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Le curieux licenciement économique pour refus de mobilité

Les nouveaux accords de mobilité prévus par la loi de sécurisation de l’emploi poseront des questions nouvelles, dans leur mise en œuvre comme dans leur contrôle. C’est aussi l’occasion d’observer l’importance grandissante des normes internationales et européennes sur le droit français du travail.

L’ANI du 13 janvier 2013 et la Loi sur la sécurisation de l’emploi ont eu pour mérite commun de vouloir clarifier le régime du licenciement consécutif au refus du salarié d’accepter une mobilité professionnelle ou géographique définie par l’accord d’entreprise qui s’applique à son contrat de travail, sortant ainsi ce type de licenciement de la zone grise dans laquelle il s’inscrivait jusqu’à présent.

Mais, là où les signataires de l’ANI avaient opté pour un licenciement pour motif personnel, le Gouvernement, sur l’avis du Conseil d’Etat, a retenu la qualification de licenciement pour motif économique … mais individuel. Les raisons invoquées tiennent à l’environnement du droit international du travail et en particulier à la convention n° 158 de l’OIT. Même si elles sont loin d’être pleinement convaincantes, on peut comprendre ce souci de sécurité juridique.

Plus qu’une impression de non-conformité à la constitution sur le fondement de la liberté d’entreprendre (cf. le recours formé par des parlementaires de l’opposition à l’encontre de l’article 10 de la loi), la qualification retenue laisse surtout une impression d’étrange.

En effet, si la procédure s’inspire largement du licenciement économique dans sa dimension individuelle, on s’en éloigne singulièrement tant pour la procédure collective que pour le contrôle de la cause réelle et sérieuse.

La dimension individuelle de la procédure
Inspirée du droit du licenciement économique, la procédure requise s’en démarque cependant quelque peu.

Elle doit en effet être précédée d’une phase de concertation entre employeur et salarié. Cet égard particulier constituera sans doute un préalable indispensable à la régularité de la procédure, voire plus… ?

Ensuite, s’enclenche la procédure de modification du contrat de travail pour un motif économique prévue à l’article L. 1222-6 du code du travail (information du salarié par lettre recommandée avec accusé de réception, délai de réflexion d’un mois ouvert au salarié pour faire connaître son refus éventuel, acceptation de celui-ci réputée donnée à défaut de réponse de sa part),

L’employeur n’est, enfin, pas dispensé de l’obligation de rechercher le reclassement du salarié.

Il reviendra cependant à l’accord d’entreprise d’adapter le champ et les modalités de mise en œuvre du reclassement interne prévu aux articles L. 1233-4 et L. 1233-4-1. Cette adaptation à laquelle invite la loi peut laisser entendre qu’il pourrait s’agir d’une obligation de reclassement « allégée ».

Attention cependant à la nocivité déclarée après coup des produits allégés…

Une procédure collective court-circuitée
D’aménagée, la procédure applicable devient dérogatoire lorsque la loi prévoit que le licenciement est prononcé selon les modalités d’un licenciement individuel pour motif économique, quel que soit le nombre de salariés ayant refusé la mobilité proposée. L’intention est ici de dispenser l’employeur des procédures de concertation avec les partenaires sociaux requises en cas de licenciement collectif et de mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi le cas échéant, alors même que le Ministre du travail observait lors des débats sur le projet de loi à l’Assemblée Nationale « que la question n’est pas posée individuellement et ne concerne pas un salarié particulier ».

Doit-on toutefois y voir un risque ?

Ici encore, les opposants ont invoqué certains engagements internationaux de la France et, notamment, la directive européenne du 20 juillet 1998. On notera cependant que cette directive n’est pas d’application directe entre personnes de droit privé. Mais on peut surtout être rassuré par la nécessaire intervention de la représentation élue du personnel tant sur le projet d’accord avec les organisations syndicales que, surtout, sur la mise en œuvre de la mesure collective génératrice de mobilité.

Signalons cependant qu’il faudra aussi tenir compte, le cas échéant, des dispositions contraires de conventions collectives de branches (notamment dans l’Industrie Pharmaceutique).

Un motif économique sui generis
La nature économique du licenciement retenue par la loi interdit de rechercher le motif dans le seul refus du salarié.

Mais ce motif économique ne s’inscrit pas davantage dans le tryptique classique des difficultés économiques, des mutations technologiques et de la préservation de la compétitivité de l’entreprise. Mais alors, le caractère réel et sérieux du licenciement économique n’étant pas présupposé, quel contrôle le juge opèrera-t-il du motif réel et sérieux ? Car contrôle il doit y avoir, notamment au regard de la Convention européenne des droits de l’homme ou de la convention 156 de l’OIT Un premier contrôle portera sur le contenu de l’accord et le respect de ses dispositions. Mais il s’y ajoutera sans doute un contrôle de proportionnalité, comme y invite la référence faite par le nouvel article L. 2242-22à l’article L. 1121-1 du code du travail selon lequel « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Il faudra également tenir compte des textes internationaux qui protègent le droit à une vie personnelle et familiale, récemment invoqués par la cour d’appel de Versailles (CA Versailles, 05/09/12, n° 11-00637).

Le caractère négocié des mesures de conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale qui figurent au contenu obligatoire de l’accord de mobilité devrait constituer un frein au contrôle judiciaire de ce curieux licenciement économique.

 

A propos de l’auteur

Pierre-Jean Sinibaldi, avocat associé. Il est spécialisé en droit social et intervient en matière de conseil et défense des entreprises. Il traite plus particulièrement des questions relatives : à l’aménagement du temps de travail, à la politique salariale et l’épargne salariale, à la négociation collective et à la représentation du personnel, aux plans de sauvegarde de l’emploi, aux contentieux collectifs et individuels (relations de travail, importants contrôles et contentieux URSSAF …), au statut des dirigeants, aux aspects sociaux d’opérations de rapprochement et de cession d’entreprises, à l’harmonisation européenne des politiques de ressources humaines, aux plans de retraite et de prévoyance, à la gestion de la mobilité internationale et aux restructurations nationales et internationales et à la mise en place de plans d’actionnariat salarié.

 

Article paru dans Les Echos Business du 12 juin 2013

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