Le traitement fiscal des «marges arrière»
Par une décision du 4 février 2015 (n°365815), le Conseil d’Etat précise l’impact des «marges arrière» sur le prix de revient des stocks. Bien que la loi commerciale régissant les marges arrière ait évolué depuis l’époque des faits ayant donné lieu à l’arrêt, les principes dégagés par le Conseil d’Etat permettent d’éclairer le traitement de ces marges arrière en application de la loi actuelle.
Une société exerçant une activité de distribution en gros de produits alimentaires avait, au titre des exercices clos en 2005 et 2006, calculé son résultat en valorisant ses stocks pour un prix de revient diminué des sommes perçues de ses fournisseurs à titre de «marges arrière», calculées en fonction du prix d’achat des produits auxquels elles se rapportaient. Ces sommes constituaient la contrepartie de prestations de services réalisées par le distributeur au profit de ses fournisseurs et ayant pour objet d’assurer la promotion des produits acquis auprès de ceux-ci en exécution de contrats dits de «coopération commerciale». A l’occasion d’une vérification de comptabilité, l’administration avait remis en cause cette déduction des marges arrière et rectifié à la hausse le résultat imposable de la société. C’est la légitimité de cette rectification qui était en cause devant le Conseil d’Etat.
Selon l’article 38. 3 du CGI, les stocks sont évalués au prix de revient ou au cours du jour de la clôture de l’exercice si ce cours est inférieur au prix de revient. Le prix de revient se définit lui-même, pour les biens acquis à titre onéreux, comme le prix d’achat des stocks minoré des «remises, rabais commerciaux et escomptes de règlement (…) et autres coûts directement engagés pour l’acquisition des biens» (CGI, ann. III, article 38 nonies). Il s’agissait donc de savoir si, comme le prétendait l’administration, les marges arrière ne pouvaient venir en réduction du prix d’achat des stocks.
1- La décision du Conseil d’Etat
La réponse du Conseil d’Etat est claire. Selon lui, les «marges arrière» ne peuvent être regardées comme des «remises, rabais commerciaux et escomptes de règlement» au sens de l’article 38 nonies précité. Elles ne peuvent pas non plus être considérées comme des «autres éléments similaires» à ces remises, rabais commerciaux et escomptes de règlement visés par l’article 321-20 du plan comptable général (devenu l’article 213-31 dans la numérotation actuelle du PCG). Il importe peu, à cet égard, que ces marges arrière aient été calculées en pourcentage du prix unitaire des produits auxquelles elles se rapportaient.
Par ailleurs, le Conseil d’Etat estime que le prix de revient des stocks, au sens de l’article 38 nonies de l’annexe III du CGI, ne peut être assimilé au «prix d’achat effectif», mentionné à l’article L. 442-2 du code de commerce pour la détermination du seuil de revente à perte. Ce texte, dans sa version applicable tant à l’époque des faits qu’aujourd’hui (en dépit de différences mineures), prévoit que le prix d’achat effectif s’entend du prix unitaire net figurant sur la facture d’achat minoré notamment du montant de l’ensemble des autres avantages financiers consentis par le vendeur exprimé en pourcentage du prix unitaire net du produit.
Enfin et surtout, le Conseil d’Etat précise l’impact de la rédaction de la loi commerciale postérieure à l’époque des faits en matière de marges arrière sur le prix de revient fiscal des stocks. Ceci s’explique par le fait que la société requérante avait invoqué un argument tiré de la rédaction des articles L. 441-6 et L. 441-7 du Code de commerce dans leur rédaction postérieure aux années en litige (l’arrêt n’indiquant toutefois pas de quel millésime il s’agit, cette omission étant regrettable compte tenu du fait que la loi a été plusieurs fois modifiée depuis 2006). Le Conseil d’Etat précise ainsi que «la circonstance que [ces textes] imposent la conclusion d’un contrat unique annuel rassemblant toutes les composantes de la négociation commerciale, incluant le barème de prix avec ses conditions générales de vente, les prestations de coopération commerciale et les services qui en sont distincts, est sans influence sur la détermination de la valeur des stocks en litige».
