L’ANSM envisage de suspendre, modifier ou retirer une autorisation de mise sur le marché (AMM) : une action au niveau européen est possible !
En septembre 2014, la Commission européenne a statué sur la première demande dont l’Agence européenne du médicament («EMA») avait été saisie au titre d’une nouvelle procédure d’arbitrage, prévue à l’article 31 du code communautaire du médicament tel que résultant de la directive «pharmacovigilance» du 15 décembre 2010 (Directive n°2010/84/UE, JOUE du 31 décembre 2010, p. 74).
1. De quoi s’agit-il ?
L’article 31 du code communautaire permet aux Etats membres, à la Commission ou au titulaire de l’autorisation de mise sur le marché («AMM») de saisir l’EMA «dans des cas particuliers présentant un intérêt pour l’Union», et ce «avant qu’une décision ne soit prise sur la demande, la suspension ou le retrait de l’AMM ou sur toute autre modification de l’AMM apparaissant nécessaire.»
2. – Dans quels cas la saisine de l’EMA est-elle possible ?
Selon l’article 31 du code communautaire précité, le «cas particulier» pour lequel l’EMA est saisie doit présenter un intérêt pour l’Union. En l’espèce, il ressort de l’annexe I à la décision de la Commission que, sous des noms de marque différents, des médicaments contenant la substance active X sont commercialisés dans 8 des 28 Etats membres de l’Union, ce qui suffit pour établir que l’affaire présente «un intérêt pour l’Union».
3. – Qui peut saisir l’EMA ?
Il ressort également de l’article 31 que l’EMA peut être saisie par la Commission, les Etats membres ou le titulaire de l’AMM. En l’espèce, l’EMA a été saisie par le titulaire de l’une des AMM des spécialités contenant la substance X commercialisées en France, puis par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé («ANSM»).
4. – Quand la saisine de l’EMA doit-elle intervenir ?
Il ressort de l’article 31 que la saisine de l’EMA doit être préalable à une décision relative à l’AMM. En l’espèce, la commission d’AMM de l’ANSM a émis, en juillet 2012, à une très large majorité un avis selon lequel le rapport bénéfice/risques des spécialités à base de X était défavorable, vote qui ouvrait la voie à une décision défavorable concernant les AMM des spécialités à base de X, pouvant aller jusqu’au retrait de celles-ci.
Selon la décision de la Commission européenne, la saisine portait «sur l’opportunité de maintenir, de modifier, de suspendre ou de retirer les autorisations de mise sur le marché concernées».
5. – Quelle est la procédure applicable ?
La procédure comprend trois étapes successives :
Etape n°1 : Un rôle pivot dans la procédure est joué par le Comité pour l’évaluation des risques en matière de pharmacovigilance («PRAC») dans la mesure où la saisine est fondée sur l’évaluation des données de pharmacovigilance.
Au sein du PRAC, chacun des Etats membres est représenté par un ou deux représentants de l’autorité nationale en charge des questions de pharmacovigilance. Son rôle est l’évaluation des données de pharmacovigilance, telles que celles-ci ont été communiquées par le demandeur et ont été contradictoirement discutées avec le ou les titulaires de l’AMM ou des AMM concernées. A l’issue de cet examen, le PRAC émet, à la majorité de ses membres, une recommandation.
Etape n°2 : La recommandation du PRAC est ensuite transmise à l’un des deux comités en charge du médicament au sein de l’EMA : soit au Comité des médicaments à usage humain («CHMP») si une ou des AMM centralisées sont en cause soit, dans le cas contraire, au groupe de coordination, le CMD(h). Ces deux comités sont composés des représentants des Etats membres. Le CHMP comme le CMD(h) se déterminent par référence à la recommandation du PRAC.
En l’espèce, les AMM des médicaments contenant la substance X ayant été obtenues soit par la voie de la procédure nationale soit par la voie de la procédure décentralisée, c’est le CMD(h) qui a été saisi. Il a décidé, à la majorité des Etats membres, d’approuver la recommandation du PRAC. La position du CMD(h) est reproduite à l’annexe II («Conclusions scientifiques») à la décision de la Commission.
Etape n°3 : Enfin, la position du CHMP ou du groupe de coordination est transmise à la Commission européenne (DG Sanco) qui l’approuve ou au contraire s’en écarte et qui statue selon la procédure complexe dite de «comitologie».
6. – Quelle est la portée de la décision de la Commission ?
La décision prise par la Commission à l’issue de la procédure est exécutoire par elle-même : elle s’impose donc aux Etats membres sur le territoire desquels des spécialités à base de X sont commercialisées, comme aux titulaires des AMM de ces mêmes spécialités (sauf pour les premiers à obtenir en référé la suspension de son exécution devant le Président de la Cour de justice de l’Union à Luxembourg ou pour les industriels à obtenir la même chose devant le Président du Tribunal de l’Union, ce qui paraît fort peu probable).
Il en résulte que les modifications du résumé des caractéristiques du produit et de la notice, telles que celles-ci ressortent de la décision de la Commission européenne doivent être mises en œuvre à bref délai, selon un échéancier à fixer par chacune des autorités nationales concernées.
Il en va de même des obligations imposées en matière d’AMM, et qui, en vertu du principe de primauté du droit de l’Union, s’appliquent, alors même que, comme c’est le cas en France, les AMM sont des AMM nationales. En l’espèce, les titulaires des AMM doivent impérativement établir des plans de gestion des risques («PRG») périodiques.
7. – Quel est l’intérêt pratique de cette procédure pour les industriels ?
La procédure a l’avantage et les inconvénients d’une décision prise par 28 Etats au lieu d’un seul. Elle est donc inévitablement lourde (2 ans au cas particulier), mais, en contrepartie, elle peut, comme c’est le cas ici, déboucher sur une solution plus satisfaisante que si la décision avait été prise par l’ANSM seule.
On peut en effet penser que, compte tenu du vote de la Commission d’AMM, l’ANSM aurait probablement adopté une décision de retrait d’AMM, au lieu de quoi la décision de la Commission européenne permet à la spécialité de rester sur le marché, avec certes les restrictions de prescriptions jugées adéquates.
8. – La décision de la Commission européenne est-elle définitive ?
Exécutoire dès sa signature, la décision de la Commission est définitive, sous réserve d’un recours contentieux devant la Cour de justice de l’Union (pour les Etats membres) ou le Tribunal de l’Union (pour les industriels ou des personnes physiques ou morales autres que les Etats).
Auteurs
Bernard Geneste, avocat associé spécialisé en droit de la santé, droit de l’Union européenne et droit public, contentieux administratif et communautaire.
Saliha Rhaimoura, juriste en droit de la santé, droit de l’Union européenne, droit public, contentieux administratif et communautaire.