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De la durée excessive à la résiliation unilatérale des DSP

De la durée excessive à la résiliation unilatérale des DSP

Le rapport au temps est au cœur de la problématique des contrats publics, notamment de DSP, comme l’illustre l’arrêt rendu par le conseil d’Etat du 7 mai 2013, par ailleurs révélateur de la survie des pouvoirs exorbitants de l’administration dans le cadre de l’exécution du contrat administratif.
La double émergence du concept de loyauté des relations contractuelles (CE, 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n°304802), puis d’un nouveau recours en reprise des relations contractuelles (CE, 21 mars 2011, Commune de Béziers, n°304806), pouvait pourtant laisser croire à une forme de rééquilibrage entre les parties à un contrat administratif.

La Société Auxilliaire de Parcs de la région Parisienne (SAPP), délégataire de la modernisation et de l’exploitation de trois parcs de stationnement sur la Commune de Fontainebleau pour une durée de 25 ans, avait pourtant appris à ses dépens que la reprise des relations contractuelles suite à une décision de résiliation, ne saurait être ordonnée par le juge administratif, dès lors qu’une durée excessive de la DSP justifiait cette décision.
Saisi en cassation, le Conseil d’Etat a validé ce raisonnement en considérant qu’ »eu égard à l’impératif d’ordre public imposant de garantir, par une remise en concurrence périodique, la liberté d’accès des opérateurs économiques aux contrats de délégation de service public et la transparence des procédures de passation, la nécessité de mettre fin à une convention dépassant la durée prévue par la loi d’une délégation de service public constitue un motif d’intérêt général justifiant sa résiliation unilatérale par la personne publique » (CE, 7 mai 2013, Société Auxilliaire des Parcs de la Région parisienne, n°365043).

Cette décision combinait plusieurs problématiques d’actualité en matière de contrats publics, susceptibles d’intéresser au premier chef les opérateurs économiques.

D’une part, le Conseil d’Etat a consacré le caractère d’ordre public des règles de durée des délégations de service public. Ce principe vaut donc au-delà des seuls domaines de l’eau potable, de l’assainissement, et de l’élimination des ordures ménagères, liés à la protection de l’environnement, pour lesquels le législateur a fixé une durée maximale de 20 ans (Art. 75, Loi n°95-101 du 2 février 1995), la jurisprudence considérant que les contrats en cours au moment de la publication de la loi peuvent être déclarés caducs à l’issue de ce délai (CE, 8 avril 2009, Commune d’Olivet, n°271737).

D’autre part, à défaut de solution de caducité résultant de la loi, le juge administratif a considéré que la durée excessive justifiait l’exercice par la personne publique de son pouvoir de résiliation unilatérale, alors même qu’en l’absence de quantum légal, la durée de la délégation de service public relève principalement de l’appréciation de la personne publique.

Si le principe posé par le Conseil d’Etat dans le cadre d’un référé n’a souffert aucune remise en cause, il n’a pas encore reçu d’application au fond. Les jurisprudences rendues en matière de durée excessive des délégations de service public permettent néanmoins de confirmer qu’au-delà du caractère d’ordre public des règles de durée des délégations de service public, les pouvoirs exorbitants des autorités délégantes dans l’exécution de leurs contrats sont renforcés.

Une épée de Damoclès au-dessus des contrats publics de longue durée ?

En motivant sa solution par « l’impératif d’ordre public imposant de garantir, par une remise en concurrence périodique, la liberté d’accès des opérateurs économiques aux contrats de délégation de service public et la transparence des procédures de passation », le Conseil d’Etat reprend à l’identique un considérant de l’arrêt Commune d’Olivet relatif à la durée des délégations service public dans les secteurs de l’eau, des déchets et de l’assainissement (CE, 8 avril 2009, Commune d’Olivet, n°271737).

