Les commentaires administratifs sur l’intégration horizontale, très attendus, confirment que le passage d’un groupe vertical à un groupe horizontal ne peut se faire sans coût, ce qui nous paraît critiquable.
D’autres précisions, favorables ou défavorables sont aussi à noter.
Prenant acte de la décision de la CJUE du 12 juin 2014 (SCA Group Holding BV C-39/13), rendue contre le régime néerlandais équivalent du régime de l’intégration française, la loi permet aujourd’hui à des sociétés françaises détenues par une même entité européenne de constituer entre elles, à compter des exercices clos le 31 décembre 2014, un groupe d’intégration fiscale dite intégration «horizontale» par opposition à l’intégration «verticale» ayant seule cours avant cette modification législative (article 63 de la loi n° 2014-1655 de finances rectificative pour 2014). Dans cette configuration «horizontale», les sociétés sœurs, cousines et filles établies et assujetties à l’impôt sur les sociétés en France peuvent consolider fiscalement leurs résultats. Restent exclus de cette consolidation les résultats des sociétés étrangères non soumises à l’impôt sur les sociétés français : l’entité mère non résidente (c’est-à-dire la société mère européenne UE ou EEE des sociétés françaises) et les éventuelles sociétés étrangères interposées (sociétés situées elles aussi dans l’UE ou l’EEE, détenues à 95% par l’entité mère non résidente, et établissant le lien entre cette dernière et des sociétés françaises membres du groupe d’intégration horizontale).
Pour les groupes purement français, sans mère étrangère, le texte n’apporte aucune modification.
Pour les autres, il s’agit donc d’une opportunité nouvelle qui nécessite que certaines conditions soient remplies.
La société tête de groupe sera choisie parmi les sociétés sœurs et assurera le rôle de «société mère» au sens de l’intégration. Comme dans le régime de l’intégration «verticale», les groupes pourront choisir quelles sont les filiales qu’ils souhaitent intégrer.
Si le principe est simple (l’intégration horizontale serait une sorte intégration verticale partant d’une société européenne), les modalités d’application sont complexes et le texte de loi lui-même assez indigeste. On attendait donc avec impatience les commentaires administratifs. Ces derniers publiés le 6 mai dernier, ont été soumis à consultation jusqu’au 7 juin (BOI-IS-GPE-10-30-50 à BOI-IS-GPE-70-20).
Que retenir de ces commentaires ?
D’une façon générale, ils règlent un certain nombre de problèmes, nés d’une lecture stricte du texte. Deux difficultés majeures doivent toutefois être signalées, et une avancée saluée.
Intégration verticale transformée en intégration horizontale : la neutralité n’est pas assurée
Le passage d’un groupe d’intégration «classique» ou verticale à un groupe d’intégration horizontale entraîne la cessation du groupe d’intégration verticale. Certes la loi prévoit (j nouveau de l’article 223 L 6 du CGI) la possibilité de passer d’un groupe à un autre sans transition et pour un coût atténué, mais il s’agit là de la simple extension, au cas qui nous occupe, des solutions déjà prévues en cas de changement de groupe vertical, par exemple en cas d’absorption d’une société mère.
Les commentaires administratifs confirment cette application rigoureuse du texte et n’apportent aucune atténuation.
Cette cessation de groupe nous semble néanmoins critiquable et particulièrement sévère, s’agissant du passage d’une forme de groupe préexistante à une nouvelle forme de groupe. Il est donc tout à fait regrettable que le législateur, ou l’administration, n’ait pas introduit une phase de transition permettant une option sans conséquence d’un groupe d’intégration verticale à un groupe d’intégration horizontale.
Cette période de transition est, selon nous, d’autant plus nécessaire que le législateur, en adoptant le régime de l’intégration horizontale, n’a fait que se mettre en conformité avec une décision de la CJUE et une mise en demeure sur le sujet de la Commission européenne, comme en témoignent les travaux préparatoires de la loi.
Société mère : un commentaire inquiétant…
La société mère est la société française choisie parmi les membres du groupe d’intégration horizontale pour assumer ce rôle.
