Image Image Image Image Image Image Image Image Image Image
Scroll to top

Haut

Bail à construction : quel avenir ?

Bail à construction : quel avenir ?

Le Conseil d‘Etat rend une décision qui remet très fortement en cause l’avantage au plan fiscal du bail à construction.

Dans une décision du 26 mars 2012 (n°340883, 3e et 8e s.-s., Sté Casino Guichard-Perrachon : RJF 6/12 n°563) le Conseil d’Etat avait censuré un arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Lyon du 15 avril 2010 au motif que la cour avait ajouté au texte de l’article 33 ter du CGI en considérant que le bénéfice de l’exonération d’imposition prévue par les dispositions du II de l’article 33 ter du CGI lorsque la durée du bail est au moins égale à trente ans était soumis non seulement à la condition de durée du bail à construction mentionnée par ce texte, mais aussi à la condition, non prévue, que les biens remis fussent comptabilisés à leur prix de revient.

Amenés à rejuger la même affaire, les hauts magistrats ont considéré dans une très récente décision du 5 novembre 2014 (n°366231, Sté Casino Guichard Perrachon) que l’entreprise qui se voit remettre les constructions édifiées par le preneur au terme d’un bail de trente ans est exonérée de toute imposition, mais dans la seule limite du prix de revient des constructions tel que figurant dans la comptabilité du preneur, sans que le bailleur soit tenu pour autant de comptabiliser les constructions remises pour une valeur égale au prix de revient des constructions. Mais les Hauts Magistrats ont considéré ensuite qu’en cas de comptabilisation des constructions pour la valeur vénale, l’entreprise est alors imposable pour la différence existant entre le prix de revient des constructions chez le locataire et la valeur vénale.

Cette dernière décision que certains pourraient considérer comme une confirmation indirecte de la décision du 26 mars 2012 précitée, vient considérablement modifier la compréhension que de nombreux praticiens avaient du régime fiscal du bail à construction et pourrait fortement remettre en question l’intérêt de recourir à cette formule pour les entreprises.

Caractéristiques générales du bail à construction

Le bail à construction est la convention par laquelle le preneur s’engage à titre principal à édifier des constructions sur le terrain du bailleur et à les conserver en bon état d’entretien pendant toute la durée du bail (CCH1 art. L 251-1).

Les parties conviennent de leurs droits respectifs de propriété sur les constructions existantes et sur les constructions édifiées. A défaut d’une telle convention, le bailleur en devient propriétaire en fin de bail et profite des améliorations (CCH art. L 251-2).

En ce qui concerne le prix du bail, l’article L 251-5 du CCH prévoit qu’il peut consister, en tout ou en partie, (i) soit dans la remise au bailleur d’immeubles ou fractions d’immeubles ou de titres donnant vocation à la propriété ou à la jouissance de tels immeubles, (ii) soit dans un loyer payable en espèces et dont le montant est révisable par périodes triennales.

Sauf exception, le bailleur perçoit ainsi en principe un dernier loyer consistant dans la remise des constructions édifiées sur son terrain par le locataire, au terme du bail dont la durée doit être comprise entre dix-huit et quatre-vingt-dix-neuf ans (CCH art. L 251-1).

C’est le régime d’imposition de ce dernier loyer consistant en la remise des constructions au bailleur par le preneur qui distingue le bail à construction des autres baux pour lesquels des constructions ou aménagements sur sol d’autrui peuvent avoir été édifiés et reviennent au bailleur en fin de bail sans indemnité.

Lorsqu’il ne s’agit pas d’un bail à construction, le conseil d’Etat juge depuis une décision du 16 novembre 1981 (n°16111, 7e et 9e s., RJF 1/82 n°9) que l’accroissement de valeur vénale de l’immeuble, résultant des constructions et aménagements effectués par le locataire, constitue pour l’entreprise propriétaire un bénéfice de l’exercice en cours à la date à laquelle elle a recouvré la disposition de son immeuble.

En matière de bail à construction, des dispositions spécifiques, prévues au demeurant dans les règles régissant les revenus fonciers mais dont la jurisprudence a élargi l’application aux revenus des entreprises, dérogent aux principes dégagés par la jurisprudence précitée.

L’article 33 ter du CGI prévoit notamment que lorsque le prix du bail consiste, en tout ou partie, dans la remise d’immeubles ou de titres dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article L 251-5 du code de la construction et de l’habitation, le bailleur peut demander que le revenu représenté par la valeur de ces biens calculée d’après le prix de revient soit réparti sur l’année ou l’exercice au cours duquel lesdits biens lui ont été attribués et les quatorze années ou exercices suivants ; que ces dispositions s’appliquent également aux constructions revenant sans indemnité au bailleur à l’expiration du bail ; que la remise de ces constructions ne donne lieu à aucune imposition lorsque la durée du bail est au moins égale à trente ans ; que lorsque la durée du bail est inférieure à trente ans, l’imposition est alors due sur une valeur réduite en fonction de la durée du bail dans des conditions fixées par décret.

