Suramortissement : l’administration fiscale apporte de nouvelles précisions sur le dispositif temporaire en faveur de l’investissement
Dès l’annonce de la création du dispositif par le Gouvernement et avant même son adoption par le Parlement, l’administration fiscale faisait connaitre ses premiers commentaires suscitant, au sein des entreprises, de nombreuses interrogations. En réponse, par une mise à jour de son BOFIP le 2 septembre dernier, Bercy apporte les éclaircissements attendus.
La loi pour la croissance et l’activité, dite «Loi Macron» (qui a été publiée au JO le 7 août), autorise les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu selon un régime réel d’imposition à déduire de leur résultat imposable une somme égale à 40% de la valeur d’origine hors frais financiers des biens énumérés ci-après, acquis ou fabriqués entre le 15 avril 2015 et le 14 avril 2016 :
- les matériels et outillages utilisés pour des opérations industrielles de fabrication ou de transformation ;
- les matériels de manutention ;
- les installations destinées à l’épuration des eaux et à l’assainissement de l’atmosphère ;
- les installations productrices de vapeur, de chaleur ou d’énergie à l’exception des installations utilisées dans le cadre d’une activité bénéficiant de l’application d’un tarif réglementé d’achat de la production ;
- les matériels et outillages utilisés à des opérations de recherche scientifique ou technique.
Champ d’application du dispositif
S’agissant du champ d’application du dispositif de suramortissement, on savait qu’étaient exclues les entreprises exonérées d’impôt sur les sociétés ou imposées forfaitairement. L’administration fiscale précise dans sa récente mise à jour que sont éligibles les entreprises exonérées d’impôt sur les sociétés de manière temporaire ou partielle en raison de leur implantation dans certaines zones aidées ou de leurs caractéristiques particulières (entreprises nouvelles, ZFU, JEI par exemple). Elle confirme également que sont éligibles au suramortissement les investissements qui ouvrent également droit au crédit d’impôt recherche, au crédit d’impôt pour investissement en Corse et aux régimes d’aide pour investissements productifs en outre-mer.
Les entreprises espéraient des précisions sur les biens pris ou donnés en location simple au sujet desquels les premiers commentaires ne se prononçaient pas. D’abord, l’administration confirme qu’un bien donné en location simple à une filiale ou à un sous-traitant peut faire l’objet de suramortissements par la société qui en est propriétaire, peu importe à cet égard que l’entreprise locataire ait inscrit le bien à l’actif de son bilan. L’administration ajoute «de même, le propriétaire juridique qui met gratuitement à disposition une immobilisation dont le contrôle est effectivement exercé par l’utilisateur peut pratiquer la déduction exceptionnelle». Une telle opération méritera toutefois réflexion au regard de sa normalité et on se gardera d’en tirer des conclusions sur la possibilité pour une entreprise de laisser gratuitement ses immobilisations à la disposition de tiers.
D’après les termes de la loi, les équipements concernés par la déduction exceptionnelle s’entendent des biens éligibles à l’amortissement selon le mode dégressif, c’est-à-dire les équipements neufs dont la durée normale d’utilisation est d’au moins trois ans. Il n’est pas nécessaire que l’amortissement dégressif soit effectivement pratiqué par l’entreprise. Notamment, les entreprises déficitaires pour lesquels l’amortissement dégressif ne présente pas d’intérêt devront néanmoins pratiquer le suramortissement car à défaut, la décision de gestion qui serait prise leur serait opposée par l’administration fiscale, les privant de toute possibilité de déduction ultérieure (par exemple en cas de passage d’un résultat déficitaire à un bénéfice imposable lors d’un contrôle fiscal).
Biens éligibles au suramortissement
Des catégories de biens éligibles au suramortissement, l’administration avait exclu de manière très générale «le matériel mobile ou roulant affecté à des opérations de transport». Elle revient sur ce point en admettant que les matériels roulants sont éligibles au dispositif dès lors qu’ils «concourent prioritairement à la réalisation d’une activité de production ou de transformation ou de manutention».
Sont visés, dans le domaine industriel, certains engins de travaux publics (bulldozers et pelles mécaniques par exemple), et dans le domaine agricole, les tracteurs et d’une manière générale le matériel utilisé pour le travail de la terre tels que les moissonneuses batteuses ou, pour un exemple de saison, les vendangeuses. Le Bofip concernant les bénéfices agricoles a également été largement complété pour apporter de nombreuses précisions propres aux immobilisations utilisées par les exploitants agricoles.
