L’évaluation des sociétés immobilières et des immeubles : des méthodes de valorisation à fort enjeu fiscal
La question de la valorisation des actifs immobiliers des particuliers ou des entreprises reste toujours d’actualité dans un contexte de crise où l’immobilier est une valeur refuge, alors que l’Administration maintient une pression forte en matière de contrôles fiscaux.
De manière générale, le mode de valorisation que le contribuable doit adopter pour satisfaire à ses obligations fiscales doit reposer sur la recherche de la «valeur vénale» des biens, notion dont la loi fiscale ne donne paradoxalement aucune définition. C’est ainsi la jurisprudence et la doctrine administrative qui ont fixé le principe selon lequel la valeur vénale d’un bien correspond au prix qui pourrait être obtenu par le jeu de l’offre et de la demande dans un marché réel, abstraction faite de toute valeur de convenance.
Si la définition ainsi retenue participe d’une conception objective de la valeur vénale (valeur d’échange) et non d’une conception subjective (valeur de convenance ou d’utilisation), il apparaît que l’Administration et certaines juridictions ne font pas une application satisfaisante de ces principes, ce qui est souvent source d’incompréhension et d’insécurité.
Principes généraux de valorisation
Traditionnellement, la méthode privilégiée et retenue par la jurisprudence pour déterminer la valeur vénale d’un bien immobilier consiste à se référer aux prix constatés dans des ventes récentes portant sur des biens intrinsèquement similaires. Bien évidemment, il existe une jurisprudence abondante sur l’interprétation de ce qu’il convient d’entendre par biens ntrinsèquement similaires lorsque notamment il n’en existe pas.
Ainsi, la Cour de cassation a jugé que si la valeur vénale réelle d’un immeuble ne peut pas être déterminée sans qu’il soit procédé à des comparaisons tirées de la cession de biens intrinsèquement similaires, cette exigence n’implique pas pour autant que les biens ainsi pris en considération soient strictement identiques, dans le temps, dans l’environnement et dans l’emplacement (Cass. com. 12 janvier 1993 n°25 P, SCI du Chemin des Anes).
Cette méthode de comparaison trouve cependant une limite lorsqu’il s’agit de biens générateurs de revenus ou plus encore de sociétés immobilières.
S’agissant ainsi d’immeubles, il existe une réelle différence entre l’évaluation d’un bien privatif, résidence principale ou secondaire, et celle d’un bien productif de revenus, pour lequel c’est la méthode de capitalisation des revenus qui est le plus souvent utilisée. Si celle-ci consiste à déterminer la valeur d’un bien par la capitalisation de son revenu, elle emprunte néanmoins à la méthode de comparaison dans le sens où le taux de capitalisation retenu est en principe celui pratiqué par le marché et reflété par les transactions les plus récentes.
Ce faisant, de nombreuses sources de désaccord peuvent exister avec l’Administration dans l’application de cette méthode.
Il convient tout d’abord de retenir la même définition du revenu de l’immeuble, à savoir loyer brut, loyer net, ou bien encore loyer triple A par exemple.
De plus, la qualité des locataires, la nature et la durée du bail conclu, influent notablement sur le taux de capitalisation retenu des loyers.
Enfin, des facteurs physiques, géographiques, juridiques et économiques peuvent également être pris en considération. Il peut s’agir ainsi de l’état d’entretien du bien et des travaux à réaliser, ou d’une modification à venir des conditions d’exploitation du bien (modification de l’environnement urbanistique ou bien encore réglementaire).
Sociétés immobilières
La question de la valorisation des actifs immobiliers des particuliers ou des entreprises se pose également souvent dans le cadre d’un patrimoine immobilier détenu par l’intermédiaire d’une société dédiée, soumise ou non à l’IS lorsque l’immeuble produit des revenus locatifs. L’exercice de valorisation devient alors un peu plus complexe puisqu’il s’agit d’évaluer une société mais à prépondérance immobilière.