Dans cette solution de principe, l’impératif d’ordre public justifiait une application rétroactive de la loi aux contrats en cours. L’atteinte aux droits acquis pour les conventions déjà en vigueur au jour d’adoption de la loi était néanmoins limitée dans la mesure où le Palais royal avait choisi d’appliquer la durée limite de 20 ans à la période restant à courir du contrat, et non à compter de leur date de conclusion.

Alors que les délégations de service public dans les domaines liés à la protection de l’environnement étaient explicitement visées par une loi, tel n’est pas le cas du secteur en cause. Régie par les règles générales de la délégation de service public, la durée de la convention conclue avec la S.A.P.P. n’est soumise à aucun plafond légal. Aussi pouvait-on douter du caractère impératif de ces règles, en l’absence d’une disposition semblable à l’article 75 de la loi de 1995.

Le Conseil d’Etat se réfère certes à l’article L.1411-2 du CGCT qui prévoit la règle générale selon laquelle « les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée« , celle-ci étant déterminée en tenant compte « de la nature et du montant de l’investissement à réaliser » dans la limite de la durée d’amortissement normal du bien.

Or, la détermination de la durée d’une délégation de service public n’est pas une science exacte, au point que le juge administratif n’exerce à ce sujet qu’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur le choix de la durée par la personne publique (CE, sect., 10 nov. 2010, Commune de Palavas-les-Flots, Commune de Lattes, n°314449). Le Conseil d’Etat a au demeurant tempéré cette disposition en considérant qu’elle visait l’amortissement économique et non comptable du bien, ce qui permet d’inclure une marge pour le bénéfice de l’opérateur (CE, 15 mai 2010, Société Maison Comba, n°303517). Rappelons enfin que, dans le cadre du contentieux de la passation, le juge administratif permet à la personne publique de n’indiquer qu’une durée minimale, pour autant que l’incertitude induite n’empêche pas les entreprises de présenter utilement une offre (CAA Marseille, 15 mars 2013, Société ADPRY, n°10MA01965).

Autant la jurisprudence Commune d’Olivet concernait l’application d’un impératif d’ordre public dont la mise en œuvre était précisément encadrée par la loi, autant la définition de la durée par l’arrêt S.A.P.P. confère une importante marge d’appréciation à la personne publique.

Les auteurs de la loi du 29 janvier 1993 n’avaient pas manqué non plus d’identifier la durée des conventions comme une élément stratégique de la relation contractuelle au regard des abus identifiés par le Rapport Bouchery (durée excessive assurant une rente de situation,…) qui recommandait la limitation obligatoire de la durée des contrats et une durée légale maximale déterminée d’après la nature de l’investissement à réaliser ainsi que l’interdiction des reconductions tacites (Rapport au premier ministre de la commission de prévention de la corruption présidée par Robert Bouchery, 1993, p 70).

Ces mesures incluses dans l’article 40 de la loi SAPIN prenaient en compte pour la première fois la dimension économique du temps dans les contrats qui permet au délégataire d’accroître naturellement sa rentabilité par l’amélioration de sa productivité, avant que la Commission européenne considère que la durée puisse être source d’avantages concurrentiels et d’aides d’Etat prohibées.

Enfin, la limitation de la durée des contrats publics peut trouver une assise dans la valeur constitutionnelle accordée aux « principes de la liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures » (CC, Décision n° 2003-473 DC du 26 juin 200, JORF, 3 juillet 2003, p. 11205).

Faut-il identifier le caractère impératif et d’ordre public des règles de durée dans les principes de liberté d’accès à la commande publique et de remise en concurrence périodique des délégations de service public ? Dans ce cas, il n’est nul besoin que la loi fixe elle-même une durée pour que la personne publique puisse s’en prévaloir à l’encontre du délégataire.

L’arrêt d’espèce consacre clairement cette interprétation, notamment dans le cinquième considérant presque surabondant, où le Conseil d’Etat, après avoir estimé qu’aucune erreur de droit n’avait été commise par le Tribunal administratif, motive une telle solution par les principes précités. Ce faisant, il étend à l’ensemble des contrats de délégation de service public le principe selon lequel les règles de durée présentent un caractère impératif.