Les bailleurs, entreprises, comme particuliers, qui dans le cadre d’un bail à construction, recevaient ainsi au terme d’un bail de trente ans, les constructions édifiées par le preneur, faisaient une application simple des dispositions de l’article 33 ter précité, à savoir qu’ils considéraient que la reprise des constructions n’engendrait aucune imposition.

Les conséquences de la décision

Le Conseil d’Etat dans l’arrêt précité du 5 novembre 2014 remet en question cette analyse en confirmant que dans le cas de la remise au bailleur des constructions à l’expiration du bail à construction d’une durée au moins égale à trente ans, le bailleur ne peut prétendre au bénéfice de l’exonération d’imposition que dans la limite du prix de revient des constructions qui lui ont été remises, certes sans qu’y fasse obstacle la circonstance qu’il aurait comptabilisé ces constructions à leur valeur vénale, mais que dans ce cas, l’administration est alors fondée, conformément aux dispositions du 2 de l’article 38 du CGI, à réintégrer dans le bénéfice imposable, l’écart entre la valeur vénale et le prix de revient des constructions remises.

Cette analyse pose trois questions.

On peut tout d’abord se demander si elle est justifiée au regard du texte même de l’article 33 ter du CGI. Celui-ci mentionne certes «un revenu représenté par la valeur de ces biens calculée d’après le prix de revient» pour prévoir que la remise des constructions ne donne lieu à aucune imposition lorsque la durée du bail est au moins égale à trente ans. Mais le texte renvoie aux dispositions de l’article 2 sexies de l’annexe III au CGI qui indique que lorsque la durée d’un bail à construction est comprise entre dix-huit et trente ans, le revenu brut foncier correspondant à la valeur des constructions remises sans indemnité au bailleur en fin de bail est égal au prix de revient de ces constructions, sous déduction d’une décote égale à 8 % par année de bail au-delà de la dix-huitième.

Comme on le voit, l’article 2 sexies mentionne un revenu brut correspondant à la valeur des constructions sans préciser que cette valeur correspondrait au prix de revient des constructions.

Par ailleurs, le fait que l’avantage correspondant à la remise des constructions qui est imposable en tout ou partie lorsque la durée du bail n’atteint pas trente ans, soit calculé à partir du prix de revient des constructions pouvait être considéré comme une simple règle de détermination du revenu imposable du bailleur sans rapport nécessaire avec la méthode de comptabilisation des constructions dans son bilan.

Le fait que le Conseil d‘Etat crée un fait générateur autonome d’imposition dans le mode de comptabilisation des constructions reçues (dans la mesure où l’écart entre valeur vénale et prix de revient est considéré comme une augmentation d’actif net imposable immédiatement en vertu de l’article 38. 2 du CGI) ne va donc pas de soi et remet très fortement en cause l’avantage au plan fiscal du bail à construction.

Dit autrement, la position du Conseil d‘Etat confère à la méthode de comptabilisation des constructions reçues une importance réelle puisqu’en cas de comptabilisation au prix de revient, le bailleur héritera d’une fiscalité différée (l’impôt étant reporté lors de la cession ultérieure du bien) alors qu’en cas de comptabilisation à la valeur réelle, c’est à une imposition immédiate de la plus-value qu’il s’exposera. Par ailleurs, quelle que soit la règle comptable applicable, même au terme d’une durée de 30 ans, la fin d’un bail à construction est source d’imposition lourde pour le bailleur.

A ce titre, le Conseil d’Etat avait jugé dans une décision du 5 décembre 2005 (n°263505, 3e et 8e s.-s., min. c/ Aubin) que lorsqu’une entreprise individuelle a donné en location son fonds de commerce ainsi que des terrains et bâtiments inscrits à son actif, en stipulant que les constructions édifiées par le locataire lui reviendraient gratuitement en fin de bail, elle est tenue de comptabiliser, au terme du bail, le supplément de loyer correspondant à la valeur vénale de l’addition de construction faite par le locataire, d’une part en créditant son compte de résultat, et d’autre part, en débitant l’un de ses comptes d’actif.

Au plan comptable enfin, la valeur de la construction en fin de bail (Bull. CNCC n°121, mars 2001, EC 2000-57, p.126 s.) résulte soit directement de sa valeur vénale en fin de bail telle qu’elle aurait pu être estimée au moment de la signature du bail, soit indirectement de la valeur de marché des loyers du terrain pendant la durée du bail. A défaut de pouvoir déterminer de telles valeurs, elle peut correspondre à sa valeur résiduelle en fin de bail estimée à la date de signature du bail, c’est-à-dire à son coût de construction minoré des amortissements qui auraient été constatés par le bailleur si l’immeuble avait été inscrit à son actif durant le bail.

Note

1 Code de la construction et de l’habitation.

 

Auteur

Richard Foissac, avocat associé spécialisé en fiscalité directe,

 

Article paru dans le magazine Option Finance le 15 décembre 2014