Licenciement économique, sécurisation et transaction : une ambition nouvelle ?
14 mai 2013
Concilier la « revendication indemnitaire » et le principe de sécurité juridique demeure un objectif. L’évolution prochaine du droit du licenciement pour motif économique invite à renouveler la réflexion sur le régime indemnitaire mis en œuvre dans un cadre transactionne : la « transaction collective » peut-elle être réhabilitée ?
Le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) est mis en œuvre pour éviter des licenciements. Il ignore les mesures indemnitaires : celles accordant des avantages à caractère financier à l’occasion de la rupture du contrat de travail. Ces mesures prennent pourtant une place réelle dans l’économie des PSE.
La « revendication indemnitaire » est le fruit de causes multiples : sentiment d’injustice, état de détresse, difficultés sociales et financières, etc. C’est un fait qui ne peut être ignoré.
Les indemnités de rupture contre l’emploi ?
Les pouvoirs publics ont toujours critiqué les mesures indemnitaires. Elles détourneraient le plan de sa finalité principale : le reclassement. Elles conduiraient à un affaiblissement de la qualité des mesures de reclassement ou même constitueraient un frein à celui-ci, ce par l’illusion pour le salarié d’une sécurité financière provisoire.
Les indemnités de rupture : un statut légal
Les mesures indemnitaires sont formellement étrangères aux dispositions légales relatives au contenu du PSE. Elles ne sont pas prises en compte par le juge lorsque celui-ci contrôle la validité de ce plan. Pourtant, les mesures indemnitaires ne sont pour dépourvues de tout statut légal. Elles ont un statut fiscal et social propre. Défini par l’article 80 duodecies du Code général des impôts et l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale, il régit l’ensemble des indemnités destinées à compenser le préjudice subi par le salarié du fait de la rupture de son contrat, et ce quelle que soit leur dénomination.
Cependant leur sort dans le contentieux du licenciement économique ne conduit en rien à une sécurisation des procédures pour l’entreprise.
Le régime des indemnités de rupture et le risque contentieux
Revendiquée, figurant souvent dans les PSE, gouvernée par un régime social et fiscal défini par la loi, la question indemnitaire demeure néanmoins une source importante de contentieux. La jurisprudence reconnait une nature propre aux indemnités de rupture. Quel que soit leur montant, le juge a tendance à ne pas les prendre en compte lorsqu’il doit condamner l’employeur parce que le licenciement ne repose pas sur d’une cause réelle et sérieuse.
La Cour de cassation considère que les indemnités prévues par le PSE n’ont pas le même objet que les dommages et intérêts accordés à raison de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement (qui eux réparent le préjudice résultant des irrégularités de forme et de fond du licenciement).
Il apparaît ainsi que le régime de l’indemnisation de la rupture manque de cohérence dans la juste appréciation de la réparation du préjudice. Les parties prenantes aux procédures ont donc tenté de faire une place à la transaction, précisément en tant que source de « sécurisation juridique ».
La transaction collective condamnée par la jurisprudence
Les parties aux procédures de licenciement sont fréquemment amenées à négocier le montant des indemnités de rupture. Elles inscrivent parfois le principe de l’indemnisation et ses modalités de mise en œuvre dans un accord prévoyant que le versement aux salariés de ces indemnités s’inscrit dans le cadre de la signature ultérieure par chacun d’eux d’une transaction.
La finalité est évidente : indemniser et éviter le contentieux.
Cette pratique, parfois présentée de façon peu appropriée sous le vocable de « transaction collective », a été condamnée par la jurisprudence (C. cass., 5 avril 2005, 14 juin 2006, 20 nov. 2007). L’arrêt du 20 novembre 2007, précisait ainsi « un plan de sauvegarde de l’emploi ne peut prévoir la substitution des mesures qu’il comporte destinées à favoriser le reclassement, par une indemnisation subordonnée à la conclusion d’une transaction emportant renonciation à toute contestation ultérieure de ces mesures ».
La condamnation par la jurisprudence du régime indemnitaire accompagné d’une transaction procède surtout d’une crainte viscérale : éviter que les indemnités se substituent au reclassement. Cette crainte peut être surmontée.
Vers une réhabilitation de la transaction collective ?
Plusieurs facteurs sont réunis pour favoriser la réhabilitation du régime indemnitaire prévoyant des transactions. L’émergence réaffirmée du principe de sécurité juridique est évidente. Ce principe général du droit a inspiré les négociateurs de l’ANI du 11 janvier 2013 en ce qui concerne les procédures de licenciement économique.
Le développement de la norme conventionnelle constitue en outre un facteur supplémentaire de réhabilitation. La réforme de la représentativité (loi du 20 août 2008) a renforcé la légitimité des accords collectifs. La prochaine loi de sécurisation de l’emploi permettra pour sa part à l’accord collectif de fixer le contenu du PSE et de prévoir d’autres dispositions.
Le déplacement du licenciement pour motif économique du pouvoir unilatéral du chef d’entreprise vers la sphère conventionnelle ne sera pas sans conséquences. Le régime indemnitaire pourrait faire partie de la négociation, les mesures en résultant être incluses dans l’accord collectif, et le bénéfice des indemnités prévues s’inscrire, postérieurement à la rupture du contrat de travail, dans un cadre transactionnel.
Le régime indemnitaire laisserait entier le nouveau contrôle administratif sur la validité du plan et donc sur l’exigence impérative de reclassement. La créativité des acteurs pourrait permettre de définir des droits à indemnisation (« offre de transaction ») selon des critères objectifs.
Ce régime serait porteur d’une indemnisation juste et protectrice des intérêts des salariés par son caractère collectif. Il serait facteur de paix sociale en accueillant la revendication indemnitaire. Il demeurerait respectueux des droits de chacun, y compris au titre du reclassement, ce au moyen de l’exercice individuel du consentement.
Rendre compatible la revendication indemnitaire et le principe de sécurité juridique : la « transaction collective » est assurément à réinventer.
A propos de l’auteur
Laurent Marquet de Vasselot, avocat associé spécialisé en matière de relations sociales. Sa grande expertise du droit social l’ont amené, depuis plus de 20 ans, à être le conseil régulier de grandes entreprises et institutions, pour la conduite de leur politique sociale et des ressources humaines, et la mise en œuvre de leur restructuration.
Article paru dans Les Echos Business du 14 mai 2013
A lire également
Licenciements économiques et transferts d’entreprise : une réconciliation ?... 7 juillet 2016 | CMS FL
Confirmation du caractère confidentiel de la procédure de transaction... 9 novembre 2017 | CMS FL
La lettre de licenciement notifiée en recommandé AR : une condition indispensa... 22 octobre 2020 | CMS FL Social
Des salariés au conseil d’administration : un pas vers la cogestion ?... 8 juillet 2013 | CMS FL
L’impossibilité de reclasser le salarié licencié pour motif économique... 23 mars 2015 | CMS FL
Transaction rédigée en termes généraux : quelle est sa portée sur le sort d... 7 avril 2021 | CMS FL Social
Licenciement économique du salarié inapte en cas de cessation d’activité dâ... 9 novembre 2021 | Pascaline Neymond
Licenciements en période d’observation : absence de portée de l’or... 7 août 2020 | CMS FL Social
Articles récents
- La « charte IA » : un outil de contrôle et de conformité désormais incontournable
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025
- Un salarié licencié pour harcèlement sexuel ne peut se prévaloir du phénomène «#Metoo»
- Régimes de retraite des dirigeants : prestations définies versus actions gratuites
- SMIC : Relèvement du salaire minimum de croissance au 1er novembre 2024
- Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur
Soumettre un commentaire