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Ne bis in idem : les parlementaires se saisissent prudemment du sujet

Ne bis in idem : les parlementaires se saisissent prudemment du sujet

Le titre de la Proposition de loi relative à la «répression des infractions financières», déposée le 7 octobre dernier par les Sénateurs Raynal et Montgolfier, ne doit pas induire en erreur. Loin de réaliser un grand soir de la lutte contre la délinquance financière, cette initiative vise d’abord à assurer la conformité de notre droit avec les nouveaux textes européens «Abus de marché»1 et avec les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), s’agissant notamment de la règle ne bis in idem.

Ensuite et surtout, elle s’analyse comme une réponse à la décision d’inconstitutionnalité rendue par le Conseil constitutionnel le 18 mars 20152 dans le domaine précisément délimité par ce dernier, celui des abus de marché3.

En conséquence, la Proposition devait poser dans la Loi un principe cardinal d’interdiction du cumul des sanctions administratives et pénales puis organiser l’articulation entre les deux voies possibles de répression – administrative et pénale. Cela passe en réalité par des ajustements à la fois de droit procédural et de droit substantiel.

Sur le plan procédural, souvent objet de crispations, l’ampleur revendiquée de la réforme se vérifie davantage au constat que les trois phases – enquêtes ; décision de poursuite ; prononcé des sanctions – sont affectées par la proposition parlementaire.

Au stade de l’enquête, elle ambitionne de renforcer la coopération entre l’AMF et le Parquet national financier (PNF), d’abord par l’obligation de communication réciproque de renseignements, actes d’enquête ou de contrôle et de coordination de leur action. Ensuite, elle impose au PNF la communication préalable au déclenchement de l’action publique des éléments d’un dossier pénal susceptible de constituer un manquement boursier. Enfin, elle organise la demande par l’AMF d’acte d’enquêtes judiciaires et celle par le PNF de la réalisation d’expertises AMF.

S’agissant de la décision finale d’opportunité des poursuites, il est prévu un dispositif précis de concertation entre le PNF et l’AMF pour la répartition des affaires. Les conflits d’attribution que l’on peut d’avance estimer fort rares seraient tranchés par un Conseil des infractions boursières, «instance de nature extérieure, neutre et paritaire, composée à égalité de magistrats du Conseil d’État et de la Cour de cassation». Précision utile : de nature juridictionnelle, ses décisions seraient non susceptibles de recours, ce qui appelle selon nous la plus grande réserve au regard de la jurisprudence du Conseil d’Etat. Il n’est pas certain que cette construction soit défavorable au Parquet, même si elle ne va pas aussi loin que le rapport Coulon de 2008 (qui octroyait au Parquet la pleine titularité du monopole de l’opportunité des poursuites).

En outre, l’article réécrit portant faculté pour l’AMF de se constituer partie civile serait réintroduit (après avoir été frappé d’inconstitutionnalité) mais encore faudra-t-il que l’AMF use enfin de ce pouvoir pour le justifier.

Notons enfin, l’extension aux infrastructures de marché et aux abus de marché de la procédure de composition administrative (dite de transaction) actuellement limitée aux seuls manquements aux obligations professionnelles des professionnels du secteur financier placés sous le contrôle de l’AMF. L’AMF appréciera que son rôle de premier juge du bon fonctionnement des marchés financiers soit conforté au motif de la reconnaissance de sa capacité à prononcer des sanctions rapides et dissuasives.

Concernant le droit substantiel, les Sénateurs sont «défavorables à la détermination de critères objectifs permettant de répartir de façon automatique les affaires, considérant que leur gravité ne s’appréciait pas seulement au regard du montant du gain réalisé, qui ne peut en outre être déterminé précisément dans tous les cas». La Proposition s’inscrit sur ce point en désaccord avec les préconisations4 de l’AMF. Seuls le caractère intentionnel et le critère de gravité (apprécié sans plus de détail «notamment au regard du montant de l’avantage retiré et de la qualité de l’auteur de l’infraction») serviraient de délimitation entre la voie pénale et administrative. Il n’est d’ailleurs pas certain que les exigences de la CEDH qui pratique une analyse en substance soient à cet égard pleinement satisfaites et que la problématique «ne bis in idem» soit ici résolue.

De façon plus convaincante, la Proposition rehausse le plafond applicable en matière de sanctions pénales des abus de marché, mettant fin à une anomalie. Elle relève également le plafond des sanctions pénales pécuniaires, en l’alignant sur celui prévu par l’AMF, soit 15 M€ pour une personne physique, et le quintuple de cette somme ou, nouveauté particulièrement dissuasive, 15% du CA de la société pour les personnes morales. Elle aggrave encore les peines lorsque les abus de marché sont commis en bande organisée et relève le plafond des sanctions administratives applicables à la fois devant l’AMF et devant l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

Œuvre de synthèse intégrant la lecture du Conseil constitutionnel, la Proposition sera-t-elle suffisante pour assurer la conformité de notre système aux exigences de la CEDH ?

Notes

1 En ce compris la transposition des nouveaux textes européens Abus de marché (Directive 2014/57/UE et Règlement (UE) n°596 /2014).
2 Décision 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC.
3 Elle propose en outre de renforcer la protection des lanceurs d’alerte.
4 L’application du principe ne bis in idem dans la répression des abus de marché, Proposition de réforme, Rapport du groupe de travail AMF, 19 mai 2015

 

Auteur

Bruno Zabala, avocat counsel au sein du département de la doctrine juridique.

 

Ne bis in idem : les parlementaires se saisissent prudemment du sujet  – Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 9 novembre 2015