Salariés protégés : une immunité disciplinaire ?

29 avril 2015
Par deux arrêts du 27 mars 2015, le Conseil d’Etat fixe les limites de la protection dont bénéficient les salariés protégés en rappelant que ces derniers peuvent être licenciés pour des fautes commises à l’occasion de leurs fonctions représentatives, sous réserve qu’elles s’analysent en une méconnaissance d’une obligation découlant de leur contrat de travail.
Un salarié protégé peut être licencié en raison de faits commis en dehors de l’exécution de son contrat …
La protection accordée aux représentants du personnel implique qu’ils ne puissent être licenciés en raison de l’exercice de leurs fonctions représentatives ou de leur appartenance syndicale.
La réponse s’avère beaucoup moins tranchée concernant les faits fautifs commis par les salariés protégés dans le cadre de l’exercice de leur mandat ou de leur vie privée.
Dans une décision «Patarin» du 4 juillet 2005, le Conseil d’Etat semblait avoir établi une distinction ténue entre les agissements rattachables à l’exécution du contrat de travail, pouvant être sanctionnés par un licenciement disciplinaire, et les agissements liés à l’exécution du mandat ne pouvant être sanctionnés (CE, 4 juil. 2005, n°272193).
Les deux arrêts du Conseil d’Etat du 27 mars 2015 ont le mérite de conforter et clarifier la jurisprudence sur cette question en jugeant «qu’un agissement du salarié intervenu en-dehors de l’exécution de son contrat de travail, ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s’il traduit la méconnaissance par l’intéressé d’une obligation découlant de ce contrat».
… sous réserve que les faits commis à l’occasion du mandat constituent la violation d’une obligation contractuelle.
Dans ces deux affaires, les faits reprochés aux salariés s’étaient déroulés dans le cadre de l’exécution de leur mandat, à savoir à l’occasion d’une réunion du Comité d’Etablissement pour l’un et durant ses heures de délégation pour l’autre.
Dans le premier arrêt (CE, 27 mars 2015 n°368855), l’employeur avait sollicité et obtenu l’autorisation administrative de procéder au licenciement pour faute d’un délégué syndical, représentant syndical au CHSCT et au Comité d’Etablissement qui avait asséné un violent coup de tête à un autre salarié lors d’une suspension de séance du Comité d’Etablissement, occasionnant à ce dernier une incapacité temporaire de travail de 30 jours.
Le salarié contestait l’autorisation administrative de licenciement en avançant que ces faits avaient été commis à l’occasion de l’exercice de son mandat et ne pouvaient, de ce fait, être sanctionnés.
Pour le Conseil d’Etat, le fait que cet acte de violence ait eu lieu à l’occasion des fonctions représentatives de l’intéressé est indifférent, dès lors que ces faits traduisent un manquement à son obligation «de ne pas porter atteinte, dans l’enceinte de l’entreprise, à la sécurité d’autres membres du personnel», découlant de son contrat de travail.
Dans le deuxième arrêt rendu le même jour (CE, 27 mars 2015 n°371500), un employeur avait sollicité l’autorisation de licencier une salariée protégée occupant des fonctions de chauffeur routier, pour avoir exercé une activité salariée dans une autre société pendant ses heures de délégation.
La cour administrative d’appel de Lyon avait jugé que ces faits n’avaient pas été accomplis à l’occasion de l’exécution du contrat de travail et ne pouvaient donc pas justifier un licenciement.
La Haute Cour censure la juridiction d’appel en considérant que «l’utilisation par un salarié protégé de ses heures de délégation pour exercer une autre activité professionnelle méconnait l’obligation de loyauté à l’égard de son employeur.»
Cette solution peut être rapprochée de la jurisprudence du Conseil d’Etat relative au pouvoir disciplinaire de l’employeur pour des faits commis dans le cadre de la vie privée : le Conseil d’Etat juge sur ce point qu’un salarié protégé peut être licencié pour des faits tirés de sa vie privée dès lors que ces derniers traduisent « la méconnaissance par l’intéressé d’une obligation découlant de ce contrat » (CE, 15 déc. 2010 n°316856).
Une protection au titre du mandat qui connaît donc des limites
Le Conseil d’Etat est ainsi venu rappeler que si les salariés protégés «bénéficient d’une protection exceptionnelle dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs qu’ils représentent», l’exercice d’un mandat ne leur offre pas pour autant une immunité leur permettant de se soustraire à leurs obligations contractuelles.
Auteurs
Thierry Romand, avocat associé en droit social.
Virginie Séquier, avocat en matière de droit social
*Salariés protégés : une immunité disciplinaire ?* – Article paru dans Les Echos Business le 29 avril 2015
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