S’il faut déduire de ces précisions que le matériel prioritairement affecté à des opérations de transport n’ouvre pas droit à la déduction supplémentaire, l’administration n’a malheureusement pas défini les critères au regard desquels il serait pertinent d’apprécier l’affectation d’un équipement. Cela étant, le matériel de manutention constituant une catégorie visée par le texte de loi, l’administration devrait reconnaitre sans difficulté que les matériels roulant assurant l’approvisionnement des machines ou l’évacuation des produits fabriqués sont éligibles au suramortissement.
Dates d’acquisition ou de fabrication
Les biens d’équipement doivent être acquis ou fabriqués à compter du 15 avril 2015 et au plus tard le 14 avril 2016.
Pour déterminer la date à retenir, l’administration opère une distinction bien connue en droit civil entre l’acquisition de corps certains (définis comme des bien individualisés, non susceptibles d’être remplacés par d’autres, seraient-ils de même nature) et l’acquisition de choses de genre ou de série. Dans le premier cas, le bien est réputé acquis dès l’échange des consentements sur la chose et sur le prix tandis que dans le second, l’entreprise n’est réputée propriétaire qu’au moment de l’individualisation du bien, c’est-à-dire le plus souvent au moment de la livraison. L’entreprise qui fait l’acquisition d’un matériel fabriqué en série bénéficiera de l’avantage fiscal si la livraison intervient après le 15 avril 2015, alors même que la commande et le paiement d’acomptes sont antérieurs à cette date. Seconde conséquence de cette règle, l’entreprise qui commande un matériel fabriqué en série entre le 15 avril 2015 et le 14 avril 2016 ne pourra pratiquer le suramortissement sur ce bien que s’il est livré avant le 14 avril 2016.
Plusieurs cas particuliers ont été précisés. S’agissant des ventes contenant une clause de réserve de propriété, la date d’acquisition est celle de la livraison du bien et non celle du transfert de propriété qui n’intervient qu’après paiement complet du prix. Pour les biens fabriqués par l’entreprise, s’il s’agit de biens destinés à être incorporés dans un ensemble industriel, la date à retenir est celle de l’achèvement de cet ensemble. Toutefois, il est admis d’avancer cette date à celle de la mise en service de l’élément si l’élément a une unité propre et une affectation particulière permettant une mise en service séparée.
Pour les immobilisations faisant l’objet d’un contrat de crédit-bail ou de location avec option d’achat, l’administration confirme que la date de levée d’option est sans incidence, seule la date de conclusion du contrat doit être intervenue entre le 15 avril 2015 et le 14 avril 2016.
Dans l’hypothèse où l’entreprise fait l’objet d’une opération de fusion, de scission ou d’apport partiel d’actif placée sous le régime fiscal de faveur, l’administration confirme qu’en application du principe de neutralité, l’entreprise bénéficiaire poursuit le plan d’amortissement initié par l’entreprise absorbée, scindée ou apporteuse pour la durée restant à courir.
Modalités du suramortissement
La déduction, dont le montant s’élève à 40% de la valeur d’origine du bien, hors frais financiers, est répartie de manière linéaire sur la durée normale d’utilisation du bien. En cas de cession avant le terme de cette période, le législateur a prévu que la déduction n’est acquise qu’à hauteur des montants déjà déduits calculés prorata temporis. L’administration ajoute que «la déduction n’est pas retenue pour le calcul de la valeur nette comptable du bien et elle est donc sans incidence sur le calcul de la plus-value en cas de cession du bien.»
Le point de départ de l’amortissement a également été précisé par l’administration. Il est fixé au premier jour du mois de l’acquisition ou de la construction du bien, indépendamment de la date de mise en service effective.
Lorsque le dispositif a été présenté devant le Parlement, l’ambition du Gouvernement était de «soutenir l’investissement productif industriel et de favoriser la modernisation de l’outil de production» des entreprises. Gageons que ces dernières, éclairées par ces utiles précisions, feront un large usage du nouveau dispositif.
Auteur
Eva Aubry, avocat spécialisé en fiscalité directe.