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La ténacité du crocodile Lacoste finit par payer

La ténacité du crocodile Lacoste finit par payer

De nombreux fabricants de vêtements ont fait le choix de construire leur notoriété autour d’un animal emblématique. Aussi l’identité visuelle de certaines sociétés est-elle indissociablement liée à un animal devenu iconique (le cheval de Ralph Lauren, l’élan d’Abercrombie ou le coq du Coq Sportif).

Parmi ces animaux célèbres, le crocodile Lacoste, utilisé depuis près d’un siècle par la société Lacoste en hommage à son fondateur René Lacoste surnommé le « crocodile » pour sa pugnacité sur les courts de tennis, a été l’objet de nombreuses décisions de justice.

La plus récente, rendue par le Tribunal de l’Union européenne, donne raison à la société Lacoste (TUE, 30 septembre 2015, T-364/13).

En 2007, la société Eugenia Mocek et Jadwiga Wenta Kajman avait présenté une demande de marque communautaire consistant en la forme d’un caïman combinée au terme Kajman pour désigner notamment des vêtements pour animaux domestiques et des accessoires vestimentaires.

La société Lacoste s’étant opposée à son enregistrement, sur le fondement de sa marque communautaire figurative antérieure, la chambre de recours de l’OHMI a partiellement accueilli sa demande. Prenant en compte la renommée de la marque antérieure, elle a en effet considéré qu’il existait un risque de confusion entre les deux marques pour les produits relevant des classes 18 et 25 en dépit du fait qu’elles étaient différentes sur le plan phonétique et que leur similitude visuelle n’était que faible.

Le Tribunal de l’Union européenne, saisi par la société Eugenia Mocek et Jadwiga Wenta Kajman, rejette le recours de celle-ci et confirme le refus d’enregistrement de la marque  pour les produits des classes 18 et 25.

Sur le plan visuel, le Tribunal retient que si les marques en conflit ont en commun une représentation « d’un reptile de l’ordre des crocodiliens« , elles diffèrent dans leur représentation puisque le reptile de la marque seconde est « représenté de manière stylisée en position endormie » tandis que celui de la marque antérieure, plus « réaliste », est représenté « en position agressive se tenant sur ses pattes« . Elle conclut à l’existence d’une faible similitude visuelle entre les signes en conflit.

D’un point de vue conceptuel, elles sont considérées comme moyennement similaires. A cet égard, la requérante soutenait que l’appartenance des deux reptiles à des ordres différents (l’ordre des squamates pour le caïman et celui des crocodiliens pour le crocodile) les distinguait. Pour le Tribunal une telle nuance devrait échapper au consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.

En l’absence d’élément verbal dans la marque antérieure, l’aspect phonétique est considéré comme non pertinent.

Examinant ensuite si la faible similitude visuelle et la similitude conceptuelle moyenne des marques en présence permettent néanmoins de conclure à l’existence d’un risque de confusion, le Tribunal répond par l’affirmative, compte tenu du caractère distinctif élevé du crocodile Lacoste, acquis par l’usage, en ce qui concerne les produits des classes 18 et 25 : pour lui, il « n’est pas exclu que la représentation d’un caïman dans la marque demandée puisse être perçue comme une variante de la représentation d’un crocodile dans la marque antérieure, cette dernière étant largement connue du public pertinent » (point 71).

Le Tribunal a-t-il ainsi implicitement octroyé à la société Lacoste un monopole sur la représentation d’un reptile indépendamment de son mode de représentation et de son degré de stylisation ? Les futures décisions de justice le diront…

 

Auteurs

Anne-Laure Villedieu, avocat associée en de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.

Sabine Rigaud, avocat, droit de la propriété intellectuelle