La sanction d’une obligation excessive de confidentialité exigée du comité d’entreprise
10 décembre 2014
Par un arrêt du 5 novembre 2014, la Cour de cassation a adopté une solution inédite en jugeant que le fait, pour l’employeur, de déclarer confidentielles l’intégralité des informations remises au comité d’entreprise constitue une atteinte illicite aux prérogatives du comité qui doit être réparée par la reprise de la consultation ab initio.
Les conditions pour qu’une information soit confidentielle
Les membres du comité d’entreprise sont tenus à une obligation de discrétion en application de l’article L.2325-5 alinéa 2 du Code du travail qui précise que : «les membres du comité d’entreprise et les représentants syndicaux sont tenus à une obligation de discrétion à l’égard des informations présentant un caractère confidentiel et données comme telles par le chef d’entreprise ou son représentant».
Il résulte de la loi et de la jurisprudence que, pour être confidentielles, les informations données au comité d’entreprise devaient jusqu’ici répondre à trois conditions :
- en premier lieu, ces informations doivent être objectivement confidentielles. Mais la définition du caractère confidentiel n’est pas précisée par la loi, contrairement à l’information donnée dans le cadre du droit d’alerte qui est définie par l’article L.2323-82 du Code du travail comme «par nature confidentielle».
- en deuxième lieu, ces informations doivent être déclarées confidentielles par l’employeur, soit lors de la remise des documents, soit lors de leur présentation.
- en troisième lieu, l’employeur doit rapporter la preuve qu’il a entendu se prévaloir du caractère confidentiel des informations, notamment par la mention de ce point dans le procès-verbal de la réunion.
L’obligation de confidentialité est nécessairement limitée
La jurisprudence avait jusqu’ici apporté peu de précisions sur la notion de confidentialité. Il avait ainsi été jugé que si l’information a déjà été rendue publique, cela lui fait perdre son caractère confidentiel.
Dans l’arrêt du 5 novembre 2014, la Cour de cassation apporte une précision supplémentaire en indiquant que la confidentialité n’est pas illimitée : «l’information donnée aux membres du comité d’entreprise doit non seulement être déclarée confidentielle par l’employeur mais encore être de nature confidentielle au regard des intérêts légitimes de l’entreprise, ce qu’il appartient à l’employeur d’établir».
Dans cette affaire, la société Sanofi Aventis R&D avait adressé au comité central d’entreprise (CCE) deux documents entièrement classés confidentiels dans le cadre de la procédure d’information-consultation du CCE sur un projet de réorganisation des métiers de la R&D et des fonctions supports. Le CCE a saisi le juge des référés pour qu’il interdise à la société de se prévaloir des dispositions de l’article L.2325-5 du Code du travail à propos de l’intégralité des documents et ordonne la reprise à l’origine de la procédure sur la base de documents transmis sans mention de confidentialité.
Le premier juge puis la Cour d’appel ont fait droit à ces demandes. En rejetant le pourvoi formé par la société, la Cour de cassation valide l’analyse de la Cour d’appel.
C’est à l’employeur de définir et justifier le caractère confidentiel des informations
L’arrêt ne définit pas ce qu’est une information confidentielle. Il indique seulement que la confidentialité s’apprécie au regard des intérêts légitimes de l’entreprise, ce qui reste flou. Par conséquent, la solution risque de nourrir des contentieux supplémentaires.
Il revient en pratique à l’employeur de définir précisément, d’une part, les informations confidentielles dont la divulgation serait préjudiciable aux intérêts légitimes de l’entreprise et, d’autre part, la durée pendant laquelle la confidentialité doit être respectée.
Il faut que le caractère confidentiel soit justifié par des éléments objectifs. On peut penser que les intérêts légitimes de l’entreprise sont les intérêts économiques, commerciaux et stratégiques. Il a ainsi été jugé que les chiffres des ventes envisagées pour les trois années à venir en France et sur les différents marchés étrangers ont un caractère objectivement confidentiel (TGI Lyon 11 décembre 1984).
En sens contraire, il a été jugé que, dans le cadre d’un projet de rapprochement entre deux sociétés, les informations suivantes ne pouvaient pas être classées confidentielles : présentation des modalités de regroupement, avantages attendus et impacts sur les postes, détails des suppressions de poste envisagées (TGI Lyon 9 juillet 2012). Il devrait en être de même des mesures sociales du PSE.
Une sanction démesurée
Les juges ont considéré qu’en plaçant l’intégralité des documents adressés au CCE sous le sceau de la confidentialité sans justifier de la nécessité d’assurer la protection de l’ensemble des données contenues dans ces documents, l’employeur avait porté une atteinte illicite aux prérogatives du CCE dans la préparation des réunions.
Ils en déduisent que le préjudice subi par le comité ne peut être réparé que par la reprise de la procédure d’information et consultation à son début.
Cette sanction est extrêmement sévère et apparait démesurée.
On peut d’abord relever que la solution se discute compte tenu du rôle même de représentation du comité d’entreprise. Le comité d’entreprise a en effet pour objet «d’assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise» (cf. article L.2323-1 du Code du travail). Dès lors, s’il apparait normal que le comité d’entreprise échange avec les salariés, cela n’implique pas obligatoirement qu’il leur transmette l’intégralité des informations qu’il a reçues, ce d’autant que les salariés ne sont pas soumis à la même obligation de discrétion que les membres du comité d’entreprise.
On relèvera ensuite que l’appréciation du préjudice subi par le comité d’entreprise faite par les juges est discutable car, dans l’affaire en cause, les informations ne sont pas restées confidentielles. En effet, après avoir déclaré toutes les informations transmises au comité d’entreprise confidentielles, l’employeur avait finalement autorisé leur communication aux salariés. Dans ces circonstances, une sanction proportionnée, telle que l’obligation de régulariser la procédure, aurait certainement été préférable.
On se demande comment les juges ont pu opter pour une sanction aussi radicale sur la base d’un texte et d’obligations aussi imprécises. Cette solution va profondément déstabiliser le déroulement des procédures d’information-consultation et renforcer l’insécurité juridique qui est très préjudiciable aux entreprises.
Auteurs
Nicolas de Sevin, avocat associé en droit social.
Ludovique Clavreul, avocat en droit social.
Article paru dans Les Echos Business le 10 décembre 2014
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