L’employeur peut-il imposer à un commercial la modification de son secteur de prospection ?
11 mars 2015
Dans une décision du 12 février 2015, la Cour de cassation vient confirmer que la modification du secteur de prospection d’un salarié commercial, de nature à impacter sa rémunération, consiste en une modification de son contrat de travail (Cass. Soc., 12 février 2015, n°13-19.309).
On oppose classiquement la modification du contrat de travail – qui requiert l’accord du salarié – au simple changement des conditions de travail – qui relève du pouvoir de direction de l’employeur.
S’il se dégage de la jurisprudence rendue au fil des années un ensemble de critères permettant de déterminer si la modification envisagée relève de l’une ou l’autre de ces notions, la question demeure souvent complexe à résoudre en pratique.
La décision rendue par la Cour de cassation le 12 février 2015, qui avait trait à la modification du secteur des commerciaux, en donne un nouvel exemple.
Dans l’affaire ayant donné lieu à cette décision, un commercial avait saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat en raison de ce qu’il estimait être une modification unilatérale de son contrat de travail.
A l’occasion de la fixation des objectifs annuels de chiffre d’affaires, l’employeur avait modifié son périmètre «habituel» de prospection, en lui imposant d’une part un secteur géographique différent – amputé de plusieurs zones touristiques qu’il prospectait jusqu’ alors – et d’autre part certaines restrictions quant au type d’affaires traitées.
L’affaire avait ceci d’intéressant que le contrat de travail prévoyait le versement d’une rémunération variable mais que le secteur de prospection n’avait en revanche jamais été formellement convenu par écrit.
Le salarié soutenait que cette modification consistait en une modification de son contrat de travail – et non de ses seules conditions de travail ou de ses objectifs – qui ne pouvait lui être imposée.
Pour l’employeur, la définition de nouveaux objectifs sur un périmètre différent ne pouvait constituer une modification du contrat dès lors que celui-ci était parfaitement muet sur le sujet.
L’argument n’avait pas convaincu la Cour d’appel, qui avait fait droit aux demandes du salarié en reconnaissant que la modification unilatérale du secteur de prospection constituait un manquement grave de l’employeur (cour d’appel de Grenoble, 18 avril 2013).
Dans son pourvoi, l’employeur s’attachait à démontrer que la rémunération variable du salarié était déterminée chaque année en fonction de la réalisation d’objectifs fixés unilatéralement par l’employeur, qui pouvait ainsi en modifier les conditions sans que le salarié puisse se plaindre d’une modification de son contrat de travail.
La modification du périmètre de prospection de nature à impacter la rémunération est une modification du contrat de travail
La Cour de cassation valide la motivation de la Cour d’appel en retenant :
«qu’ayant constaté que l’employeur avait procédé à l’exclusion d’un secteur et d’une catégorie importante de clientèle qui était auparavant prospectée par le salarié, la Cour d’appel en a exactement déduit que cette réduction de périmètre de prospection, de nature à affecter la rémunération du salarié, emportait modification du contrat de travail que l’employeur ne pouvait imposer».
Cette décision s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la modification de la rémunération.
En effet, en limitant le secteur de prospection d’un commercial rémunéré en toute ou partie en fonction de son chiffre d’affaires, l’employeur affecte de facto l’assiette de calcul de sa rémunération variable.
Or, la rémunération étant intangible, toute modification affectant son montant, sa structure, ou son mode de calcul doit être acceptée par le salarié concerné.
La Cour de cassation veille d’ailleurs à faire respecter ce principe et ce, même lorsque que la modification est favorable au salarié (Cass. Soc., 23 mai 2013, n°11-26.754).
La décision de la Cour de cassation du 12 février 2015 est donc logique : la modification du secteur géographique étant de nature à modifier la rémunération du salarié, elle doit nécessairement faire l’objet d’un accord exprès du salarié.
Le fait que la modification touche un élément ne figurant pas expressément dans le contrat de travail ne saurait faire obstacle à ce principe.
Signalons en revanche que la modification unilatérale du secteur de prospection ne constitue pas nécessairement un motif de résiliation judiciaire ou de prise d’acte de la rupture du contrat de travail.
Au regard de la jurisprudence récente de la Cour de cassation, une modification n’ayant qu’un impact mineur sur la rémunération du salarié, voire des effets positifs, ne saurait justifier la rupture du contrat aux torts de l’employeur (Cass. Soc. 12 juin 2014, n°13.11-448 et n°12-29.063).
L’employeur aurait-il pu se passer de l’accord du salarié si une clause du contrat de travail l’avait autorisé à modifier unilatéralement le périmètre de prospection ?
Il y a tout lieu de penser que cette modification requiert a priori l’accord du salarié et ce, même en présence d’une clause prévoyant la possible variation du secteur de prospection.
En effet, une clause autorisant l’employeur à modifier unilatéralement le secteur revient ni plus ni moins à lui permettre de faire varier à sa guise la rémunération du salarié.
Or, sont prohibées et nulles les clauses réservant à l’employeur la possibilité de modifier le contrat de travail d’un salarié – et en particulier sa rémunération – le salarié ne pouvant valablement renoncer aux droits qu’il tient de la loi (Cass. Soc., 27 février 2001, n°99-40.219 et Cass. Soc. 15 mai 2014, n°12-38.442).
Toute modification du secteur géographique doit donc être mise en œuvre avec une très grande vigilance, y compris lorsqu’une clause du contrat de travail semble l’autoriser.
Auteurs
Thierry Romand, avocat associé en droit social.
Marie Sevrin, avocat en droit social
A lire également
Les nouveautés en matière de contrôle URSSAF depuis le 1er janvier 2020 : ana... 29 janvier 2020 | CMS FL Social
Qui peut convoquer une réunion extraordinaire du CSE dans les entreprises de pl... 5 mars 2019 | CMS FL
Syndicats catégoriels : un pouvoir de négociation réduit... 29 octobre 2014 | CMS FL
Messagerie Facebook : jusqu’où peut aller l’employeur ?... 17 janvier 2024 | Pascaline Neymond
Proposition simultanée d’une modification du contrat pour motif économique e... 24 novembre 2022 | Pascaline Neymond
Le transfert du traitement administratif d’un salarié à un autre site emport... 26 novembre 2021 | Pascaline Neymond
Le chemin de croix du licenciement des salaries protégés : analyse des règles... 16 avril 2021 | CMS FL Social
Harcèlement moral ou sexuel : quelques bonnes raisons de recourir à un avocat ... 17 novembre 2021 | Pascaline Neymond
Articles récents
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025
- Un salarié licencié pour harcèlement sexuel ne peut se prévaloir du phénomène «#Metoo»
- Régimes de retraite des dirigeants : prestations définies versus actions gratuites
- SMIC : Relèvement du salaire minimum de croissance au 1er novembre 2024
- Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur
- Conférence – Gestion des fins de carrière : que font les entreprises et quelles solutions à dispositions ?