Marchés publics globaux de performance ou marchés de partenariat, comment choisir ?
Comparaison des nouvelles formes contractuelles issues de la réforme des marchés publics.
A l’occasion de la transposition des nouvelles directives marchés publics»1, le gouvernement a, dès mars 2014, annoncé vouloir proposer aux personnes publiques une alternative aux partenariats public-privé (PPP) sous la forme des marchés publics globaux.
L’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, qui devrait entrer en vigueur le avril 2016, consacre, aux côtés des marchés de partenariat (articles 66 et suivants de l’ordonnance), les marchés publics globaux de performance (art. 34).
Ces marchés globaux constituent-ils une véritable alternatives aux marchés de partenariat ? L’examen de leur objet et de leurs conditions d’utilisation respectives, d’une part, de certaines caractéristiques fondamentales, d’autre part, permet de considérer les marchés publics globaux de performance comme une piste alternative envisageable, quoique parfois difficilement substituable, aux marchés de partenariat.
Un objet plus ou moins large, des conditions de recours plus ou moins souples
Marchés de partenariat. Les marchés de partenariat absorbent l’ensemble des formes de PPP sans transfert significatif d’un risque d’exploitation, et notamment les montages domaniaux. Il n’est, en effet, plus possible de recourir aux schémas «aller-retour» reposant sur un bail emphytéotique administratif (BEA) ou une autorisation d’occupation temporaire (AOT) du domaine public comme substituts aux contrats de la commande publique (art. 101 et 102).
L’objet de ces contrats est, corrélativement, redéfini, dans la perspective de couvrir l’ensemble des formes de PPP. En effet, les contrats de partenariat reposaient sur un triptyque dont les composantes étaient obligatoires : réalisation de biens immobiliers ou mobiliers nécessaires au service public, financement en tout ou partie, et entretien ou maintenance ou exploitation ou gestion des biens. Alors que leurs successeurs, les marchés de partenariat, peuvent ne porter que sur la réalisation et financement, total ou seulement partiel, d’un projet lié à un service public ou à une mission d’intérêt général. Il est possible d’adjoindre à cette mission de base des activités de conception d’ouvrage, d’exploitation- maintenance, mais aussi de gestion du service public ; ce qui divisait auparavant la doctrine et la pratique.
L’ utilisation du marché de partenariat est soumise à une double condition. En premier lieu, l’acheteur doit démontrer, dans le cadre de l’évaluation du mode de réalisation du projet, que le recours à un tel contrat présente «un bilan plus favorable, notamment sur le plan financier, que celui des autres modes de réalisation du projet» (art. 75). C’est le critère dit du «bilan favorable», lequel, dans une formulation renouvelée qui sera précisée par décret2, est le seul critère qui subsiste. Les critères de la complexité et de l’urgence disparaissent. En second lieu, la valeur du marché de partenariat doit dépasser un seuil qui sera fixé par voie réglementaire3, ce qui conduit à le réserver à des projets d’une certaine importance. En outre, un avis sur l’évaluation, émanant de l’organisme expert qui prendra la suite de la Mission d’appui aux partenariats public-privé (Mappp), est nécessaire, y compris désormais pour les collectivité territoriales. Un avis sur la soutenabilité budgétaire est également requis (art.76).
Si le marché de partenariat offre une certaine plasticité en termes d’objet, dès lors que le financement en fait partie, il demeure contraint par des conditions d’accès restrictives.
Marchés globaux de performance. L’utilisation des marché publics globaux de performance n’est, elle, pas soumise à un critère spécifique. Il est simplement demandé que ces marchés comportent des engagements de performance mesurables, pouvant notamment -et la liste n’est pas restrictive- porter sur le niveau d’activité, la qualité du service, l’efficacité énergétique ou l’incidence écologique. En pratique, il conviendra que le contrat prévoie un mécanisme de pénalisation si ces objectifs ne sont pas atteints, sauf cause exonératoire.
Les marchés publics globaux de performance succèdent aux marchés dits «REM» (réalisation et exploitation ou maintenance) et «CREM» (conception-réalisation et exploitation ou maintenance), prévus par l’article 73 du Code des marchés publics. Comme eux, ils comportent obligatoirement un aspect portant sur la réalisation d’un investissement ou, de façon plus pertinente, sur sa conception-réalisation. En revanche, le financement n’y figure pas : nous y reviendrons. L’autre volet obligatoire du contrat est relatif à l’exploitation ou à la maintenance (les deux missions peuvent se cumuler) : le lien entre la réalisation de l’investissement et son exploitation-maintenance justifie la dérogation au principe d’allotissement.
