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Convention fiscale franco-luxembourgeoise et immobilier : la fin d’une époque ?

Luxembourg

Le nouvel avenant signé le 5 septembre dernier prévoit l’imposition des revenus fonciers et des plus-values immobilières au lieu de situation des immeubles, qu’ils soient détenus directement ou indirectement par un particulier ou une entreprise.

1. Un long processus de négociation entre la France et le Luxembourg

20 ans ! C’est le temps qu’il aura fallu pour mettre fin à la situation tout à fait particulière qui résultait des dispositions de la convention fiscale franco-luxembourgeoise (la «Convention») en matière immobilière.

La genèse de l’histoire remonte au 18 mars 1994, lorsque, par un arrêt «Société d’investissement agricole et forestier» le Conseil d’Etat jugeait que les revenus fonciers d’une société luxembourgeoise relevaient de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux et n’étaient donc pas imposables en France en l’absence d’établissement stable. La Convention ne prévoyant pas de règles particulières en matière d’imposition des plus-values immobilières des entreprises, l’administration confirmait ensuite dans une instruction du 4 août 2000 (8 M-3-00) que les plus-values réalisées par des sociétés luxembourgeoises lors de la vente d’immeubles situés en France n’étaient pas taxables en France.

Le Luxembourg ayant une approche diamétralement opposée, et considérant, de façon plus classique, que les revenus fonciers et les plus-values immobilières devaient être imposés au lieu de situation de l’immeuble, il en résultait, lorsque le bien était en France, une situation de double exonération, assez rare dans le cadre des conventions fiscales et tout à fait exceptionnelle en matière immobilière.

Les investisseurs internationaux n’allaient pas tarder à s’engouffrer dans la brèche, en mettant en place des structures de détention d’actifs immobiliers en France très optimisantes, et au demeurant, parfaitement légales.

Les autorités fiscales des deux pays réagirent de façon tardive et imparfaite. La signature de l’avenant du 24 novembre 2006, applicable au 1er janvier 2008 («l’Ancien Avenant»), permit à la France d’imposer les revenus fonciers et les plus-values immobilières de source française, mais uniquement dans le cas d’une détention directe des immeubles, ou d’une détention au travers «de sociétés qui, quelle que soit leur forme juridique, n’ont pas de personnalité distincte de celle de leurs membres».

Cette dernière phrase a fait couler beaucoup d’encre, s’agissant de la nature des entités visées. Ainsi, on considère traditionnellement que les sociétés civiles françaises, ayant une personnalité fiscale distincte de celle de leurs associés, ne pouvaient pas être visées par le texte, et que seules les sociétés véritablement «transparentes» (comme les sociétés d’attribution de l’article 1655 ter du CGI) étaient concernées par l’avenant du 24 novembre 2006.

La double exonération restait donc possible en cas de cession, par une société luxembourgeoise, de titres d’une société civile ou d’une société de capitaux française détenant un immeuble en France.

L’administration fiscale française réagit également en utilisant l’arme contentieuse. On a ainsi vu se multiplier ces dernières années des redressements fiscaux visant des sociétés luxembourgeoises ayant réalisé des plus-values immobilières en France, avant ou après l’application de l’Ancien Avenant. Les arguments avancés par l’administration fiscale portent généralement sur l’absence de substance de ces sociétés au Luxembourg et à la présence supposée d’un établissement stable en France, auquel les plus-values immobilières sont rattachées.

2. Les dispositions de l’avenant du 5 septembre 2014 (le «Nouvel Avenant»)

2.1. L’imposition généralisée au lieu de situation des immeubles

Le Nouvel Avenant à la Convention précise désormais que :

«Les gains provenant de l’aliénation d’actions, parts ou autres droits dans une société, une fiducie ou toute autre institution ou entité, dont l’actif ou les biens sont constitués pour plus de 50 pour cent de leur valeur ou tirent plus de 50 pour cent de leur valeur – directement ou indirectement par l’interposition d’une ou plusieurs autres sociétés, fiducies, institutions ou entités – de biens immobiliers situés dans un Etat contractant ou de droits portant sur de tels biens ne sont imposables que dans cet Etat.»

Pour la définition de la prépondérance immobilière, ne sont pas pris en considération les biens immobiliers affectés par une société à sa propre activité d’entreprise, ce qui est conforme à la définition française de la prépondérance immobilière en matière de plus-values (cf. article 244 bis A du CGI).

Il est en outre expressément indiqué que ces dispositions s’appliquent à l’aliénation par une entreprise desdites actions, parts ou autres droits.

2.2. L’entrée en vigueur et l’application du Nouvel Avenant

Il est prévu, de façon classique, que chacun des Etats contractants notifie à l’autre l’accomplissement des procédures requises en ce qui le concerne pour la mise en vigueur du présent Avenant.