En réalité, la lecture de l’arrêt Commune d’Olivet permettait déjà de déceler cette tendance puisque l’application rétroactive de la durée minimale aux contrats en cours avait été décidée par la jurisprudence dans le silence de la loi.

Par conséquent, le conseil d’Etat considère autant dans l’arrêt d’espèce que dans l’arrêt Commune d’Olivet que les règles de durée sont de nature à justifier une cessation anticipée du contrat, en raison de la caducité des conventions de délégation de service public excédant la durée fixée ou encadrée par la loi. Le parallèle avec cette jurisprudence doit toutefois être nuancé car les problématiques juridiques étaient bel et bien distinctes. Dans un cas, la caducité de la convention est imposée à la personne publique, tandis que la présente espèce donne lieu à son invocation pour exercer le pouvoir de résiliation unilatérale.

Il convient d’abord de souligner que le caractère défavorable d’une telle solution pour les opérateurs ressort davantage de la présente jurisprudence, puisqu’elle permet à une personne publique de résilier un contrat en raison du caractère excessif d’une durée qu’elle a elle-même défini au début du contrat. Si la procédure de passation des délégations de service public reste une procédure négociée (CGCT, art. L.1411-5) et si la durée de la convention peut faire l’objet de cette négociation, il n’en reste pas moins que c’est en définitive l’autorité délégante qui détermine le durée des conventions.

Un pouvoir exorbitant de résiliation unilatérale au profit de la personne publique

Nonobstant l’absence de jugement au fond, le Conseil d’Etat a renforcé les pouvoirs exorbitants des personnes publiques cocontractantes en considérant qu’une décision de résiliation motivée par une durée excessive n’était affectée par aucun doute sérieux sur sa légalité.

Il parait en effet peu probable que le juge administratif annule une telle décision dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir ou d’un recours en indemnisation, sauf à ce que le cocontractant prouve, données comptables à l’appui, que la durée n’était pas excessive et que la résiliation ne se justifiait pas. Dans une telle hypothèse, il ne s’agirait néanmoins que d’une application de la jurisprudence précitée.

Ce faisant, il s’agit d’un énième motif invocable par les personnes publiques pour motiver les décisions de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général, pouvoir consacré de longue date (CE, 2 mai 1958, Société des distilleries de Magnac-Laval, Rec., p 246), qui distingue les contrats administratifs des contrats de droit privé dont la résiliation implique la saisine du juge judiciaire.

Ce pouvoir existe même dans le silence du contrat et toute renonciation à l’exercer serait contraire à l’ordre public (CE, 6 mai 1985, Association Eurolat, n°41689), et constituerait un motif grave d’illégalité du contrat (CE, 1er octobre 2013, Société Habitat Construction, n°349099).

Si l’exercice de ce pouvoir doit être dûment justifié par un motif d’intérêt général, faut-il rappeler que le juge administratif fait preuve d’une relative tolérance en la matière, admettant des motifs tels que l’abandon d’un projet (CE, 23 avril 2001, SARL Bureau d’études techniques d’équipement rural et urbain, n°186424), les difficultés techniques d’exécution (CE, 22 janvier 1965, Société des établissements Michel Aubrun, Rec p. 50), la perte de confiance dans le délégataire (CE, 31 juillet 1996, Société des téléphériques du Mont-Blanc, n°126594). Aussi la durée excessive fait-elle figure d’énième motif de résiliation des délégations de service public.

Ce motif parait quelque peu paradoxal puisqu’il permet à la personne publique de se déjuger s’agissant de la durée des délégations de service public. Aussi, dans l’arrêt S.A.P.P., la Commune de Fontainebleau a dans un premier temps concédé la modernisation et l’exploitation des parcs de stationnement pour une durée de 25 ans, avant de se déjuger quelques années plus tard, considérant que cette durée était excessive.