Les marchés publics globaux de performance présentent une différence importante par rapport aux CREM. Ils permettent de déroger à la loi sur la maîtrise d’ouvrage publique, dite «loi MOP»4, impliquant la séparation de principe des fonctions de maître d’oeuvre et d’entrepreneur, même en l’absence des motifs techniques ou d’amélioration de la performance énergétique. En effet, la conception-réalisation est ici possible «nonobstant les dispositions de l’article 33» de l’ordonnance relatives aux marchés de conception-réalisation, qui renvoient la loi MOP5.
Le recours au marché public global de performance parait donc désormais très largement facilité.
Des avantages et des inconvénients relatifs
Financement. Dans les marchés de partenariat, le préfinancement, au moins partiel, des investissements par le co-contractant privé demeure un élément central. La personne publique remboursera le partenaire via une composante de sa rémunération – ce remboursement pouvant néanmoins être allégé via l’éventuelle perception de recettes dites «annexes» ou «de valorisation» par le partenaire.
Les marchés publics globaux de performance, quant à eux, ne prévoient pas le préfinancement des investissements par le cocontractant privé ni leur remboursement étalé sur la durée du contrat. Autrement dit, si une dérogation l’allotissement et à la loi MOP est prévue pour les marchés publics globaux de performance, tel n’est pas le cas de l’interdiction du paiement différé. Dans ces conditions, le marché de partenariat présenterait, du point de vue de la possibilité d’un financement privé, un avantage a priori significatif sur les marchés publics globaux de performance.
Mais la réalité est un peu plus complexe. L’interdiction du paiement différé (art. 60) ne concerne que certaines personnes publiques : l’Etat et ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics. Les autres personnes publiques (groupements d’intérêt public, notamment) et la Caisse des dépôts et consignations ne sont pas concernées par cette interdiction. Il en va de même des – nombreux – acheteurs soumis à ordonnance qui sont des personnes morales de droit privé (sociétés d’économie mixte, sociétés publiques locales, SA, HLM,etc.). Pour ces acheteurs, il semble exister une véritable alternative aux marchés de partenariat puisqu’un marché global de performance pourra comporter un paiement différé.
Mais, même pour les acheteurs pour lesquels il est interdit de prévoir des clauses de paiement différé dans leurs marchés, quelques souplesses pourraient a priori être admises dans le cadre d’un marché public global de performance. Le paiement différé doit pouvoir se comprendre6 comme un paiement de l’investissement en tout ou partie au-delà de la phase de réalisation du marché. Rien n’interdirait alors de prévoir un calendrier d’exigibilité du prix, déconnecté du calendrier d’avancement de la réalisation de l’investissement. Des acomptes doivent, certes, être prévus (art. 59) ; mais la valeur des prestations auxquelles ils se rapportent constitue un maximum. Une forme de préfinancement par le titulaire du marché paraîtrait dès lors possible, sans pouvoir toutefois dépasser la fin de la période de réalisation des investissements.
Maltrise d’ouvrage. La qualité de maitre d’ouvrage dans une opération n’est pas dépourvue d’incidences juridiques, même si celles-ci peuvent pour une part être relativisées. Concrètement, il convient de noter, par exemple, que le maître d’ouvrage est celui qui dépose le permis de construire (directement ou par l’intermédiaire d’un mandataire). L’établissement du projet architectural au titre du dossier de demande de permis implique nécessairement le recours à un architecte7 et l’existence d’un lien juridique direct entre le maître d’ouvrage et l’architecte. De même, au titre des divers textes, la désignation du coordinnateur sécurité et protection de la santé, du coordonnateur système de sécurité incendie et du contrôleur technique incombe au maître d’ouvrage. Or, les obligations qui sont attachées, de par la loi, à la qualité de maître d’ouvrage impliquent que, même lorsqu’il a confié à un tiers la réalisation des travaux, le maître d’ouvrage ne peut s’exonérer de la responsabilité pénale résultant de l’inexécution des obligations mises sa charge8.
Dans le cadre d’un marché public global de performance, les risques inhérents à la qualité de maître d’ouvrage demeurent supportés par la personne publique. Au contraire, dans un marché de partenariat, le titulaire du marché «assure la maîtrise d’ouvrage de l’opération à réaliser». Il en supporte donc les risques et, corollairement, dispose de plus de liberté dans la direction des travaux. Toutefois, cette latitude du maître d’ouvrage privé est nécessairement nuancée dans la mesure où l’acheteur public conserve les prérogatives qu’il tire des principes applicables aux contrats administratifs (entre autres, un pouvoir de contrôle et de sanction pouvant aller jusqu’à la résiliation unilatérale). Il reste, en outre, que l’acheteur public conserve en tout état de cause, même dans un marché de partenariat, la maîtrise d’ouvrage «stratégique» du projet.