Le choix de la mère n’est pas complètement libre puisque l’article 223 A du CGI (3ème phrase du 3ème alinéa) précise que le capital de la société mère ne doit pas être détenu indirectement par l’entité mère non résidente par l’intermédiaire de sociétés ou d’établissements stables qui peuvent eux-mêmes se constituer mères d’un groupe horizontal. La phrase n’est pas des plus simples et on se fondera donc sur les explications données par le rapport de l’Assemblée nationale selon lequel cette condition a pour objet de faire en sorte que la société mère d’une intégration horizontale soit la plus «proche» possible, au regard de ses conditions de détention, de l’entité mère non résidente. Ainsi, si l’entité mère non résidente détient deux sociétés françaises à 95%, la première, A, directement et la seconde, B, directement à 80% et à hauteur de 15% via la société A, alors B ne peut pas être société mère (mais A peut l’être).
Le commentaire de cette mesure inscrit au BOI-IS-GPE-10-30-50 n°50 jette le trouble car il ajoute, au cas précité d’interdiction, une nouvelle interdiction dans le cas où l’entité mère non résidente détient deux sociétés françaises à 95% au moins. Nous sommes là dans un cas où les deux sociétés sont «au plus près» de l’entité mère non résidente. Il est toutefois précisé que, dans ce cas, si par ailleurs l’une des deux sociétés «détient» 5% du capital de la deuxième, alors cette deuxième société ne pourra pas être la mère d’un groupe horizontal.
Le commentaire n’est pas limpide : l’administration sous-entend-elle que cette détention de 5% fait suite à une cession de l’entité mère non résidente à la première société, auquel cas on aboutit à une détention de cette seconde société de 90% en direct, et pour 5% via une société française du groupe, situation identique à celle visée par les travaux préparatoires précités d’une détention qui n’atteint le niveau de 95% que grâce à une participation d’une société française ? Ou bien s’agit-il d’une interdiction générale : une filiale F, détenue à 95% au moins par l’entité mère non résidente, perdrait toute possibilité de devenir une société mère si une autre société française, détenue elle aussi à 95% au moins par l’entité mère non résidente, détient dans son capital (le capital de F) une participation serait-elle symbolique ? Le commentaire mériterait d’être rapidement clarifié, et dans un sens favorable aux entreprises, car dans le cas d’une entité mère qui détiendrait deux sociétés françaises à 95 % au moins, les participations croisées entre ces deux sociétés françaises (chacune détenant par exemple 4% du capital de l’autre) empêcherait totalement la création d’un groupe d’intégration horizontale. Cette conception heurterait frontalement l’esprit du texte et la décision communautaire qui a inspiré ce texte.
Sociétés étrangères : une définition heureuse
Les sociétés étrangères sont des sociétés européennes (UE/EEE) placées entre l’entité mère non résidente et les sociétés françaises composant le groupe d’intégration horizontale. Le texte est ainsi fait qu’un doute avait pu naître sur la possibilité d’avoir une chaîne de sociétés étrangères détenues à 95% via lesquelles l’entité mère non résidente détient les sociétés françaises (il manque un «indirect» dans le texte de loi).
L’administration précise, et c’est heureux, que cette chaîne de sociétés étrangères peut être admise. Mais elle va plus loin et, poursuivant l’analogie entre groupes d’intégration verticale avec une société mère française, et groupes d’intégration horizontale avec une société mère européenne, elle admet qu’une société étrangère puisse être détenue à 95% au moins par l’entité mère non résidente, directement ou indirectement par l’intermédiaire de sociétés membres du groupe ou de sociétés intermédiaires (sociétés établies dans un Etat de l’UE ou de l’EEE qui font le lien entre deux sociétés membres : situation dite «papillon»).
Les commentaires sur les commentaires ont pu être adressés à l’administration jusqu’au 7 juin dernier. Espérons qu’ils aboutiront à une modification des deux points litigieux qui sont un frein regrettable à la constitution de groupes horizontaux.
Auteur
Emmanuelle Féna-Lagueny, avocat Counsel en matière d’impôts directs au sein du département de doctrine fiscale
Commentaires administratifs sur l’intégration horizontale : des améliorations et quelques déceptions – Article paru dans le magazine Option Finance le 15 juin 2015
Commentaires administratifs sur l’intégration horizontale : des améliorations et quelques déceptions
23 juin 2015
Les commentaires administratifs sur l’intégration horizontale, très attendus, confirment que le passage d’un groupe vertical à un groupe horizontal ne peut se faire sans coût, ce qui nous paraît critiquable.