Certes, une telle solution peut aisément se justifier par le fait que la durée excessive du contrat se révèle à mesure de son exécution. Nul doute que la remise des rapports du délégataire, et des comptes rendus financiers, permet à la personne publique délégante de vérifier les conditions et la viabilité des amortissements pratiqués par le délégataire, ainsi que la rentabilité, le cas échéant anormale, de la DSP.

Dans le même temps, cette appréciation du caractère excessif de la durée de la DSP relève uniquement de l’autorité délégante. Dans l’une des rares jurisprudences concernant la durée excessive des délégations de service public, le juge administratif considère ainsi que le caractère excessif de la durée d’une DSP n’est pas invocable par un candidat évincé à l’appui d’un recours contre la décision rejetant son offre (CE, 4 juin 2014, Commune de Sainte-Maxime, n°368254 ; CAA Marseille, 4 mai 2015, SARL Opio & EURL Paris Plage, n°14MA03061).

Au-delà, si un tel moyen peut être invoqué dans le cadre du nouveau recours Tarn-et-Garonne par les tiers lésés par la conclusion d’un contrat administratif, le juge administratif n’exerce qu’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, rappelant qu’en matière de distribution de l’électricité, les directives communautaires elles-mêmes confient aux Etats membres le soin de déterminer la durée des condition en fonction de considérations d’efficacité et d’équilibre économique (CAA Nancy, 12 mai 2014, Communauté urbaine du Grand Nancy, EDF et ERDF, n°13NC01303).

La décision S.A.P.P. a ainsi d’abord confirmé et consacré le pouvoir exorbitant de la personne publique de résilier une délégation de service public pour un motif d’intérêt général qu’elle est libre d’apprécier. In fine, ce sont les pouvoirs de l’autorité organisatrice du service public qui sont renforcés, notamment dans son appréciation sur la poursuite de l’exécution d’une DSP.

Eu égard à sa nouvelle liberté d’appréciation, et au contrôle restreint du juge administratif, le motif tiré de la durée excessive de la délégation demeure à la disposition de la personne publique sans pouvoir être invoqué à son encontre. Le juge se contente de vérifier que la personne publique n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en résiliant le contrat pour cause de durée excessive, mais une solution similaire est-elle envisageable si un tiers concurrent s’adressait à la personne publique pour lui demander résilier un tel contrat pour ce même motif.

Cette décision accroit les prérogatives de la personne publique contractante en lui permettant de faire prévaloir les règles de durée davantage qu’il ne permet le respect effectif de ces dernières. En outre, elle tend à ne proposer que la procédure de résiliation pour remédier à une situation qui peut effectivement s’avérer déséquilibrée au profit du délégataire alors que le juge après avoir constaté le caractère excessif de la durée aurait pu s’interroger sur le niveau de la « sanction » choisie par la collectivité délégante, au regard d’autres possibilités telle que la renégociation de la durée, voire de la possibilité d’une réduction unilatérale de cette donnée contractuelle.

En conclusion, on peut s’interroger sur la justification d’une telle atteinte aux droits acquis des opérateurs économiques par une règle censée les protéger. Comme en droit interne, la limitation de la durée des délégations de service public peut résulter des normes du droit primaire de l’Union européenne, dès lors qu’elle vise à garantir les libertés économiques des opérateurs, notamment la libre prestation de service et la liberté d’établissement (En ce sens, CJCE 9 mars 2006, Commission c/ Espagne, Aff. C-323/03 et CJUE 9 sept. 2010, Ernst Engelmann, Aff. C-64/08). Plus prosaïquement, les acteurs publics et privés des DSP devront s’interroger sur la durée de leurs conventions, dès lors qu’elle dépasse les normes généralement admises, avant que cette question ne devienne un nouveau gisement de contrôle pour les Chambres régionales des comptes.

 

Auteurs

Yves Delaire, Avocat associé, spécialiste en droit public, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon

Benjamin Achard, Avocat , CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon