Fiscalité : co-souscription et contrat d’assurance vie
La co-souscription «décalée dans le temps» d’un contrat d’assurance sur la vie initialement, souscrit individuellement, est une solution intéressante puisqu’elle permet un maintien du contrat d’assurance vie au profit du souscripteur survivant, sans incidence négative sur la fiscalité de l’assurance vie applicable au moment du dénouement du contrat, au décès du second souscripteur, ainsi qu’il résulte d’un arrêt du 19 mars dernier.
Les autres conséquences patrimoniales attachées à cette co-souscription doivent néanmoins être analysées préalablement à l’adhésion du co-souscripteur.
Les faits ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 19 mars dernier sont les suivants : un époux souscrit un contrat d’assurance sur la vie le 6 décembre 1988 et son épouse y adhère conjointement le 11 septembre 1995. Après le décès de l’époux en 1999, le conjoint survivant désigne comme bénéficiaires à parts égales ses sept petits-neveux et nièces et procède à un versement complémentaire. Au décès du conjoint survenu en 2003, ceux-ci perçoivent leur quote-part de capital.
L’administration fiscale, considérant que le contrat a été souscrit après le 20 novembre 1991 avec des primes versées après le 70e anniversaire de l’assuré, leur réclame alors le paiement des droits de succession. Pour l’administration fiscale, la co-souscription de l’épouse, qui est devenue également co-assurée du contrat, a entraîné l’extinction pure et simple de l’obligation initiale, remplacée par une obligation nouvelle.
Il y a eu, selon l’administration fiscale, novation du contrat, à savoir conclusion d’un nouveau contrat d’assurance vie se substituant au contrat souscrit initialement. Au contraire, les bénéficiaires estiment que le contrat initial a été maintenu et que les capitaux versés sont dès lors soumis au régime fiscal spécifique de l’article 990 I du Code général des impôts et non aux droits de succession.
Cette analyse est suivie par la Cour de cassation. Pour elle, la souscription conjointe de l’épouse n’a pas mis fin au contrat d’origine. La Cour de cassation interprète donc strictement la notion de novation, prenant une position contraire à celle exprimée jusqu’alors par l’administration fiscale.
Il résulte de l’arrêt du 19 mars 2015 une absence de conséquences fiscales négatives lors du dénouement par décès d’un contrat souscrit à l’origine individuellement et qui a fait ensuite l’objet d’une co-souscription «décalée dans le temps». La co-souscription «décalée» apparaît ainsi comme neutre fiscalement.
La solution s’applique, à notre avis, que les deux souscripteurs soient ou non mariés, peu important dans ce dernier cas la nature de leur régime matrimonial. Par ailleurs, elle ne devrait pas se limiter à la fiscalité en cas de dénouement par décès applicable aux contrats souscrits initialement avant le 20 novembre 1991. Elle devrait également s’appliquer, selon nous, aux contrats souscrits après le 20 novembre 1991 dont la fiscalité est fonction de l’âge de l’assuré au moment du versement des primes.
Enfin, la solution de l’arrêt de 2015 doit être étendue à la fiscalité applicable en cas de rachats, qui est également fonction de l’antériorité du contrat. En effet, en cas de rachat après huit ans, les produits du contrat taxables à l’impôt sur le revenu peuvent être soumis, sur option du contribuable, à un prélèvement libératoire dont le taux s’élève à 7,5% alors que si le rachat intervient avant huit ans, le taux de ce prélèvement est de 15% (durée supérieure ou égale à quatre ans) ou 35% (durée inférieure à quatre ans).
On notera cependant que la Cour de cassation, pour admettre l’absence de novation, s’en réfère à l’appréciation souveraine par les juges du fond de l’intention des époux. La généralisation de cette décision à d’autres situations suppose donc que, dans l’esprit des parties, l’adhésion au contrat soit une adjonction d’une obligation supplémentaire à une obligation préexistante et non un remplacement. Ainsi, il conviendra d’éviter une co-souscription lorsque le souscripteur initial a une espérance de vie très limitée et que la survie du co-souscripteur est certaine, car cette co-souscription «tardive» pourrait être considérée comme abusive, si elle recherche le bénéfice d’une fiscalité plus favorable lors du dénouement du contrat par décès.
Pour autant, une co-souscription peut receler des risques sur le terrain des droits de mutation à titre gratuit.
Pour des souscripteurs non mariés ou mariés sous le régime de la séparation de biens, il existe un risque de donation indirecte en cas d’exercice du droit au rachat pendant le cours du contrat d’assurance-vie co-souscrit, si les sommes d’argent provenant de ce rachat sont perçues dans des proportions différentes de celles du règlement des primes. Par exemple, si un contrat est souscrit par deux époux séparés de biens dans des proportions 50/50 alors que les sommes rachetées sont appréhendées uniquement par l’épouse, ce rachat sera susceptible de réaliser une donation indirecte si le dessaisissement de l’époux au profit de son épouse est irrévocable et effectué avec une intention libérale.
Dans le cas d’époux mariés sous le régime de la communauté légale et lorsque les primes sont financées avec des fonds communs, il résulte de la réponse ministérielle Bacquet du 29 juin 2010 que la valeur de rachat des contrats non dénoués au décès du premier époux doit être déclarée à l’actif de la communauté et taxée aux droits de succession à hauteur de moitié. La co-souscription avec dénouement du contrat au décès du survivant augmente le risque d’application de la doctrine Bacquet puisque, quel que soit l’ordre des décès, elle s’applique nécessairement au premier décès d’un souscripteur du fait du maintien du contrat.
Prenons l’exemple de deux époux X et Y mariés sous le régime de la communauté légale et qui souscrivent à l’aide de fonds communs, dans l’hypothèse 1, conjointement un contrat d’assurance sur la vie d’une valeur de rachat de 200 et dans l’hypothèse 2, chacun un contrat d’une valeur de rachat de 100 (soit 200 pour les deux). Au décès de X, une créance de rachat de 200 est à réintégrer à l’actif de la communauté dans l’hypothèse 1 alors qu’elle n’est que de 100 dans l’hypothèse 2 (le contrat souscrit par X étant quant à lui dénoué). Dans les deux cas, la moitié de la valeur de rachat du contrat non dénoué figurera dans la succession de X et ses enfants seront soumis aux droits de succession sur cet actif, à concurrence de leurs droits dans la succession, alors même qu’ils n’ont pas le pouvoir de racheter le contrat.
Des solutions devront être mises en place pour éviter la conséquence «Bacquet», notamment par une modification adaptée du contrat de mariage. La co-souscription produit alors des effets favorables tant en matière de fiscalité assurance sur la vie que sur la fiscalité en matière de droits de mutation à titre gratuit. En définitive, la co-souscription «décalée dans le temps» apparaît donc particulièrement adaptée aux époux mariés sous un régime de communauté conventionnelle.
Auteurs
Sylvie Lerond, avocat Counsel, Responsable du service Droit du Patrimoine.
Grégory Dumont, avocat en matière de Droit du patrimoine