D’autres précisions, favorables ou défavorables sont aussi à noter.
Prenant acte de la décision de la CJUE du 12 juin 2014 (SCA Group Holding BV C-39/13), rendue contre le régime néerlandais équivalent du régime de l’intégration française, la loi permet aujourd’hui à des sociétés françaises détenues par une même entité européenne de constituer entre elles, à compter des exercices clos le 31 décembre 2014, un groupe d’intégration fiscale dite intégration «horizontale» par opposition à l’intégration «verticale» ayant seule cours avant cette modification législative (article 63 de la loi n° 2014-1655 de finances rectificative pour 2014). Dans cette configuration «horizontale», les sociétés sœurs, cousines et filles établies et assujetties à l’impôt sur les sociétés en France peuvent consolider fiscalement leurs résultats. Restent exclus de cette consolidation les résultats des sociétés étrangères non soumises à l’impôt sur les sociétés français : l’entité mère non résidente (c’est-à-dire la société mère européenne UE ou EEE des sociétés françaises) et les éventuelles sociétés étrangères interposées (sociétés situées elles aussi dans l’UE ou l’EEE, détenues à 95% par l’entité mère non résidente, et établissant le lien entre cette dernière et des sociétés françaises membres du groupe d’intégration horizontale).
Pour les groupes purement français, sans mère étrangère, le texte n’apporte aucune modification.
Pour les autres, il s’agit donc d’une opportunité nouvelle qui nécessite que certaines conditions soient remplies.
La société tête de groupe sera choisie parmi les sociétés sœurs et assurera le rôle de «société mère» au sens de l’intégration. Comme dans le régime de l’intégration «verticale», les groupes pourront choisir quelles sont les filiales qu’ils souhaitent intégrer.
Si le principe est simple (l’intégration horizontale serait une sorte intégration verticale partant d’une société européenne), les modalités d’application sont complexes et le texte de loi lui-même assez indigeste. On attendait donc avec impatience les commentaires administratifs. Ces derniers publiés le 6 mai dernier, ont été soumis à consultation jusqu’au 7 juin (BOI-IS-GPE-10-30-50 à BOI-IS-GPE-70-20).
Que retenir de ces commentaires ?
D’une façon générale, ils règlent un certain nombre de problèmes, nés d’une lecture stricte du texte. Deux difficultés majeures doivent toutefois être signalées, et une avancée saluée.
Intégration verticale transformée en intégration horizontale : la neutralité n’est pas assurée
Le passage d’un groupe d’intégration «classique» ou verticale à un groupe d’intégration horizontale entraîne la cessation du groupe d’intégration verticale. Certes la loi prévoit (j nouveau de l’article 223 L 6 du CGI) la possibilité de passer d’un groupe à un autre sans transition et pour un coût atténué, mais il s’agit là de la simple extension, au cas qui nous occupe, des solutions déjà prévues en cas de changement de groupe vertical, par exemple en cas d’absorption d’une société mère.
Les commentaires administratifs confirment cette application rigoureuse du texte et n’apportent aucune atténuation.
Cette cessation de groupe nous semble néanmoins critiquable et particulièrement sévère, s’agissant du passage d’une forme de groupe préexistante à une nouvelle forme de groupe. Il est donc tout à fait regrettable que le législateur, ou l’administration, n’ait pas introduit une phase de transition permettant une option sans conséquence d’un groupe d’intégration verticale à un groupe d’intégration horizontale.
Cette période de transition est, selon nous, d’autant plus nécessaire que le législateur, en adoptant le régime de l’intégration horizontale, n’a fait que se mettre en conformité avec une décision de la CJUE et une mise en demeure sur le sujet de la Commission européenne, comme en témoignent les travaux préparatoires de la loi.
Société mère : un commentaire inquiétant…
La société mère est la société française choisie parmi les membres du groupe d’intégration horizontale pour assumer ce rôle.
