Mobilité intra-communautaire : quelle est la force probante du certificat A1?
20 janvier 2016
Un juge français peut-il remettre en cause la validité d’un certificat de détachement délivré par un autre Etat-membre ? Saisi par la Cour de cassation, le juge communautaire devra trancher.
Qu’est-ce qu’un certificat A1 et quelle est son utilité ?
Dans le cadre de la mise en place du marché commun, des règlements de coordination des systèmes de sécurité sociale ont été édictés au niveau communautaire afin de favoriser la mobilité des travailleurs. Le règlement CE n°883/2004 du 30 avril 2004 (qui succède au règlement n°1408/71 du 14 juin 1971) instaure ainsi un principe «d’unicité de législation», dont il résulte que chaque individu, y compris en situation de mobilité intra-communautaire, ne doit être soumis qu’à un seul régime de sécurité sociale. (cf. Détachement, expatriation : comment gérer les mobilités intra-communautaires).
Les salariés détachés pour une durée temporaire dans un autre Etat-membre qui répondent aux conditions fixées par le règlement se voient ainsi délivrer, par l’institution compétente, un certificat dit «A1» (anciennement «E 101») rappelant qu’ils sont maintenus à la sécurité sociale de leur pays d’origine. Grâce à ce certificat, les salariés détachés et leurs employeurs sont exonérés du paiement des cotisations sociales exigibles dans le pays d’accueil.
Un tel certificat est également délivré dans l’hypothèse où une personne exercerait des activités professionnelles dans plusieurs Etats-membres (hypothèse de «pluriactivité»). Sur la base des critères définis par le règlement communautaire, l’institution de sécurité sociale compétente détermine la législation de sécurité sociale applicable et la consigne sur le certificat A1 afin d’éviter que la personne concernée ne soit assujettie aux systèmes de sécurité sociale de plusieurs Etats-membres.
La délivrance d’un certificat A1 revêt donc en pratique une grande importance en matière de mobilité intra-communautaire des salariés.
Le certificat est également important dans le cadre des prestations de services intra-communautaires. En effet, les donneurs d’ordre qui concluent des contrats portant sur un montant minimal de 5.000 euros HT sont soumis à une obligation de vigilance (cf. De nouvelles obligations pour les prestataires et les donneurs d’ordre), qui les oblige à demander à leurs sous-traitants un certain nombre de documents de nature à justifier de la régularité de leur situation sociale. Dans deux arrêts du 6 novembre 2015, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation a ainsi souligné que bien qu’il ne soit pas expressément visé par le Code, le certificat A1 fait partie des documents que les donneurs d’ordre doivent obligatoirement demander à leurs sous-traitants établis dans un autre Etat-membre.
Existence d’une procédure de retrait du certificat A1
Les textes communautaires prévoient une collaboration entre institutions du pays d’origine et du pays d’accueil s’il est constaté que les conditions dans lesquelles le travailleur exerce sa mission ne correspondent plus à la situation décrite lors de l’obtention du certificat A1 ou s’il est avéré que ce dernier a été obtenu frauduleusement.
L’institution de sécurité sociale dans laquelle l’activité professionnelle est exercée peut ainsi demander des éclaircissements à l’institution qui a délivré le certificat. Le cas échéant, elle peut également lui demander de retirer le certificat A1 qu’elle a émis. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), seule la caisse qui a délivré le formulaire est en effet compétente pour le déclarer invalide et le retirer.
Cette procédure repose néanmoins sur le principe d’une bonne coopération entre les institutions des Etats-membres. Dans un contexte de lutte renforcée contre le dumping social (cf. Détachements et sous-traitance, le dumping social sur la sellette), les autorités nationales manifestent des velléités de sanctionner directement les comportements jugés frauduleux sans nécessairement tenir compte de l’existence d’un certificat A1 autorisant l’employeur à cotiser dans un autre pays.
Le juge national peut-il également remettre en cause un certificat A1 ?
En France, la jurisprudence a eu tendance, ces dernières années, à dissocier la question de la validité du certificat A1 de celle, plus générale, des fraudes au détachement. Dans le cadre de l’internationalisation de l’activité des entreprises, le développement de certaines pratiques abusives consistant à faire cotiser des salariés détachés dans leur pays d’origine, alors que toutes les conditions prévues par le règlement communautaire ne sont pas remplies, est en effet montré du doigt.
Dans ce contexte, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que la délivrance d’un certificat A1 n’avait d’effet qu’à l’égard des régimes de sécurité sociale (Cass. soc, 29/09/2014, n°13-15802).
La chambre criminelle a de son côté affirmé qu’une société poursuivie pour travail dissimulé ne pouvait s’exonérer de sa responsabilité en invoquant la circonstance que les salariés détachés auxquels elle recourt sont couverts par un certificat «E101» (devenu A1) (Cass. crim, 11/03/2014, n°11-88420) (cf. Dumping social, le transport aérien sous haute surveillance).
Comment concilier cette position avec la jurisprudence communautaire qui ne reconnait aujourd’hui qu’une seule manière de contester la validité d’un certificat de détachement ? Dans un arrêt du 6 novembre 2015, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation vient de poser officiellement la question à la CJUE, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel. En cas d’abus ou de fraude manifeste, la Cour de justice autorisera-t-elle les juges nationaux à contester la validité d’un tel certificat sans passer par la procédure administrative de retrait instituée par les textes communautaires ?
Dans un contexte d’internationalisation croissante de l’activité économique et de lutte renforcée contre le dumping social, la réponse de la Cour de justice sur ce point est très attendue.
Auteurs
Caroline Froger-Michon, avocat en matière de droit social.
Guillemette Peyre, avocat, en matière de droit social.
Mobilité intra-communautaire : quelle est la force probante du certificat A1? – Article paru dans Les Echos Business le 20 janvier 2016
A lire également
Préparer concrètement le retour des salariés dans l’entreprise : check-list... 30 avril 2020 | CMS FL Social
Droit social : quand la RSE devient source d’obligations et d’opportunités ... 21 juin 2021 | Pascaline Neymond
Détachements et sous-traitance : le dumping social sur la sellette... 6 mars 2014 | CMS FL
L’accès aux messages instantanés du salarié par l’employeur... 30 octobre 2020 | CMS FL Social
Webinaire : Le «S» de ESG dans les relations de travail... 12 avril 2022 | Pascaline Neymond
Réforme du droit des contrats : retours sur quelques évolutions susceptibles d... 30 novembre 2016 | CMS FL
Organisation matricielle : attention à la responsabilité pénale de la sociét... 28 octobre 2021 | Pascaline Neymond
Droit social des plateformes : ça bouge encore en France et dans l’Union euro... 26 juin 2024 | Pascaline Neymond
Articles récents
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025
- Un salarié licencié pour harcèlement sexuel ne peut se prévaloir du phénomène «#Metoo»
- Régimes de retraite des dirigeants : prestations définies versus actions gratuites
- SMIC : Relèvement du salaire minimum de croissance au 1er novembre 2024
- Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur
- Conférence – Gestion des fins de carrière : que font les entreprises et quelles solutions à dispositions ?