes, estimant qu’une telle sanction ne pouvait lui être imposée sans son accord.

 

Dans la seconde affaire (Cass. soc., 11 décembre 2024, n°23-14.178), un salarié protégé occupant les fonctions de maçon coffreur au sein d’une société de construction a fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire de dix jours sans que son employeur ne lui précise la possibilité de refuser la sanction.

 

Dans ces deux affaires, les juges du fond suivent le même raisonnement en soutenant que la mise à pied disciplinaire est une mesure qui a pour effet de suspendre temporairement le contrat de travail du salarié protégé et emporte, de fait, une modification de sa rémunération, de sorte qu’elle constitue une modification du contrat de travail.

 

Dès lors, il appartenait à l’employeur de prévenir le salarié de la possibilité de refuser la mise à pied disciplinaire.

 

La décision de la Cour de cassation

 

Dans ces deux affaires, l’employeur a formé un pourvoi en soutenant que la mise à pied notifiée à un salarié protégé n’entrainait ni modification de son contrat de travail, ni changement de ses conditions de travail.

 

La sanction n’avait donc pour effet que la suspension provisoire du contrat, de sorte que les juges du fonds ne pouvaient valablement annuler la sanction disciplinaire en raison de l’absence de sollicitation de l’accord du salarié à l’application de ladite sanction.

 

Quant aux salariés concernés, ils arguaient que, conformément à la jurisprudence en vigueur, tout salarié protégé pouvait valablement accepter ou refuser une mise à pied disciplinaire dans la mesure où elle avait pour conséquence de modifier la rémunération, et donc in fine, de modifier leur contrat de travail.

 

En ce sens, l’employeur se devait de les informer de la possibilité de refuser ladite sanction.

 

La question que la Cour de cassation devait alors trancher était la suivante : l’employeur peut-il mettre à pied à titre disciplinaire un salarié protégé sans son accord préalable ?

 

La chambre sociale de la Cour de cassation censure le raisonnement adopté par les juges du fond dans ces deux affaires au visa de l’article L.2411-1 2° du Code du travail relatif à la protection contre le licenciement du salarié protégé.

 

Elle affirme que la mise à pied disciplinaire n’a pas vocation à modifier le contrat de travail du salarié, ni à changer ses conditions de travail, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de recueillir l’accord préalable du salarié protégé. La Cour de cassation opère une distinction essentielle entre suspension temporaire du contrat de travail et modification du contrat ou des conditions de travail.

 

En outre, la chambre sociale rappelle que la mise à pied disciplinaire n’a pas pour effet de suspendre l’exécution du mandat de représentant du personnel. Le salarié protégé pourra donc continuer d’exercer son mandat pendant une mise à pied disciplinaire.

 

Portée de la décision

 

Les décisions du 11 décembre 2024 apportent une véritable clarification à l’état du droit positif en sécurisant l’employeur qui – faute de position jurisprudentielle consensuelle – était contraint d’informer le salarié protégé de son droit de refuser la mise à pied disciplinaire, sous peine que cette dernière soit considérée par les juges comme une sanction illicite.

 

Désormais, le salarié protégé devra se soumettre à la mise à pied disciplinaire, sauf en cas de refus à commettre une nouvelle faute disciplinaire, l’exposant à l’engagement d’une procédure de licenciement.

 

Cette clarification de la Cour de cassation a le mérite de réaffirmer le pouvoir disciplinaire de l’employeur. Elle permettra de sécuriser les entreprises dans le cadre des notifications de mise à pied disciplinaire des salariés protégés et de faciliter les procédures internes futures.

 

Toutefois, cet éclaircissement de la Cour de cassation peut compliquer les procédures déjà en cours, notamment si l’employeur a été contraint de saisir l’Inspection du travail en raison du refus du salarié protégé d’accepter la mise à pied disciplinaire et d’engager une procédure de licenciement, conformément à la procédure applicable au moment des faits reprochés.

 

En effet, lors de l’examen du dossier dans le cadre d’une demande d’autorisation de licencier, l’Inspection du travail pourrait tenter de considérer a posteriori, en se fondant sur les arrêts du 11 décembre 2024, que la procédure de licenciement n’aurait pas été respectée, dans la mesure où l’accord du salarié protégé aurait été sollicité à tort, alors même qu’à l’époque des faits la position de la Cour de cassation n’était pas celle qu’elle est aujourd’hui…

 

AUTEURS

Anaïs Vandekinderen, Avocate Counsel, CMS Francis Lefebvre Avocats

Carla Torresilla Spinella, Elève-avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats

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