Recettes de valorisation. A l’inverse du marché de partenariat, pour lequel l’ordonnance du 23 juillet 2015 prévoit explicitement, dans ses articles 83 et 86, la possibilité pour le titulaire de générer des revenus issus de l ‘exercice d’activités annexes et de la valorisation du domaine9, aucune disposition ne vise cette faculté s’agissant des marchés globaux de performance. En réalité, si dans le cadre d’un marché de partenariat la faculté d’obtenir des recettes annexes bénéficie d’un cadre juridique plus élaboré et ouvrant plus de possibilités dans le domaine immobilier, aucun principe ne s’oppose en réalité à la génération et à la prise en compte de telles recettes dans le cadre des marchés globaux de performance.
Il est,en conséquence, difficile de déterminer dans l’absolu quel instrument contractuel devrait être privilégié : comme en de nombreux domaines, le choix dépendra des circonstances et des spécificités du projet .
Ce qu’ il faut retenir :
- Les marchés de partenariat absorbent toutes les formes de PPP sans transfert de risque d’exploitation. Les marchés publics globaux de performance succèdent, quant à eux, aux REM et aux CREM.
- A l’inverse des marchés de partenariat («bilan favorable», valeur du marché excédant un certain seuil), il est simplement requis des marchés globaux de performance qu’ils comportent des engagements de performance mesurables.
- Alors que le financement privé demeure un élément central dans le marché de partenariat, il est exclu du marché global de performance du fait de l’interdiction du paiement différé (qui ne concerne toutefois que certaines personnes publiques).
- La qualité de maître d’ouvrage n’est pas dépourvue d’incidences juridiques. Par ailleurs, si lafaculté pour le partenaire de générer des recettes annexes bénéficie d’un cadre juridique plus élaboré, la génération de telles recettes paraît également possible dans un marché de performance.
- Par conséquent,les marchés globaux de performance peuvent apparaître comme une piste alternative envisageable aux marchés de partenariat.
Notes
1 Directives 2014/ 24/ UE et 2014/ 25/ UE du 26 février 2014.
2 Article 145 du projet de décret relatif aux marchés publics soumis à consultation par Bercy le 5 novembre 2015.
3 Le projet de décret précité prévoit en l’état les seuils suivants (art. 144) : 5 millions d’euros HT pour des biens immatériels, systèmes d’information ou équipements autres que des ouvrages ; 10 millions d’euros HT pour des ouvrages d’infrastructure de réseau, ou pour des ouvrages de bâtiment lorsque la mission ne porte pas sur l’aménagement, l’entretien, la maintenance ou l’exploitation de l’ouvrage ou encore la gestion d’une mission de service public ; 20 millions d’euros HT dans les autres cas. permet, par ailleurs, de recourir sans montant minimal aux marchés de performance énergétique.
4 Loi n° 85-704 du 12juillet 1985.
5 Cependant, une disposition introduite par amendement parlementaire dans le projet de loi relati la liberté de la création, à l’ architecture et au patrimoine, en cours de discussion, entend rétablir pour ces contrats alliant conception et réalisation passés par des acheteurs soumis la loi MOP l’obligation de justifier de motifs techniques ou d’un engagement contractuel sur un niveau d’amélioration de l’efficacité énergétique.
6 Evoquant cette possibilité, avec toutefois une certaine prudence : F. Lorens, Soler-Couteaux, «De l’interdiction du paiement différé et des moyens d’y échapper», Contrats et Marchés publics, n°6, juin 2013, repère 6.
7 Loi n° 77-2 du janvier 1977 sur l’architecture.
8 Par exemple, Cass. crim., 20 janvier 1981, n°80-93000 (maître d’ouvrage ayant sciemment laissé s’exécuter des travaux non conformes au permis) .
9 Pour faciliter cette valorisation, l’article 86 de l’ordonnance prévoit explicitement la possibilité, pour partenaire, de consentir des autorisations d’occupation du domaine public et précise, également, les modalités de valorisation du domaine privé.
Auteurs
François Tenailleau, avocat associé en droit public des affaires
Kawthar Ben Khelil, collaboratrice senior au sein du Département Droit public/Infrastructures intervient en droit public des affaires (marchés publics, délégations de service public, partenariats public-privé, aides publiques, sociétés d’économie mixte, occupation du domaine public, institutions publiques…).