La relation de travail mise à nue ou quand l’employeur est obligé de tout dévoiler au salarié

18 avril 2025
S’il fût un temps où les bulletins de paie – et les contrats de travail quand ils existaient – ne contenaient que quelques lignes, celui-ci est désormais révolu. En effet, au fil des années, divers textes, sous l’impulsion notamment du droit de l’Union européenne, ont exigé des employeurs qu’ils délivrent des informations toujours plus nombreuses et précises aux salariés.
Le dernier texte notable en la matière est la directive sur la transparence des salaires (1) qui sera transposée prochainement en droit français (au plus tard le 7 juin 2026 pour respecter le délai fixé par la directive).
Nous nous proposons de faire le point sur les évolutions présentes et à venir conduisant l’employeur à devoir être toujours plus transparent envers ses salariés.
L’employeur doit fournir de nombreuses informations sur la relation de travail
Classiquement, un certain nombre d’informations doivent être portées à la connaissance des salariés.
Sans exhaustivité, il s’agit notamment de l’ordre de départ en congés et leur période de prises, du règlement intérieur, de l’avis sur les conventions et accords collectifs applicables et les modalités d’accès à l’exemplaire tenu à disposition des salariés sur le lieu de travail, de certaines dispositions sur l’égalité professionnelle et la non-discrimination etc.
De même, et puisque l’employeur est amené à détenir certaines données personnelles au salarié, il doit fournir à ce dernier des informations portant sur :
-
- les objectifs d’utilisation des données ;
-
- les catégories de données collectées (nom, prénom, adresse, etc.) ;
-
- l’identité des destinataires auprès desquels les données sont ou seront communiquées ;
-
- la durée de conservation des données ou les critères qui déterminent cette durée ;
-
- l’existence de certains droits (droit de rectification, d’effacement, de limitation, d’opposition) ;
-
- la possibilité d’adresser une plainte à la CNIL ;
-
- la source spécifique des données collectées si celles-ci n’ont pas été collectées directement auprès du salarié ;
-
- l’existence d’une prise de décision automatisée (y compris en cas de profilage), le fonctionnement de celle-ci, l’importance et les conséquences d’une telle décision pour le salarié ;
-
- l’éventuel transfert des données vers un pays en dehors de l’Union européenne ou vers une organisation internationale.
Ce droit à l’accès des données pour le salarié est issu notamment de la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978 et du Règlement général sur la protection des données (« RGPD ») du 27 avril 2016.
Depuis le 1er novembre 2023, la liste s’est encore allongée
En effet, à la suite de la transposition en droit national de la directive relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles (2), le Code du travail prévoit depuis cette date que l’employeur doit communiquer au salarié les informations suivantes (C. trav. art. R.1221-34) :
« 1° l’identité des parties à la relation de travail ;
2° le lieu ou les lieux de travail et, si elle est distincte, l’adresse de l’employeur ;
3° l’intitulé du poste, les fonctions, la catégorie socioprofessionnelle ou la catégorie d’emploi ;
4° la date d’embauche ;
5° dans le cas d’une relation de travail à durée déterminée, la date de fin ou la durée prévue de celle-ci ;
6° dans le cas du salarié temporaire mentionné à l’article l.1251-1, l’identité de l’entreprise utilisatrice, lorsqu’elle est connue et aussitôt qu’elle l’est ;
7° le cas échéant, la durée et les conditions de la période d’essai ;
8° le droit à la formation assuré par l’employeur conformément à l’article l.6321-1 ;
9° la durée du congé payé auquel le salarié a droit, ou les modalités de calcul de cette durée ;
10° la procédure à observer par l’employeur et le salarié en cas de cessation de leur relation de travail ;
11° les éléments constitutifs de la rémunération mentionnés à l’article l.3221-3, indiqués séparément, y compris les majorations pour les heures supplémentaires, ainsi que la périodicité et les modalités de paiement de cette rémunération ;
12° la durée de travail quotidienne, hebdomadaire, mensuelle ou ses modalités d’aménagement sur une autre période de référence lorsqu’il est fait application des dispositions des articles l.3121-41 à l.3121-47, les conditions dans lesquelles le salarié peut être conduit à effectuer des heures supplémentaires ou complémentaires, ainsi que, le cas échéant, toute modalité concernant les changements d’équipe en cas d’organisation du travail en équipes successives alternantes ;
13° les conventions et accords collectifs applicables au salarié dans l’entreprise ou l’établissement ;
14° les régimes obligatoires auxquels est affilié le salarié, la mention des contrats de protection sociale complémentaire dont les salariés bénéficient collectivement en application d’un accord collectif ou d’une décision unilatérale de l’employeur ainsi que, le cas échéant, les conditions d’ancienneté qui y sont attachées. »
Pour certaines (cf. points 7 à 12 et 14 ci-dessus), il est possible d’opérer des renvois aux dispositions législatives et réglementaires ou aux stipulations conventionnelles applicables.
Ce n’est pas le cas pour les autres informations qui nécessitent d’être fournies plus précisément.
Le délai de transmission de ces informations est de 7 jours à compter de la date d’embauche (cf. points 1 à 5 ci-dessus et 7, 11 et 12) ou d’un mois à compter de cette même date (cf. points 6, 8 à 10, 13 et 14).
Les informations doivent être transmises sous format papier par tout moyen conférant date certaine ou sous forme électronique, sous réserve, dans ce cas, que :
-
- le salarié dispose d’un moyen d’accéder à une information sous format électronique ;
-
- les informations puissent être enregistrées et imprimées ;
-
- l’employeur conserve un justificatif de la transmission ou de la réception de ces informations. (C. trav., art. R.1221-39).
