Risque grave sur la santé publique ou l’environnement : droit d’alerte de 5ème type ?
10 septembre 2013
Adoptée sur fond de scandales sanitaires, la loi du 16 avril 2013 a créé un nouveau type de droit d’alerte au profit des salariés et de leurs représentants en cas de risque grave sur la santé publique ou l’environnement.
Au pays des droits d’alerte, les entreprises françaises ne sont pas en reste :
- alerte économique du Comité d’entreprise (article L. 2323-78 du code du travail)
- alerte en matière de droits des personnes, santé et libertés individuelles des Délégués du personnel (article L 2313-2)
- alerte en cas de danger grave et imminent des membres du CHSCT (article L. 4131-2)
- alerte des salariés lorsque qu’une situation de travail représente un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé (article L. 4131-1)
La loi du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte créée un nouveau dispositif d’alerte, ouvert aux salariés et aux membres du CHSCT, lorsque « les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l’établissement font peser un risque grave sur la santé publique ou l’environnement » (articles L. 4133-1 et L. 4133-2 du code du travail).
Ce dispositif fait l’objet d’un chapitre propre au sein du titre troisième « droit d’alerte et de retrait » de la quatrième partie du code du travail « santé et sécurité au travail » au sein duquel figuraient déjà les droits d’alerte des salariés et des membres du CHSCT en cas de risque grave.
La loi ne définit pas la notion de risque grave sur la santé publique ou l’environnement
L’expérience tirée des dispositifs de droit d’alerte existants démontre que la principale difficulté lors de la mise en œuvre de ces dispositifs est liée à l’incertitude quant à leur champ d’application. Directions et représentants du personnel n’ont souvent pas la même vision des choses quant aux situations pouvant donner lieu à alerte.
Le nouveau dispositif ne fait pas exception.
Votées à la suite de scandales sanitaires bien connus (amiante, Médiator, sang contaminé, etc.), les nouvelles dispositions légales prévoient que le risque justifiant l’alerte doit :
- provenir des produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l’établissement ;
- peser sur la santé publique ou l’environnement ;
- être grave.
Le rapport fait au nom de la Commission des Affaires Sociales de l’Assemblée Nationale se contente de préciser que la notion de « risque » vise un « danger éventuel plus ou moins prévisible ».
Le rapport du Sénateur Roland Dantec a quant à lui souligné que le nouveau dispositif visait « l’ensemble du champ environnemental, jusqu’alors non pris en compte, et celui de la santé publique, en ne se limitant pas seulement aux médicaments et aux produits de santé ».
Les potentialités d’application de ce nouveau droit d’alerte semblent donc larges à double titre.
D’abord, parce que cette alerte peut concerner tous les domaines d’activité potentiellement dangereux pour la santé ou l’environnement. Le nombre d’entreprises concernées est donc très important. Ensuite, parce que ce nouveau droit d’alerte va bien au-delà de l’entreprise : alors que les autres droits d’alerte visent à protéger les salariés de l’entreprise, cette nouvelle alerte vise à protéger tous les citoyens, dès lors qu’un risque sur la santé publique ou l’environnement est encouru.
Les actions des salariés et des membres du CHSCT seront toutefois limitées par le principe de bonne foi : le fait de lancer une alerte de mauvaise foi, avec l’intention de nuire ou la connaissance même partielle de l’inexactitude des faits est punie pénalement.
Les modalités d’exercice de ce nouveau droit d’alerte sont relativement simples
En cas d’alerte déclenchée par un salarié ou un membre du CHSCT :
- l’alerte est consignée par écrit dans les conditions qui seront explicitées par voie réglementaire ;
- selon le cas, l’employeur doit informer le salarié des suites données à son alerte dans un délai d’un mois ou examiner la situation conjointement avec le membre du CHSCT ;
- l’employeur informe le CHSCT de l’alerte transmise et des suites données ;
- en l’absence de suites dans un délai d’un mois à compter de l’alerte ou en cas de divergence quant au bien-fondé de l’alerte, le Préfet est saisi. Le CHSCT doit également être informé de cette saisine.
Le salarié lanceur d’alerte est protégé (article L. 1351-1 du code de la santé publique)
Le lanceur d’alerte bénéficie d’une protection spéciale comparable à celle mise en place pour les salariés victimes de discrimination ou de harcèlement, ou ayant témoigné de tels faits : toute mesure de sanction ou discrimination est nulle de plein droit. En cas de litige, le salarié lanceur d’alerte est seulement tenu d’établir des faits laissant présumer qu’il a relaté ou témoigné de bonne foi , de faits relatifs à un danger pour la santé publique ou l’environnement. Il appartiendra ensuite à l’employeur de prouver que sa décision était justifiée par des éléments objectifs sans lien avec l’alerte.
Une sanction originale, potentiellement lourde de conséquences
L’employeur qui, saisi d’une alerte pour risque grave sur la santé publique ou l’environnement, n’aura pas respecté le nouveau dispositif légal mis en place perdra le bénéfice de la cause d’exonération de responsabilité du fait des produits défectueux prévue au 4° de l’article 1386-11 du code civil aux termes de laquelle le producteur n’est pas responsable du dommage causé par un défaut de son produit s’il prouve que l’état des connaissances scientifiques et techniques au moment de sa mise en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut.
Cette sanction très particulière semble a priori circonscrire le champ d’application du nouveau dispositif d’alerte aux seuls employeurs qui sont producteurs. Toutefois, il n’est pas exclu que la jurisprudence trouve d’autres sanctions à appliquer aux employeurs récalcitrants qui ne seraient pas directement concernés par la responsabilité des produits défectueux. De surcroît, le manquement de l’employeur pourrait également être sanctionné le cas échéant sur le fondement de l’entrave.
A propos de
par Caroline Froger-Michon, avocat. Son expertise porte sur les restructurations (transfert des contrats de travail, adaptation des statuts collectifs, articulation des procédures),les licenciements collectifs, les plans de départ volontaire, le droit des comités d’entreprise et des comités européens, les expertises (CE/CHSCT, …), les chartes éthiques et procédures d’alerte, les discriminations, le harcèlement, les risques psycho-sociaux.
et Emilie Bourguignon, avocat du département social
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