Cette indication donnée par le Conseil d’Etat est surtout intéressante à la lumière de l’actuelle version de l’article L. 441-7 du Code de commerce issue de la loi n°2014-344 du 17 mars 2014 qui énonce que la convention écrite entre le fournisseur et le distributeur fixe :
- les «conditions de l’opération de vente des produits ou des prestations de services, y compris les réductions de prix» ;
- les conditions dans lesquelles le distributeur ou le prestataire de services rend au fournisseur «tout service propre à favoriser leur commercialisation ne relevant pas des obligations d’achat et de vente» ;
- les «autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services en précisant pour chacune l’objet, la date prévue et les modalités d’exécution, ainsi que la rémunération ou la réduction de prix globale afférente à ces obligations».
Au vu de la décision rendue par le Conseil d’Etat, il apparaît clairement que le fait de rendre «tout service propre à favoriser la commercialisation ne relevant pas des obligations d’achat et de vente» des produits ne se confond pas avec une réduction de prix au sens strict. La rémunération des services de coopération commerciale ne peut donc pas avoir d’influence sur le prix de revient des stocks au sens de l’article 38 nonies de l’annexe III du CGI. Cette analyse converge avec celle qui prévaut en matière de TVA, où les services de coopération commerciale sont considérés comme des services distincts de l’opération d’achat et sont soumis à facturation et à imposition séparée (BOI-TVA-DECLA-30-20-10, n°30, à jour au 13 janvier 2014).
2- Le traitement des services autres que les services de coopération commerciale
Il est délicat de tirer une conséquence certaine de la décision en ce qui concerne le traitement fiscal des «autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale» entre le fournisseur et le distributeur, au sens de l’article L. 441-7 du Code de commerce. Il s’agit par exemple des services de référencement ou de la fourniture de statistiques d’évolution des ventes dans les magasins. Cela s’explique par le fait que la question ne se posait pas directement en l’espèce.
Deux interprétations paraissent possibles à cet égard.
L’une consiste à considérer que le Conseil d’Etat écarte en principe, pour l’évaluation du prix de revient des stocks aux fins de calcul du bénéfice imposable à l’IS, toute référence aux dispositions du Code de commerce, qu’il s’agisse de services de coopération commerciale ou de «services qui en sont distincts». Cette interprétation peut se recommander de la formulation du considérant n°5 de la décision qui énonce que les obligations découlant des articles L. 441-6 et L. 441-7 du Code de commerce en matière de services de coopération commerciale et de services distincts sont «sans influence sur la détermination de la valeur des stocks en litige».
L’autre consiste à considérer que si la rémunération des «services» (quels qu’ils soient) doit rester sans effet sur le prix de revient des stocks, il n’en va pas de même si cette rémunération est en réalité prise en compte dans le prix d’achat. Cette analyse, qui ne nous paraît pas contredite par la formulation de la décision du Conseil d’Etat, est plus conforme à la nature plurielle des opérations susceptibles d’être conclues entre distributeurs et fournisseurs. L’article L. 441-7 du Code de commerce semble lui-même admettre que les « autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur » puissent faire l’objet d’une «rémunération» ou d’une «réduction de prix».
Reste à concilier cette dernière analyse avec celle qui prévaut en matière de TVA. Selon la doctrine administrative (BOI-TVA-DECLA-30-20-10, n°30, à jour au 13 janvier 2014), il résulte de l’article L. 441-7 du Code de commerce que les obligations destinées à favoriser la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services concourent à la détermination du prix de l’opération de fourniture. L’administration admet ainsi que lorsqu’en application de ces dispositions, les obligations auxquelles s’engage le distributeur ou le prestataire de services constituent des éléments de formation du prix de l’opération de vente, ces obligations ne sont pas constitutives de services distincts de l’opération de vente. Dans cette situation, les obligations relatives à la facturation portent sur la seule facture qui est adressée par le fournisseur à l’acheteur et sur laquelle figure le prix ainsi déterminé.
Cette doctrine présente l’avantage de la simplicité dès lors qu’elle permet de traiter indifféremment les «autres obligations» au sens du 3° du I de l’article L. 441-7 du code de commerce en réduction de prix pour l’application de la TVA. Rien n’interdit toutefois que ces obligations, si elles traduisent l’existence de prestations de services, puissent donner lieu en tant que telles à une facturation par le distributeur.
Auteur
Daniel Gutmann, avocat associé responsable de la doctrine fiscale, professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne.
*Le traitement fiscal des « marges arrière »* – Article paru dans le magazine Option Finance le 7 avril 2015