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PV et abattement : le calcul de la durée de détention n’est simple qu’en apparence…

PV et abattement : le calcul de la durée de détention n’est simple qu’en apparence…

Coïncidence heureuse de calendrier, un arrêt du Conseil d’Etat a été rendu le 20 mars dernier en même temps que la mise en ligne des commentaires définitifs de l’Administration fiscale sur le régime des plus-values des particuliers. De quoi alimenter les réflexions autour des modalités de calcul de la durée de détention des titres dans le cas des cessions de gré à gré. Point pratique sur les précautions à prendre.

Les plus-values de cession de titres réalisées par des particuliers sont soumises à l’impôt sur le revenu au barème progressif, après application d’un abattement pour durée de détention (qui n’est pas pris en compte pour le calcul des prélèvements sociaux et de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus). L’abattement s’élève en principe à 50% pour les titres détenus depuis plus de deux ans, 65% depuis plus de huit ans, et peut même atteindre 85% dans certains cas spécifiques. Il permet ainsi de réduire le taux d’imposition effectif global des plus-values de 64,5% maximum, à 26,25% maximum (avec l’abattement de 85%)1. La sécurisation des modalités de calcul de la durée de détention des titres cédés est donc essentielle, en particulier pour les cessions de gré à gré (lorsque les transactions ne passent pas par un marché réglementé). Or, la loi n’apporte aucune précision sur la date constituant le point de départ de ce délai, et retient comme terme la notion assez vague de «date de la cession»2.

Dans les commentaires administratifs : des précisions attendues…

Les commentaires administratifs du nouveau régime des plus-values des particuliers précisent que le point de départ du délai de détention est «la date de souscription (même si les souscriptions sont libérées ultérieurement) ou d’acquisition (à titre onéreux ou gratuit) des actions, parts, droits ou titres cédés», et que le terme du délai de détention s’entend de «la date de conclusion de la vente contenue dans l’acte de cession, en cas de cession de gré à gré»3.
Les dates du départ et du terme de la durée de détention sont donc celles du transfert juridique de propriété des titres. L’Administration fiscale a d’ailleurs pris le soin de préciser qu’ «en cas de vente sous condition suspensive ou comportant un transfert de propriété différé, la date à prendre en compte s’entend du jour de transfert de propriété». Cette durée de détention s’apprécie de date à date. En cas de cession de titres acquis à des dates différentes il y a lieu d’appliquer la méthode, en principe favorable, dite du «premier entré, premier sorti» (PEPS) pour calculer la durée de détention des titres cédés4.

Selon l’Administration, le contribuable doit être en mesure de justifier du délai de détention ainsi que de son caractère continu5. En cas de cession de titres de gré à gré, de telles justifications sont susceptibles d’être apportées par la production notamment des actes d’acquisition et de cession des titres, voire par la production d’un extrait du registre de titres de la société émettrice (cas d’une gestion au nominatif pur). A défaut, le contribuable ne pourra se prévaloir que de la date de détention la plus ancienne qu’il est en mesure de justifier (via un relevé bancaire au 31 décembre par exemple, ou encore, à notre avis, la preuve d’une perception de dividendes, d’une convocation à une assemblée en tant qu’actionnaire, etc.). Rien n’est précisé concernant le terme de la cession, mais il paraît raisonnable de retenir une approche symétrique, et de considérer ainsi que la date de cession des titres pourrait être justifiée par tout moyen.

…à appréhender à la lumière de la jurisprudence du Conseil d’Etat

Le 20 mars dernier, le Conseil d’Etat rappelait, dans une affaire relative à une cession de parts de SARL, que «le transfert [de propriété de titres] n’est opposable à l’Administration qu’à compter de la date à laquelle ont été accomplies les formalités légales de publicité à l’égard des tiers ou du jour à compter duquel l’administration a été informée de la cession, s’il est antérieur à cette date»6.

Bien qu’elle ait été rendue dans un litige où était en cause le rattachement d’une plus-value à une année donnée, cette décision risque d’être transposable à la computation des délais de détention, car il s’agit bien dans les deux situations de déterminer quelle date de transfert de propriété est opposable à l’Administration. Le Conseil d’Etat avait du reste déjà retenu une solution similaire autorisant l’Administration à contester la déduction d’une moins-value réalisée par une société au motif que celle-ci relevait en réalité du régime du long terme, les formalités nécessaires à l’opposabilité aux tiers du transfert de propriété desdits titres n’ayant pas été accomplies avant l’expiration du délai de deux ans après leur acquisition7.

