L’indemnité kilométrique vélo : pour une poignée de centimes
28 septembre 2015
La loi de transition énergétique du 17 août 2015 comporte plusieurs dispositions destinées à inciter entreprises et salariés à substituer à la voiture individuelle «d’autres choix de mobilité moins coûteux et plus vertueux», dont le vélo. Mais, à peine publiées, ces mesures, pourtant mineures, donnent lieu à des revirements surprenants qui illustrent l’instabilité de la règle de Droit.
L’indemnité kilométrique vélo
Répondant à une vieille revendication, la loi institue la prise en charge par les employeurs des trajets domicile-travail effectués à vélo, qu’il s’agisse d’un vélo «sec» ou «à assistance électrique» (Art. L. 3261-3-1 du Code du travail). S’agissant d’un remboursement de frais, cette indemnité kilométrique a vocation à être exonérée de charges sociales comme d’impôt sur le revenu.
On notera que si ce texte pousse le volontarisme jusqu’à s’appliquer rétroactivement dès le 1er juillet 2015, le décret d’application n’est toujours pas paru, ce qui limite la portée de l’affirmation et l’engagement des entreprises !
La rédaction du texte suscite quelques interrogations. Sur le principe, il semble impliquer que cette participation est obligatoire, contrairement à ce qu’il en est des frais de carburant des voitures et cyclomoteurs «L’employeur prend en charge … frais engagés par ses salariés se déplaçant à vélo ou à vélo à assistance électrique entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail». Une réponse ministérielle le confirmait (JOAN du 25/08/2015 page 6540). Mais la Ministre vient d’affirmer (le 30 septembre) que le dispositif serait facultatif, Ceci procédant du renvoi à l’article L3261-4 qui prévoit que l’entreprise dotée de délégués syndicaux doit passer par un accord d’entreprise, la décision unilatérale, après avis du CE ou des DP –s’il en existe- étant réservée aux entreprises sans DS. Il serait plus raisonnable de considérer que dans le premier cas, l’entreprise doit négocier, mais qu’une décision unilatérale reste possible à défaut d’accord.
La loi prévoit que le montant de cette indemnité est fixé par décret. Celui-ci devra préciser s’il s’agit d’un montant contraignant ou, comme pour les voitures et cyclomoteurs, d’un simple plafond d’exonération de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu.
Alors que les débats parlementaires avaient fait référence à une expérience positive menée en 2014 par l’ADEME sur la base d’une indemnité de 25 centimes du kilomètre, il avait été annoncé que le barème devait être deux fois moindre (entre 12 et 15 centimes) ; mais, nouveau changement de pied et retour aux 25 centimes dans une déclaration du 30 septembre. Sur cette base, dans le cas d’un utilisateur habitant à 3,5 kilomètres de son lieu de travail, cela ferait 1,75 euros par jour ; s’il prend son vélo 20 jours par mois, qu’il pleuve ou qu’il vente, l’indemnité mensuelle serait de 35 euros (3,5×2 (AR) x 20 x 0,25 €), ce qui se rapproche de la prise en charge par l’employeur d’un abonnement aux transports publics en région Parisienne Et, pour les gros rouleurs, un seuil maximal sera aussi fixé par le décret.
Notons, enfin, que le législateur a pris en compte le cas des trajets multimodaux (vélo + transports collectifs). Le salarié peut cumuler cette indemnité vélo avec le remboursement de l’abonnement de transport public lorsqu’il s’agit d’un trajet de rabattement vers une gare ou une station ou lorsqu’il réside hors du périmètre de transport urbain. Mais, s’il a le choix entre ces deux modes de déplacement, il lui faut choisir un mode d’indemnisation et un seul. L’indemnité vélo sera sans doute moins favorable que celle accordée pour l’abonnement aux transports publics, ce qui devrait en limiter le succès.
On soupçonne qu’une prochaine circulaire détaillera encore le dispositif en exigeant des justificatifs du lieu du domicile, de la distance le séparant du lieu de travail, du nombre de trajets effectués chaque mois. On peut en revanche espérer que le salarié n’aura pas en outre à attester qu’il ne transporte pas -sur son vélo !- une autre personne de la même entreprise bénéficiant des mêmes indemnités (Circ. DSS 7-1-2003, à propos des indemnités kilométriques pour l’utilisation d’un véhicule personnel).
Autres dispositions pour les entreprises
Les entreprises occupant plus de 100 salariés sur un site dans le périmètre d’un plan de déplacements urbains seront tenues … à partir de 2018 de mettre en place un plan de mobilité, dont l’un des objectifs est d’encourager un report modal vers le vélo. La loi insiste également sur l’intégration dans les constructions d’«infrastructures permettant le stationnement sécurisé des vélos» (ainsi qu’une prise de recharge pour véhicule électrique ou hybride rechargeable).Pour faire passer ces contraintes, l’étude d’impact de la loi leur promet à moyen / long terme des économies significatives, notamment sur leurs frais de parking.
Pour les entreprises les plus généreuses, la loi de transition énergétique prévoyait de modifier le Code général des Impôts (article 220 undecies A. – I) pour ouvrir, à compter du 1er janvier 2016, la possibilité «d’une réduction d’impôt égale aux frais générés par la mise à disposition gratuite à leurs salariés, pour leurs déplacements entre leur domicile et le lieu de travail, d’une flotte de vélos dans la limite de 25 % du prix d’achat de ladite flotte de vélos».
Mais ici encore, un revirement intervient : le projet de loi de finances enregistré à l’Assemblée Nationale le 30 septembre énonce froidement que cette disposition est abrogée. Ressuscitera-t-elle dans les débats parlementaires : affaire à suivre …
Cette reconnaissance législative a le mérite de mettre en valeur un mode de déplacement qui peut concourir à la santé et à la lutte contre le stress. Mais au prix d’une certaine complexité combinée à l’instabilité puisque le caractère obligatoire ou facultatif du dispositif est lui-même en débat. Bien des entreprises n’y verront qu’une nouvelle contrainte paperassière de paye sous le contrôle qu’on imagine par avance vigilant des URSSAF. Une mesure de simplification serait d’unifier les régimes d’indemnisation des transports «vertueux» sur la base des barèmes retenus pour les abonnements aux transports collectifs. Mais, selon le mot de G.CARREZ, «dans chaque niche fiscale, il y a un chien qui mord»; on en est donc encore loin.
Auteur
Paul-Henri Mousseron, consultant knowledge manager, département social
Florent Ruault, avocat, spécialiste des impôts directs au sein du département de doctrine fiscale.
L’indemnité kilométrique vélo : pour une poignée de centimes – Article paru dans Les Echos Business le 28 septembre 2015, mis à jour le 6 octobre 2015
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