Le choix de la mère n’est pas complètement libre puisque l’article 223 A du CGI (3ème phrase du 3ème alinéa) précise que le capital de la société mère ne doit pas être détenu indirectement par l’entité mère non résidente par l’intermédiaire de sociétés ou d’établissements stables qui peuvent eux-mêmes se constituer mères d’un groupe horizontal. La phrase n’est pas des plus simples et on se fondera donc sur les explications données par le rapport de l’Assemblée nationale selon lequel cette condition a pour objet de faire en sorte que la société mère d’une intégration horizontale soit la plus «proche» possible, au regard de ses conditions de détention, de l’entité mère non résidente. Ainsi, si l’entité mère non résidente détient deux sociétés françaises à 95%, la première, A, directement et la seconde, B, directement à 80% et à hauteur de 15% via la société A, alors B ne peut pas être société mère (mais A peut l’être).
Le commentaire de cette mesure inscrit au BOI-IS-GPE-10-30-50 n°50 jette le trouble car il ajoute, au cas précité d’interdiction, une nouvelle interdiction dans le cas où l’entité mère non résidente détient deux sociétés françaises à 95% au moins. Nous sommes là dans un cas où les deux sociétés sont «au plus près» de l’entité mère non résidente. Il est toutefois précisé que, dans ce cas, si par ailleurs l’une des deux sociétés «détient» 5% du capital de la deuxième, alors cette deuxième société ne pourra pas être la mère d’un groupe horizontal.
Le commentaire n’est pas limpide : l’administration sous-entend-elle que cette détention de 5% fait suite à une cession de l’entité mère non résidente à la première société, auquel cas on aboutit à une détention de cette seconde société de 90% en direct, et pour 5% via une société française du groupe, situation identique à celle visée par les travaux préparatoires précités d’une détention qui n’atteint le niveau de 95% que grâce à une participation d’une société française ? Ou bien s’agit-il d’une interdiction générale : une filiale F, détenue à 95% au moins par l’entité mère non résidente, perdrait toute possibilité de devenir une société mère si une autre société française, détenue elle aussi à 95% au moins par l’entité mère non résidente, détient dans son capital (le capital de F) une participation serait-elle symbolique ? Le commentaire mériterait d’être rapidement clarifié, et dans un sens favorable aux entreprises, car dans le cas d’une entité mère qui détiendrait deux sociétés françaises à 95 % au moins, les participations croisées entre ces deux sociétés françaises (chacune détenant par exemple 4% du capital de l’autre) empêcherait totalement la création d’un groupe d’intégration horizontale. Cette conception heurterait frontalement l’esprit du texte et la décision communautaire qui a inspiré ce texte.
Sociétés étrangères : une définition heureuse
Les sociétés étrangères sont des sociétés européennes (UE/EEE) placées entre l’entité mère non résidente et les sociétés françaises composant le groupe d’intégration horizontale. Le texte est ainsi fait qu’un doute avait pu naître sur la possibilité d’avoir une chaîne de sociétés étrangères détenues à 95% via lesquelles l’entité mère non résidente détient les sociétés françaises (il manque un «indirect» dans le texte de loi).
L’administration précise, et c’est heureux, que cette chaîne de sociétés étrangères peut être admise. Mais elle va plus loin et, poursuivant l’analogie entre groupes d’intégration verticale avec une société mère française, et groupes d’intégration horizontale avec une société mère européenne, elle admet qu’une société étrangère puisse être détenue à 95% au moins par l’entité mère non résidente, directement ou indirectement par l’intermédiaire de sociétés membres du groupe ou de sociétés intermédiaires (sociétés établies dans un Etat de l’UE ou de l’EEE qui font le lien entre deux sociétés membres : situation dite «papillon»).
Les commentaires sur les commentaires ont pu être adressés à l’administration jusqu’au 7 juin dernier. Espérons qu’ils aboutiront à une modification des deux points litigieux qui sont un frein regrettable à la constitution de groupes horizontaux.
Auteur
Emmanuelle Féna-Lagueny, avocat Counsel en matière d’impôts directs au sein du département de doctrine fiscale
Commentaires administratifs sur l’intégration horizontale : des améliorations et quelques déceptions – Article paru dans le magazine Option Finance le 15 juin 2015
Mots clés
Commentaires administratifs Emmanuelle Féna-Lagueny Groupe horizontal Groupe vertical Intégration horizontale Société mère