Peut-on encore déduire les pertes sur créances intragroupe devenues irrécouvrables?
Pour autant que certaines précautions soient prises, l’interdiction faite aux entreprises de déduire les aides financières consenties à une autre entreprise devrait rester sans effet sur la possibilité de déduire les pertes subies sur les créances intragroupe considérées comme irrécouvrables. Explications.
Les dispositions de l’article 39, 13 du Code général des impôts interdisent désormais la déduction d’abandons de créance à caractère financier alors même qu’ils demeurent imposables au niveau des sociétés qui en bénéficient1. Cette absence de parallélisme est d’autant plus regrettable que le dispositif a pour objectif de rétablir une égalité de traitement avec la recapitalisation d’une filiale en difficulté, laquelle se révèle fiscalement neutre (absence d’imposition de cette dernière).
La seule exception prévue par ce texte concerne les aides consenties dans le cadre de procédures collectives. Les abandons de créances demeurent alors déductibles mais à hauteur seulement de la situation nette négative de l’entreprise qui en bénéficie et, pour l’excédent, à proportion de la fraction du capital détenue par les autres associés.
En revanche, ne sont pas couvertes par cette exception les aides consenties à des filiales en difficulté pour lesquelles aucune procédure collective n’est engagée.
S’ajoutent aux restrictions fiscales concernant la reconstitution des capitaux propres de filiales, l’impossibilité de déduire – sous la forme d’une moins-value à court terme – la cession des titres émis depuis moins de deux ans. Cette restriction pénalise notamment les recapitalisations qui interviennent dans le cadre d’une cession de l’entreprise. En effet, en application de l’article 39 quaterdecies, 2 bis, la moins-value résultant de la cession moins de deux ans après leur émission, de titres de participation acquis en contrepartie d’un apport et dont la valeur réelle à la date d’émission est inférieure à leur valeur d’inscription en comptabilité n’est pas déductible. Or, par hypothèse, s’agissant d’une filiale en difficulté, la valeur réelle des titres émis à la date de recapitalisation est très faible voire nulle.
Au-delà de ces restrictions, reste néanmoins intacte la possibilité de céder les créances à un acquéreur de la filiale pour leur valeur réelle inférieure au nominal (mais au prix d’une imposition potentielle pour ce dernier si la créance venait un jour à être remboursée pour son nominal) ou de constater une perte déductible lorsque les créances s’avèrent définitivement irrécouvrables.
La déduction effective des pertes demeure toutefois un parcours semé d’embûches au regard de la rigueur de certaines conditions à satisfaire au respect desquelles veille particulièrement l’administration fiscale…
Justifier le caractère définitivement irrécouvrable des créances ne coule pas toujours de source
Sur le principe, les abandons de créance à caractère financier procèdent d’une toute autre logique que la simple constatation du caractère irrécouvrable des créances.
En effet, l’administration comme le Conseil d’Etat ont toujours défini l’abandon de créance comme la conjonction d’un élément matériel (comptabilisation par l’entreprise qui consent l’abandon, d’une perte correspondant au montant de la créance abandonnée et constatation d’un profit à concurrence du montant de la dette annulée par l’entreprise qui bénéficie de l’abandon) et d’un élément intentionnel (intention d’aider la société bénéficiaire).
Or, la constatation d’une perte sur une créance devenue définitivement irrécouvrable ne procède pas d’une intention d’aider la société débitrice. Il s’agit simplement de constater une insolvabilité irréversible sans aucune intention libérale.
Il en résulte que l’interdiction de déduire les abandons de créance à caractère financier ne devrait pas faire obstacle à la déduction des pertes sur les créances intragroupe devenues irrécouvrables. La déduction effective de la perte suppose toutefois de pouvoir établir le caractère irrécouvrable de la créance. A cet égard, les conditions de passage en pertes sont particulièrement strictes, l’administration fiscale exigeant le plus souvent un certificat d’irrécouvrabilité établi par voie d’huissier ou par une société de recouvrement, en pratique difficile à obtenir lorsque la filiale débitrice bien qu’en difficulté n’est pas visée par une procédure collective.
