La QPC en droit du travail
10 septembre 2013
La QPC permet, sous certaines conditions, au justiciable de demander au Conseil constitutionnel de vérifier si une loi ne porte pas atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Point sur son application en droit du travail.
Entrée en vigueur le 1er mars 2010, la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) permet à tout justiciable de soumettre à un contrôle de constitutionnalité les dispositions législatives qu’on lui oppose, au regard des « droits et libertés que la Constitution garantit ». Si le Conseil constitutionnel juge ces dispositions contraires à la constitution, elles sont abrogées.
Quelques premiers succès, notamment sur la garde à vue le 30 juillet 2010, ont fait naître de grands espoirs et certaines inquiétudes. Trois ans après, on constate que la procédure fonctionne bien et a donné lieu à un grand nombre de décisions.
Si la QPC n’a pas provoqué de révolution, notamment en droit du travail, elle a néanmoins permis quelques avancées.
Preuve en est la récente décision rendue le 1er août 2013 sur la participation dans les entreprises détenues majoritairement par les personnes publiques mais ayant une activité commerciale (décision n°2013-336 QPC du 1er août 2013). L’on attend par ailleurs de connaître la solution qu’adoptera prochainement le Conseil constitutionnel sur la question de la diffusion de tracts syndicaux sur la messagerie électronique professionnelle.
Le droit du travail, terrain d’application de la QPC
En droit social, les principes constitutionnels ne manquent pas : droit au travail, au repos et à l’emploi, liberté syndicale, principe d’égalité, droit pour chaque travailleur de participer à la négociation collective et à la gestion de l’entreprise par le biais de ses délégués, droit de grève, etc. Mais aussi droit de propriété et libertés d’entreprendre, du travail ou contractuelle, sans oublier le principe d’intelligibilité du droit.
Les avocats ont très rapidement perçu l’intérêt de la QPC et l’ont intégré dans leur stratégie de défense. On a donc vu des QPC tous azimuts, notamment sur la loi du 20 août 2008 et les nouvelles règles de représentativité syndicale, mais aussi sur le travail dissimulé, les licenciements économiques ou de salariés protégés, la mise à la retraite, l’inaptitude, etc.
Aujourd’hui cependant, l’engouement initial est passé et bon nombre des textes à enjeu fort ont déjà donné lieu à une décision, sur laquelle, sauf changement de circonstances, il ne faut pas attendre de revirement. Cet essoufflement traduit aussi une déception, les QPC n’ayant que rarement connu le succès.
Les obstacles au succès d’une QPC
La QPC doit d’abord résister au filtrage préalable des juridictions saisies, qui s’assurent que la disposition critiquée n’a pas déjà été déclarée conforme à la constitution par le Conseil constitutionnel, et que la question soulevée est nouvelle et présente un caractère sérieux. Le nombre de décisions rendues par le Conseil constitutionnel (255) au regard du nombre de QPC déposées (plus de 1800) en montre la rigueur.
Le Conseil constitutionnel a su, par ailleurs, faire preuve de retenue et reconnaître la liberté de principe du législateur à l’appréciation duquel il s’interdit de substituer la sienne. Dans les trois quarts des cas, la QPC est rejetée et la loi confirmée, parfois sous réserve. Le taux de non-conformité totale est seulement de 16 %. S’y ajoute 10% de non-conformité partielle.
Bilan et perspectives en droit social
Si l’on s’en tenait aux textes censurés, le bilan serait maigre. Si l’on omet le droit du travail de la Nouvelle-Calédonie et le champ d’application de la participation dans les entreprises publiques, il faut essentiellement citer le régime d’indemnisation de la faute inexcusable et le « harcèlement sexuel ».
A rebours des ambitions des plaideurs, les QPC ont donc plutôt renforcé les textes attaqués.
Mais une QPC qui échoue peut à terme déboucher sur un succès comme on l’a vu avec les retraites chapeau (décision n°2012-654 DC du 9 août 2012). Et sur la question du « mariage pour tous », le refus par le Conseil Constitutionnel de se substituer au législateur a finalement abouti à ce que celui-ci prenne ses responsabilités.
Une analyse plus fine fait apparaître qu’à côté des décisions de non-conformité, le Conseil constitutionnel recourt à des réserves d’interprétation qui recadrent très sérieusement l’application qui peut être faite d’un texte apparemment non censuré. Un précédent limité (faute inexcusable et gens de mer – Décision n°2011-127 du 6 mai 2011) traduit ses potentialités, le Conseil n’ayant pas hésité à substituer sa propre interprétation à celle de la Cour de cassation ! Mais on pensera surtout à la décision sur les mandats extérieurs de salariés protégés qui ne sont désormais opposables à l’employeur que s’il est établi qu’il en était informé (décision n°2012-242 du 14 mai 2012).
On glisse par-là vers la délicate question du contrôle de constitutionnalité de la jurisprudence qui pourrait être porteur de changements notables en droit social. Le Conseil constitutionnel en a posé le principe depuis 2010 ( « tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition »). Mais la Cour de cassation y oppose une résistance opiniâtre en réaffirmant régulièrement qu’est irrecevable, la question qui se borne à contester une règle jurisprudentielle. Et ce refus de transmission n’est, en l’état, susceptible d’aucun recours.
Des résultats plus immédiats et plus profonds peuvent résulter du dialogue des juges. La chambre sociale tient désormais le plus grand compte (par exemple sur le licenciement économique) des décisions du Conseil comme de ses commentaires publiés. Peut-être faut-il y attribuer certains revirements jurisprudentiels qui permettent aux juges de se dispenser de transmettre une QPC parce qu’ils ont, en fait, appliqué ou anticipé la jurisprudence du Conseil (Cass. soc. 14 septembre 2012, n°11-21307 sur les mandats extérieurs) ou tenu compte des problématiques soulevées par la QPC (Cass. soc. 26 mars 2013 n°11-27996 sur l’indemnisation des salariés protégés pour violation du statut protecteur).
En inspirant une interprétation convergente des droits sociaux fondamentaux, la QPC a sans doute plus de portée qu’il n’apparaît au premier abord.
A propos de
Raphaël Bordier, avocat associé, spécialisé en droit social et soutient des organisations françaises, comme européennes et internationales
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