Cette décision du 20 mars 2015 s’inscrit donc dans la continuité d’une jurisprudence déjà bien établie selon laquelle la cession est considérée comme «occulte» vis-à-vis de l’Administration pendant la période s’écoulant entre la date du transfert de propriété et la réalisation des formalités rendant opposable cette cession aux tiers. Cette approche, qualifiée de «théorie de l’apparence», permet à l’Administration, à son gré, de retenir comme date de transfert de propriété soit la date de transfert de propriété entre les parties, soit la date de réalisation des formalités nécessaires pour le rendre opposable aux tiers, sauf si l’opération a été portée à la connaissance de l’Administration (par l’enregistrement de l’acte au service des impôts par exemple) à une date antérieure, qui lui serait donc opposable.

Les commentaires au BOFiP ne mentionnent pas ce risque non négligeable. Mais encore faut-il, pour qu’il puisse se concrétiser, qu’un décalage existe entre la date de transfert de propriété entre les parties et la date de son opposabilité aux tiers. Et, à cet égard, deux situations sont à distinguer :
Pour les parts sociales (comme, par exemple, les parts de SARL), le transfert de propriété s’opère en principe dès l’accord sur la chose et sur le prix, en application des règles de droit civil, alors que l’opposabilité aux tiers résulte de la publication des statuts modifiés au registre du commerce et des sociétés.

Il n’en va pas de même en présence d’actions, dont les cessions sont régies par le Code de commerce, pour lesquelles le transfert de propriété comme l’opposabilité aux tiers interviennent à une seule et même date, à savoir celle de l’inscription des actions au compte de l’acheteur par la société émettrice, qui correspond à la date fixée par les parties et notifiée à la société émettrice8. Il n’existe donc pas de période pendant laquelle la cession pourrait être considérée comme «occulte».

On notera cependant que les commentaires administratifs parus au BOFiP ne distinguent pas selon que les titres transférés consistent dans des actions ou dans des parts sociales. On aimerait y voir une volonté de l’Administration de privilégier désormais, y compris pour les parts sociales, la notion de transfert de propriété par rapport à la théorie de l’apparence.

Réflexes pratiques

Lorsqu’un délai se décompte de date à date, chaque jour peut compter, et deux précautions valent mieux qu’une !

En présence d’actions, le transfert juridique de propriété et l’opposabilité aux tiers survenant simultanément lors de l’inscription des actions au compte de l’acheteur, il est important, surtout pour sécuriser la date du point de départ du délai de détention, de notifier au plus vite l’opération à la société émettrice (ou de la faire intervenir à l’acte), afin qu’elle puisse procéder à cette inscription sans délai. Par ailleurs, et pour éviter toute discussion inutile sur une éventuelle application de la théorie de l’apparence aux cessions d’actions, il pourrait être conseillé de procéder par pragmatisme à un enregistrement rapide de l’acte auprès du bureau d’enregistrement compétent.

En présence de parts sociales, afin d’assurer une date de point de départ opposable à l’Administration, il est recommandé de procéder rapidement à la publication des statuts modifiés au registre du commerce et des sociétés ou à l’enregistrement immédiat de l’opération auprès du service des impôts compétent (même si, légalement, celui-ci peut être accompli dans un délai d’un mois).

Enfin, compte tenu de l’application de la règle PEPS, on veillera dans certains cas, comme lorsque des titres acquis à des dates différentes sont en partie cédés et en partie apportés à une holding de réinvestissement, de prévoir un séquençage des opérations permettant d’assurer un meilleur bénéfice des abattements.

Notes

1 Soit 45%+15,5%+4% vs. (1-85%) x 45%+ 15,5% + 4%
2 Article 150-0 D et suivants du CGI
3 BOI-RPPM-PVBMI-20-20-20-20 n°1 à 20
4 BOI précité n°50 à 200
5 BOI-RPPM-PVBMI-20-30-40-20 n°10 à 15
6 CE, 20 mars 2015, n°369167
7 CE, 14 mars 1984, n°35689
8 Article L. 228-1 al 9 et R. 228-10 du Code de commerce

 

Auteurs

Jean-Charles Benois, avocat en fiscalité

Damien Basson, avocat en fiscalité

 

*PV et abattement : le calcul de la durée de détention n’est simple qu’en apparence…* – Article paru dans le magazine Option Finance le 4 mai 2015
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