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La transparence sur les rescrits fiscaux : une nouvelle étape dans le plan européen de lutte contre l’évasion fiscale des sociétés

La transparence sur les rescrits fiscaux : une nouvelle étape dans le plan européen de lutte contre l’évasion fiscale des sociétés

Le 18 mars 2015, la Commission a présenté une proposition de directive1 visant à instaurer un échange automatique et obligatoire d’informations entre les Etats membres concernant leurs rescrits fiscaux.

Cette proposition s’inscrit dans une démarche européenne plus large visant à lutter contre la concurrence fiscale dommageable entre Etats membres et contre l’évasion fiscale des sociétés

L’examen par la Commission des pratiques fiscales de certains Etats membres au titre des règles relatives aux aides d’Etat

L’article 107 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) interdit les aides accordées par les Etats qui faussent la concurrence et les échanges entre Etats membres en accordant des avantages sélectifs à certaines entreprises. Par ailleurs, l’article 108 TFUE investit la Commission européenne d’un pouvoir de contrôle permanent des aides qui ne peuvent être mises en œuvre qu’avec son accord. Ainsi, la Commission peut ouvrir, de sa propre initiative, des procédures aux termes desquelles elle peut enjoindre à l’Etat membre concerné, non seulement d’y mettre fin pour l’avenir, mais surtout lui imposer de procéder à la récupération d’un montant équivalent à l’avantage accordé, cette obligation de restitution pouvant porter sur une période de dix années précédant l’ouverture de la procédure.

Jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix, ces dispositions n’ont eu que très peu d’écho en matière fiscale. Mais dans la foulée des conclusions du Conseil Ecofin du 1er décembre 1997, dont l’objectif était déjà de lutter contre la concurrence fiscale en instaurant un Code de Conduite des politiques fiscales des Etats membres, la Commission avait également adopté une communication relative à l’application des règles relatives aux aides d’Etat à la fiscalité directe2. Dans cette communication, la Commission annonçait déjà son intention de considérer comme aide d’Etat toute législation fiscale de nature à procurer un avantage à certaines entreprises en réduisant les bases d’imposition ou le montant de l’impôt dû. Elle indiquait également que toute pratique administrative discrétionnaire en matière fiscale tombait sous le coup de la prohibition des aides d’Etat. La Commission visait ici clairement la pratique, en vigueur dans de nombreux Etats membres et généralement encadrée par la loi, des rescrits fiscaux ou «rulings» en distinguant les rescrits qui se limitent à une interprétation objective de la règle de droit, lesquels sont présumés ne pas contenir d’aide, d’autres formes de rescrits dans lesquels les Etats disposent d’une marge de manœuvre et qui peuvent dans certain cas conférer à leur bénéficiaire un avantage qualifié d’aide d’Etat.

Au cours des années deux mille, la Commission s’est principalement attaquée à des législations fiscales sans s’intéresser spécifiquement à la question des rescrits. C’est aujourd’hui chose faite puisque, depuis juin 2014, la Commission a lancé plusieurs procédures formelles d’examen au titre des aides d’Etat à l’encontre de rescrits fiscaux délivrés par le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Irlande à certaines multinationales telles qu’Amazon3, Fiat4, Starbuck5 et Apple6 concernant la validation anticipée des critères de détermination de leurs prix de transfert. Dans la foulée de ces procédures, la Commission a, en décembre 2014, formellement demandé à tous les Etats membres de lui indiquer leurs pratiques en matière de rescrits et de lui communiquer tous ceux qu’ils auraient accordés depuis 2010.

A ce jour, les quatre procédures ouvertes concernent toutes la pratique des Advance Pricing Agreement (APA) qui sont des accords préalables sollicités par un contribuable auprès de l’administration fiscale par laquelle celle-ci valide les critères de détermination des prix de transfert qui serviront à calculer le bénéfice imposable de la société établie dans l’Etat concerné. En synthèse, la Commission reproche aux administrations nationales en cause, pour les quatre entreprises concernées, d’avoir validé des méthodes basées sur un ensemble de critères qui, selon elle, ne respecteraient pas le principe dit «de pleine concurrence» communément admis au sein des Etats membres de l’OCDE. La Commission estime qu’en délivrant des rescrits validant ces critères, ces Etats auraient, en pratique, permis à ces entreprises, via leur politique de prix de transfert, de minorer leurs bénéfices imposables ce qui s’apparenterait à une aide d’Etat.