En revanche, il semblerait logique que si cette filiale vient à être liquidée de façon amiable pour insuffisance d’actif, les associés créanciers aient la possibilité d’approuver le bilan de liquidation en prenant à leur charge les dettes sociales.
Dans cette situation, ces actionnaires ne réalisent pas un acte volontaire de disposition de leur créance mais constatent simplement que la société est dans l’impossibilité de rembourser sa dette et adoptent la solution permettant d’éviter une procédure de liquidation judiciaire afin d’acter plus simplement et plus rapidement la dissolution de la société.
Du point de vue de la société débitrice liquidée, une telle opération ne devrait théoriquement générer aucun profit imposable puisque la dette subsiste au passif du bilan de liquidation.
La formalisation de la liquidation pour insuffisance d’actif actant l’impossibilité de remboursement de la filiale débitrice devra être formalisée de façon à ce que la perte constatée se distingue clairement d’un abandon de créance.
Cette solution, qui ne peut toutefois être mise en œuvre que sous réserve que la société liquidée ait au moins deux actionnaires à la date de l’opération, peut offrir une alternative intéressante aux dissolutions sans liquidation eu égard à l’impossibilité de déduire la charge correspondant à la situation nette négative de la société confondue, que l’opération soit placée ou non sous le régime spécial des fusions.
Les conditions de constitution des créances peuvent également être elles-mêmes contestées.
Encore faut-il qu’en octroyant des avances à sa filiale, la société mère ne s’expose pas à un risque excessif qui serait contraire à son intérêt.
L’administration fiscale peut en effet chercher à contester la déduction des pertes sur créances en invoquant la théorie de l’acte anormal de gestion qui trouverait à s’appliquer dans l’hypothèse où de telles avances ne laissaient espérer aucune perspective raisonnable de recouvrement au regard des difficultés financières chroniques de la filiale.
Une telle analyse, qui constitue une entorse d’autant plus importante à la liberté de gestion des entreprises lorsqu’elle s’applique aux relations intragroupe, vient de donner lieu à une récente jurisprudence dont la portée reste toutefois quelque peu incertaine (CE 11 juin 2014 n°36168 mon c/ Sté Fralsen Holding: RJF 10/74 n°872 à paraître).
Dans cette affaire, une société avait déduit, après la dissolution anticipée sans liquidation de sa filiale, une perte exceptionnelle d’un montant équivalent à celui des avances qu’elle lui avait consenties. L’administration avait remis en cause cette déduction sur le fondement de l’acte anormal de gestion en considérant que la société mère avait pris un risque disproportionné en octroyant de telles avances à sa filiale eu égard à l’intérêt marginal que représentait pour elle la poursuite de son activité et alors que celle-ci connaissait des difficultés financières chroniques qui laissaient entrevoir de très faibles perspectives de remboursement.
Le Conseil d’Etat a finalement donné raison à la société requérante en considérant que le caractère manifestement excessif du risque pris n’était pas suffisamment établi puisque les avances consenties avaient été normalement rémunérées et dans la mesure où la filiale avait bénéficié d’une recapitalisation préalablement à l’octroi des avances litigieuses.
Il n’empêche qu’ainsi que l’ont souligné certains commentateurs2, cet arrêt ne donne pas de solution pleinement satisfaisante puisqu’il semble reconnaître implicitement sur le principe à l’administration fiscale la faculté d’apprécier le bien-fondé du soutien financier apporté par une société mère à sa filiale.
On peut toutefois espérer que l’approche suivie par l’administration fiscale dans cette affaire, qui constitue une entorse au principe de non immixtion dans la gestion des entreprises, demeure cantonnée à des situations exceptionnelles.
Notes
1 Sauf dans certains cas si la filiale bénéficiaire augmente son capital dans les deux ans (CGI, article 216 A).
2 Cf. notamment Pierre Le Roux, FR 35/14.
Auteur
Sophie Mahy, avocat spécialisé en fiscalité directe.
Article paru dans le magazine Option Finance le 15 septembre 2014