Cette spécificité fait qu’en règle générale (nous n’évoquons pas dans le cadre des présentes les sociétés cotées ou faisant appel public à l’épargne) et sauf cas particuliers de mutations récentes ayant porté sur d’autres titres de la société, pouvant alors servir de valeur de comparaison, les méthodes financières classiques de détermination de la valeur d’une société non cotée n’influent que peu dans la détermination de la valeur des titres d’une société immobilière, laquelle est principalement opérée par la méthode de l’actif net réévalué, à l’exception cependant des situations de participations minoritaires pour lesquelles la valeur de rendement est plus utilisée.
La méthode de l’actif net comptable réévalué (VMR) consiste à rajouter à l’actif net comptable de la société, la plus-value latente déterminée sur les immeubles détenus, la valorisation des immeubles étant alors opérée comme indiqué ci-dessus.
Ainsi, à titre d’exemple, les méthodes de rendement (VR) ou d’actualisation des flux financiers futurs (DCF) interviennent plus que rarement dans la détermination de la valeur des titres et ne sont souvent utilisées que dans le cadre d’une pondération du type (VMR × 3 + VR × 1 + VDFC × 1)/5.
Aux valeurs ainsi déterminées, différents correctifs s’appliquent pour tenir compte de l’absence de liquidité du titre ou d’une situation de minoritaire, ou bien encore s’agissant de sociétés de personnes, du risque dit de «responsabilité» justifiant des décotes du même nom.
Nous évoquerons ci-après deux autres types de correction de valeurs liées à la fiscalité qui continuent de faire débat avec l’administration fiscale et qui, bien que consacrées par la pratique, restent contestées, ce qui peut aboutir à des valeurs vénales théoriques supérieures aux valeurs obtenues par le contribuable.
Incidence des droits de mutation
L’une des questions proprement fiscales qui se posent dans la détermination de la valeur d’un actif immobilier est ainsi tout d’abord liée à la prise en compte du coût des droits de mutation, dont le poids est loin d’être négligeable dans le cadre des transactions portant sur des actifs ou des titres de sociétés immobilières.
Du point de vue des investisseurs ou cessionnaires, le prix qu’ils sont prêts à débourser pour acquérir les actifs s’exprime de manière générale en tenant compte des frais d’acquisition parmi lesquels figurent en premier lieu les droits d’enregistrement lorsqu’ils sont exigibles sur la mutation : la valeur que les investisseurs donnent à l’actif, correspondant au prix qu’ils acceptent de payer, est alors dite «droits nclus».
Corrélativement, du point de vue des propriétaires fonciers la valeur vénale est fréquemment exprimée «hors droits» et correspond alors au prix net vendeur qu’ils peuvent espérer retirer de la vente de leurs actifs, compte tenu des conditions qui leur sont imposées par le marché et les acquéreurs. Cette valeur dite «hors droits» ou «prix net vendeur» servira de base au calcul de leur plus ou moins-value de cession ; c’est aussi la valeur vénale qui servira d’assiette aux droits de mutation applicables en cas de vente d’immeuble.
La question se pose de la faculté qu’a le contribuable, dans le cadre de la valorisation des titres d’une société immobilière, de retenir une approche de valorisation hors droits pour les titres alors même que la valeur de l’actif sous-jacent a été déterminée hors droits. Bien que cette pratique soit fréquente sur le marché et ait pu être confirmée par des experts ou des organismes professionnels, elle a été contestée par l’administration fiscale dans différents dossiers, au motif qu’elle aboutirait à une sorte de «double décote», prenant deux fois en compte un coût identique, l’Administration estimant que le contribuable ne doit retenir l’approche de valorisation hors droits qu’à un seul niveau puisqu’il ne cède qu’un seul bien. Ce raisonnement de l’Administration se révèle tout à fait contestable dès lors que, fondée ou non, la méthode incriminée se trouve être mise en oeuvre sur le marché, dans le cadre de transactions réelles. Le Conseil d’Etat devrait être appelé à trancher ce débat prochainement.