Pour l’instant, ces procédures sont au stade de l’examen contradictoire et aucune décision finale n’a encore été prise. La qualification d’aide d’Etat repose donc exclusivement sur le point de savoir si les principes de l’OCDE ont bien été respectés, ce que seuls des experts pourront déterminer. Cela étant, si la qualification d’aide devait être confirmée, les conséquences en termes de récupération pourraient s’avérer extrêmement complexes à évaluer.

La proposition de directive visant à introduire l’échange automatique d’informations concernant les rescrits fiscaux

C’est dans ce contexte que la Commission prend acte du fait que l’échange d’informations entre les Etats membres concernant leurs rescrits fiscaux ou leurs APA est en pratique très limité. Selon la Commission, certaines entreprises exploiteraient ce manque de transparence pour transférer artificiellement leurs bénéfices dans certains Etats.

La proposition prévoit donc de rendre obligatoire l’échange d’informations concernant les rescrits fiscaux «en matière transfrontière» (c’est-à-dire une décision portant sur (i) la réalisation d’investissements, la fourniture de biens, services ou financements ou l’utilisation d’actifs corporels et incorporels impliquant plusieurs Etats ou (ii) l’existence ou non d’un établissement stable) et les APA. Tous les trois mois, les autorités fiscales nationales devraient envoyer à tous les autres États membres (et à la Commission) un rapport succinct sur toutes les décisions fiscales en matière transfrontière qu’elles ont délivrées. Les États membres pourraient alors demander des précisions sur telle ou telle décision. Cette obligation s’appliquerait y compris aux décisions qui ont été délivrées au cours des dix années précédant la date à laquelle la proposition de directive prendrait effet et qui seraient toujours valables à la date d’entrée en vigueur de la directive. Les rapports sur ces dernières décisions devraient être transmis aux autres Etats membres (et à la Commission) avant le 31 décembre 2016.

Selon la Commission, les autorités fiscales devraient être moins susceptibles d’accepter un traitement fiscal sélectif dès lors que leurs pratiques pourront être contrôlées par les autres administrations.

Autres initiatives en faveur de la transparence fiscale

Ce paquet présenté le 18 mars comprend d’autres propositions visant à faire progresser la transparence fiscale en Europe et notamment :

  • L’évaluation de l’introduction de nouvelles exigences documentaires pour les multinationales : les informations «pays par pays»

Sur le modèle de ce qui existe déjà pour les banques ou certaines entreprises des secteurs de l’extraction et de l’exploitation forestière, la Commission souhaite évaluer l’opportunité de la mise en place de règles obligeant les entreprises de toutes les industries à fournir des informations fiscales «pays par pays». Alors que, dans le cadre de son projet de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (projet «BEPS»), l’OCDE souhaite que ce type de rapport soit mis en œuvre dès 2017 (sur des données portant sur 2016), la Commission apparaît plus prudente en considérant qu’ «Une analyse approfondie est nécessaire pour déterminer les bénéfices, les coûts et les garanties requises en matière, par exemple, de protection des données ou de protection des secrets d’affaires, et pour examiner les incidences probables, notamment sur le plan de la compétitivité internationale».

  • La révision du code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises

Le code de conduite, en vigueur depuis fin 1997, fixe les critères qui déterminent si un régime fiscal est dommageable et oblige les Etats membres à supprimer toute mesure fiscale préjudiciable allant à l’encontre de ce code. La Commission envisage d’en réviser les critères qui, selon elle, auraient perdu en efficacité.

Les prochaines étapes

Ces propositions seront soumises au Parlement européen pour consultation et au Conseil en vue d’une adoption que la Commission espère rapide de manière à ce qu’elles puissent entrer en vigueur le 1er janvier 2016.

La Commission entend présenter un plan d’action sur la fiscalité des entreprises avant l’été qui devrait comprendre une proposition sur l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS), qui serait ainsi de nouveau soumise à la discussion. De plus, une réflexion devrait être initiée sur la manière d’intégrer au niveau communautaire les nouvelles mesures de l’OCDE résultant du projet «BEPS».

Notes

Techniquement, il s’agit de modifier la directive 2011/16/UE, elle-même modifiée par la directive 2014/107/UE.
Communication de la Commission, JOCE C 384, 10 décembre 1998
Décision SA.38944
Décision SA.38375
Décision SA.38374
Décision SA.38373

 

Auteurs

Claire Vannini, avocat en matière de droit de la concurrence national et européen.

Xavier Daluzeau, avocat associé, spécialisé en fiscalité internationale

 

*La transparence sur les rescrits fiscaux : une nouvelle étape dans le plan européen de lutte contre l’évasion fiscale des sociétés* -Article paru dans le magazine Option Finance le 20 avril 2015