Celui-ci entre en vigueur le premier jour du mois suivant le jour de réception de la dernière de ces notifications.

Les dispositions de l’Avenant s’appliquent :

a) en ce qui concerne les impôts sur le revenu perçus par voie de retenue à la source, aux sommes imposables après l’année civile au cours de laquelle l’Avenant est entré en vigueur,

b) en ce qui concerne les impôts sur le revenu qui ne sont pas perçus par voie de retenue à la source, aux revenus afférents, suivant les cas, à toute année civile ou tout exercice commençant après l’année civile au cours de laquelle l’Avenant est entré en vigueur,

c) en ce qui concerne les autres impôts, aux impositions dont le fait générateur intervient après l’année civile au cours de laquelle l’Avenant est entré en vigueur.

En résumé, si la France et le Luxembourg parviennent à finaliser la procédure de ratification et l’échange des notifications diplomatiques avant la fin de l’année 2014, le Nouvel Avenant pourrait théoriquement s’appliquer dès le 1er janvier 2015 pour les sommes imposables par voie de retenue à la source et à tout exercice commençant le 1er janvier ou après le 1er janvier 2015 pour les autres revenus.

Cela étant, et même si la France aurait tout intérêt à accélérer ce processus, il est très peu probable que toutes ces formalités soient accomplies d’ici au 30 novembre 2014, si l’on examine ce qui s’est passé pour l’Ancien Avenant. En effet, celui-ci a été signé le 24 novembre 2006, il est entré en vigueur le 27 décembre 2007 et il n’a commencé à s’appliquer qu’au 1er janvier 2008, soit plus d’un an après la date de signature (ce qui peut par ailleurs être considéré comme un délai relativement court, si on le compare à la durée moyenne d’application d’une nouvelle convention fiscale).

3. Les conséquences sur les investissements étrangers

3.1. Pour l’avenir

A l’avenir, les investissements immobiliers des sociétés luxembourgeoises en France ne bénéficieront plus d’une fiscalité spécifique et seront imposables en France dans les conditions de droit commun.

En particulier, les plus-values de cession de titres de sociétés françaises à prépondérance immobilière seront soumises au prélèvement du tiers en vertu de l’article 244 bis A du CGI. Lorsque le cédant est une personne morale résidente d’un Etat membre de l’Union européenne, ce prélèvement est déterminé selon les règles d’assiette et de taux prévues en matière d’impôt sur les sociétés dans les mêmes conditions que celles applicables à la date de la cession aux personnes morales résidentes de France.

3.2. La délicate période de transition

Il peut être tentant, pour les sociétés luxembourgeoises détenant indirectement des immeubles français, de vouloir bénéficier, pendant qu’il en est encore temps, des avantages offerts par la Convention dans sa version actuelle. Une grande prudence est néanmoins de mise.

En effet, si l’on peut a priori considérer que toute cession à un tiers réalisée sous l’empire de la Convention actuelle ne devrait pas pouvoir être remise en cause par l’administration fiscale française au prétexte qu’elle interviendrait entre la date de signature du Nouvel Avenant et sa date d’application, la situation pourrait être sensiblement différente pour les réorganisations «internes».

Ainsi, le Comité de l’abus de droit fiscal a rendu récemment plusieurs avis défavorables aux contribuables, concernant des restructurations organisées autour de la date d’entrée en vigueur de l’Ancien Avenant1. En particulier, dans une affaire n° 2013-32, une société luxembourgeoise détentrice d’immeubles en France avait décidé, le 28 décembre 2007, d’avancer rétroactivement la date de clôture de son exercice 2007 pour ouvrir l’exercice suivant le 1er décembre 2007 plutôt que le 1er janvier 2008. La société avait pu ainsi bénéficier de l’exonération des plus-values immobilières sur des cessions réalisées en 2008, alors même qu’en l’absence de changement de date de clôture, l’avantage fiscal aurait disparu à compter du 1er janvier 2008 du fait de l’application de l’Ancien Avenant. Le Comité considère que cette modification n’avait aucun autre objectif que d’éluder l’impôt français et, bien que ce dernier point soit loin d’être évident, qu’elle serait contraire aux objectifs poursuivis par les Etats signataires de l’avenant à la convention franco-luxembourgeoise.

Bien sûr, il est loin d’être acquis que les tribunaux confirmeront ces avis du Comité, mais cela signifie qu’il est fort probable que l’administration fiscale française examine de près les opérations menées par les groupes entre le 5 septembre 2014, date de signature du Nouvel Avenant, et sa date d’application.

Note

1. Affaires n°2013-29, 2013-30, 2013-31, 2013-32 et 2013-53.

 

Auteur

Julien Saïac, avocat associé, spécialisé en fiscalité internationale

 

Article paru dans le magazine Option Finance le 22 septembre 2014