Incidence de la fiscalité latente
Mais la principale décote appliquée sur la valeur des titres d’une société immobilière est la décote pour fiscalité latente, qui trouve son fondement dans l’existence d’un passif fiscal latent considéré comme existant à la date de l’évaluation des titres à raison des plus-values latentes figurant sur les actifs immobiliers de la société. Les acquéreurs considèrent en effet qu’ils seront amenés à supporter la fiscalité latente en question en cas de cession ultérieure des immeubles par la société, alors même qu’ils ne disposent pas par ailleurs de la possibilité d’amortir le prix d’acquisition des droits représentatifs des biens immobiliers acquis puisqu’il s’agit de titres
de société.
La décote correspondante est ainsi susceptible de s’élever au montant de l’impôt sur les sociétés au taux de 33,1/3% calculé sur les plus-values latentes. Rappelons que cette décote concerne en principe les sociétés immobilières soumises à l’IS dans la mesure où la jurisprudence «Quémener» permet dans certaines conditions à une société soumise à l’IS, qui procède à l’acquisition des parts d’une société de personnes non soumise à l’IS, de dissoudre la société acquise et de revaloriser ses actifs sans supporter le coût fiscal d’une plus-value qu’elle a déjà payé dans le prix des parts.
Alors que la pratique du marché a clairement confirmé l’existence de cette décote, seul le taux d’IS théorique retenu étant susceptible de variation, du fait de la négociation entre les parties, l’administration fiscale et les commissions départementales de conciliation (en ce sens également Cass. com. du 12 juin 2012, n°11-30396) refusent en pratique qu’il en soit tenu compte sauf pour les titres de sociétés de marchand de biens, de promotion immobilière ou de construction-vente, au motif que l’activité d’une société foncière n’étant pas de céder tous ses actifs, aucune décote pour tenir compte d’une charge fiscale latente sur des actifs considérés comme utiles à l’exploitation et donc destinés à être conservés, ne serait justifiée.
On perçoit ici encore la façon tout à fait contestable dont il peut être ainsi fait application de façon théorique de la notion de prix de marché lorsque les pratiques et usages du marché contribuent de façon différente à la détermination de la valeur de tels titres.
Protection jurisprudentielle de la nécessité d’un écart significatif
Rappelons enfin que le Conseil d’Etat, appelé à juger de l’existence d’une libéralité dans une insuffisance de prix, requiert de l’Administration qu’elle apporte la preuve de l’existence d’un écart significatif entre la valeur vénale
du bien et le prix de la transaction et qu’ainsi, dans une décision Hérail du 3 juillet 2009, la haute juridiction avait considéré qu’un écart de 9% à 20% n’était pas significatif, le rapporteur public dans cette affaire expliquant qu’il «semble exclu de regarder comme significatif un prix qui ne s’écarterait pas de moins de 20% de la valeur vénale estimée».
Outre que cette décision a été rendue en matière d’évaluation de titres non cotés non immobiliers, l’évolution récente de la jurisprudence administrative peut laisser présumer un durcissement. Saisi d’un pourvoi à l’encontre d’un arrêt du 21 avril 2011 de la cour administrative d’appel de Nantes qui avait jugé qu’un écart de 12% entre la valeur vénale retenue par l’Administration et le prix de cession d’un appartement était suffisamment significatif, le Conseil d’Etat a prononcé une décision de refus d’admission du pourvoi, le rapporteur public indiquant que le juge de cassation ne devait pas exercer un contrôle de qualification juridique sur le caractère significatif de l’écart mais laisser cette appréciation au pouvoir souverain des juges du fond.
Auteurs
Richard Foissac, avocat associé spécialisé en fiscalité directe
Frédéric Gerner, avocat spécialisé en fiscalité directe