Les modèles de contrats de travail utilisés par les entreprises contenant en général déjà la plupart de ces informations, il est possible de s’interroger sur le point de savoir si l’employeur peut se contenter de compléter les informations manquantes dans un/des document(s) distinct(s) ?
Bien que cette question ne soit pas tranchée, des éléments pourraient pencher en faveur d’une réponse négative.
C’est ainsi que l’article R.1221-34 précité exige que la période d’essai, mais aussi le début et le terme du contrat à durée déterminée, soient mentionnés dans ce(s) document(s) alors même que ces informations doivent par ailleurs figurer dans le contrat de travail.
De plus, l’arrêté du 3 juin fixant les modèles de documents d’information prévus par l’article R.1221-38 regroupe toutes les informations dans une même annexe.
Il convient de préciser que si le salarié ne dispose pas de l’ensemble des informations susmentionnés, Il peut mettre en demeure son employeur de les lui communiquer dans un délai de sept jours calendaires à compter de la réception de la mise en demeure (C. trav., art. R.1221-41).
A défaut de retour de l’employeur, le salarié peut saisir le conseil de prud’hommes pour obtenir les informations auxquelles il peut prétendre.
L’absence de communication «spontanée» des éléments fixés règlementairement ne fait ainsi pas l’objet d’une sanction particulière tant que le salarié n’en sollicite pas la transmission.
Néanmoins, nous ne saurions que conseiller aux employeurs de disposer d’un document contenant les informations requises, ne serait-ce que pour éviter de devoir établir «en urgence» un document conséquent en cas de demande d’un salarié.
Enfin, il est à noter que lorsqu’une ou plusieurs des informations doivent être modifiées, l’employeur remet au salarié un document indiquant ces modifications dans les plus brefs délais, et au plus tard à la date de prise d’effet de cette modification, sauf si cette dernière résulte exclusivement d’un changement des dispositions législatives et réglementaires ou des stipulations conventionnelles en vigueur (C. trav. art. R.1221-40).
Des informations sur les salaires vont prochainement devoir être portées à la connaissance des salariés
La France n’est pas connue pour sa transparence sur les questions de rémunération.
Ce « tabou » pourrait toutefois se fissurer sous l’influence de la directive européenne n°2023/970 du 10 mai 2023 visant à renforcer la transparence des rémunérations pour lutter contre les inégalités salariales entre les femmes et les hommes en entreprise pour un même travail ou un travail de même valeur.
Celle-ci met l’accent sur le manque actuel d’informations, à l’embauche, sur la fourchette de rémunération envisagée pour un poste, limitant ainsi le pouvoir de négociation des candidats à un emploi pour garantir une négociation éclairée et transparente en matière de rémunération.
Elle souligne la nécessité de mettre en place des mesures de transparence en matière de rémunération pour protéger le droit des travailleurs à l’égalité des rémunérations, tout en limitant, dans la mesure du possible, les coûts et la charge administrative pour les employeurs, en accordant une attention particulière aux microentreprises et aux petites et moyennes entreprises.
A titre d’exemples, les employeurs sont invités à transmettre aux salariés :
-
- les critères utilisés pour déterminer les niveaux de rémunération et la progression de cette dernière ;
-
- les informations sur leur niveau de rémunération individuelle et sur les niveaux moyens de rémunération, ventilées par sexe, pour la catégorie de salariés accomplissant le même travail qu’eux ou un travail de même valeur que le leur.
La directive fait obligation aux employeurs dont les effectifs comptent au moins 100 salariés de communiquer, au plus tard le 7 juin 2031, puis tous les trois ans, des données sur la rémunération telles que, l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes, l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes au niveau des composantes variables ou complémentaires et l’écart de rémunération médian entre les femmes et les hommes.
En outre, lorsque les données communiquées font apparaitre une différence de niveau de rémunération moyen d’au moins 5% entre les femmes et les hommes quelle que soit la catégorie de travailleurs, que l’employeur ne justifie pas de cette différence par des critères objectifs non sexistes et ne remédie pas à cette différence injustifiée dans un délai de six mois à compter de la date de communication des données sur les rémunérations, l’employeur doit procéder à une évaluation conjointe des rémunérations avec les représentants des salariés.
Selon les termes de la directive, cette transparence permettrait de garantir une base explicite et sans parti pris sexiste pour fixer la rémunération et mettrait fin à la sous-évaluation des salaires par rapport aux compétences et à l’expérience constituant ainsi un outil de lutte contre les discriminations.
L’intégration de cette directive dans le Code du travail qui doit avoir lieu au plus tard le 7 juin 2026, semble être d’actualité puisque la ministre du Travail et de l’Emploi, Madame Astrid Panosyan-Bouvet, a récemment annoncé le lancement d’une concertation avec les partenaires sociaux dans l’optique de soumettre à l’automne au Parlement un projet de loi permettant la transposition de la directive en droit interne.
Nous le voyons, les employeurs sont conduits à toujours plus de transparence à l’égard de leurs salariés.
Si les objectifs poursuivis sont bien entendu louables, notamment en ce qui concerne la lutte contre les discriminations en matière salariale, la lourdeur des obligations mises à la charge des entreprises et ses difficultés de mise en œuvre risque d’ouvrir la voie à d’éventuels contentieux.
Il est donc important de prendre dès à présent la mesure de ce qu’implique la mise en œuvre de ces obligations et de se préparer avec sérieux à communiquer ces informations aux salariés en anticipant les conséquences éventuelles de leur transmission.
AUTEURS
Christophe GIRARD, avocat associé, droit social, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon
Pauline MIRANDA, avocat, droit social, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon
(1) Directive (UE) 2023/970 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 visant à renforcer l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes pour un même travail ou un travail de même valeur par la transparence des rémunérations et les mécanismes d’application du droit
(2) Directive (UE) 2019/1152 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles dans l’Union européenne
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