Le sort de la garantie consentie par une SARL
Une récente décision, rendue en matière de SARL, contraste avec l’hostilité de la Cour de cassation envers les sûretés contraires à l’intérêt d’une SCI ou d’une SNC.
Alors que, pour être valable, l’hypothèque consentie par l’une ou l’autre de ces sociétés doit être conforme à l’intérêt de la société, la sûreté accordée par une SARL n’est pas soumise à la même exigence. Cette solution place le tiers contractant avec une SARL dans une situation largement préférable à celui qui bénéficie d’une sûreté accordée par une SCI ou une SNC.
Quel sort faut-il réserver à l’hypothèque consentie par le dirigeant d’une SARL sur l’un des biens de la société, en garantie de la dette d’un tiers ? La question est classique à propos des sociétés civiles immobilières et des sociétés en nom collectif, mais elle l’est beaucoup moins pour les SARL. Pour cette raison, l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 mai 2015 (n°13-28.504) ne manquera pas d’attirer l’attention.
En l’espèce, deux sociétés, mère et fille, avaient respectivement acquis un hôtel et un terrain. Les titres de la société mère, détenus par le groupe Fram, ont, ensuite, été cédés à une société qui a souscrit un emprunt pour financer l’acquisition des titres. En garantie de ce prêt, sa fille et sa petit-fille ont consenti des hypothèques au profit de la banque. Cependant, la validité de ces sûretés a été contestée à l’occasion d’une procédure de redressement judiciaire ouverte, ultérieurement, au bénéfice de ces deux sociétés. L’ administrateur avait avancé un argument classique en cette matière les sûretés étaient contraires à l’intérêt de ces sociétés et devaient donc être annulées.
Il est vrai que les décisions rendues ces dernières années en matière de sociétés civiles immobilières et de sociétés en nom collectif se sont avérées particulièrement hostiles aux garanties consenties par une société au profit d’ un tiers, lorsque ces garanties étaient contraires à l’intérêt social. Cette jurisprudence a conduit à instaurer l’exigence de conformité à l’intérêt social en véritable condition de validité de ces sûretés. Elle peut être expliquée par le fait que les associés ont, dans ces sociétés, une responsabilité limitée. Or, exiger que la sûreté consentie soit conforme à l’intérêt de la société permet de protéger le patrimoine des associés. Mais la portée de cette solution en dehors des seules sociétés dans lesquelles les associés répondent des dettes de la société était incertaine : lorsque les associés ne sont responsables des dettes de la société qu’à hauteur de leurs apports, comme c’est le cas dans la SARL, le raisonnement est-il identique ?
L’arrêt rapporté dément cette identité : à supposer qu’elle soit établie, «la contrariété à l’intérêt social de la sûreté consentie par une société à  responsabilité limitée en garantie de la dette d’un tiers n’est pas, par elle-même, une cause de nullité de cet engagement« . L’intérêt social n’est donc pas un critère de validité de la garantie consentie par une SARL au profit d’un tiers, que ce tiers soit la société mère, une filiale ou un quelconque associé. Cela conduit à considérer comme valable la sûreté accordée par une SARL contre son propre intérêt, quand bien même celle-ci serait exposée, par l’effet de cette sûreté, à un risque de disparition. Naturellement, le dirigeant qui aurait consenti une telle sûreté engagement sa responsabilité à l’égard de la société et des associés, sur le fondement de la faute de gestion, et s’exposerait ainsi à une action en comblement de passif en cas d’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire.
Mais indépendamment du jeu de responsabilité interne, la sûreté consentie demeure valable. Cette solution est assurément protectrice pour les tiers qui contractent avec une SARL. Et on peut penser qu’elle vaudra tout autant pour les SA et les SAS. En effet, ces sociétés comportent les mêmes règles en matière d’ engagement de la société à l’égard des tiers et la responsabilité des associés est également limitée au montant de leurs apports. Le bénéficiaire d’un cautionnement hypothécaire aura donc, dans ces sociétés, la quasi-certitude que celui-ci sera valable, car non seulement cet acte n’a pas à être conforme à l’intérêt de la société, ce qui laisse au
dirigeant une grande liberté, mais en outre, en vertu de la loi, même s’il n’ a pas été prévu par les statuts, il engagera la société . Dans les SARL, en effet, l’acte du dirigeant qui excède les limites de l’objet social engage la société à l’égard des tiers sous réserve, néanmoins, que ceux-ci n’aient pas connaissance de ces limites. Les tiers qui bénéficient d’ une hypothèque consentie par une SARL se trouvent donc dans une situation très préférable à ceux qui contractent avec une SCI ou une SNC.
Auteur
Christophe Lefaillet, avocat associé spécialisé en droit des sociétés et en droit fiscal (droits d’enregsitrement et ISF)