Prévention des difficultés des entreprises : la confidentialité au service de la transparence ?
Les procédures de prévention des difficultés des entreprises sont conçues pour être confidentielles. A cela, deux raisons qui se combinent. D’abord, il est bien connu que toute publicité donnée à l’existence de ces difficultés, même embryonnaires, est un facteur direct d’aggravation de celles-ci.
Le chef d’entreprise n’acceptera d’initier une telle procédure que s’il a la garantie que son existence ne sera pas révélée sur la place publique. Ensuite, les quelques partenaires de l’entreprise (banques, fournisseurs) impliqués dans le processus de négociation n’ont aucun intérêt à dévoiler aux tiers les concessions qu’ils sont disposés à consentir dans ce cadre. En d’autres termes, la confidentialité est la condition d’un déroulement loyal et transparent des négociations.
C’est pourquoi l’article L. 611-15 du Code de commerce énonce que «toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité». L’exigence de confidentialité est d’autant plus forte qu’elle ne se limite pas à la mise en place de la procédure amiable. Elle se prolonge jusqu’à la clôture de la procédure puisque la décision constatant l’accord n’est pas soumise à publication (C. com., art. L. 611-8, I), tandis que celle homologuant l’accord ne fait l’objet que d’une diffusion limitée.
Mais quelle est la force de cette contrainte, lorsqu’elle se trouve confrontée au principe fondamental de la liberté d’expression ? Plus exactement, l’exigence de confidentialité doit-elle prévaloir sur la liberté d’informer du journaliste ?
Telle était la question dont a été saisie la Cour de cassation dans un récent arrêt. En l’espèce, après la mise en place d’un mandat ad hoc puis l’ouverture d’une conciliation concernant plusieurs sociétés d’un même groupe, l’éditeur d’un site d’informations financières en ligne, spécialisé dans le suivi de l’endettement des entreprises, avait publié divers articles relatant l’ouverture et le déroulement de ces procédures. Le conciliateur et les sociétés concernées ont alors assigné la société éditrice devant le juge des référés pour obtenir le retrait de l’ensemble des articles contenant les informations confidentielles. Ils sont déboutés en appel, mais l’arrêt est cassé (Cass. com., 15 déc. 2015, n° 14-11.500). Deux arguments principaux avaient été mis en avant par les juges du fond pour refuser d’interdire la publication.
En premier lieu, la cour d’appel, se référant à la liberté d’informer du journaliste, avait cru pouvoir en déduire que les règles légales de confidentialité ne créaient aucune obligation à l’égard de la société éditrice du site. Analyse erronée selon la Cour de cassation, qui, au visa de l’article 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits l’homme, rappelle que des restrictions peuvent être apportées par la loi à la liberté d’expression pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles. La Haute juridiction précise que ces restrictions peuvent s’appliquer tant à la personne soumise à un devoir de confidentialité qu’à des tiers. Elle ajoute que tel est le cas des informations relatives aux procédures visées à l’article L. 611-15 précité. En d’autres termes, la société éditrice du site, bien que non directement impliquée dans ces procédures, doit respecter le principe de confidentialité.
En second lieu, la cour d’appel avait considéré que la publication des informations ne constituait pas un «trouble manifestement illicite» (l’un des critères de compétence du juge des référés) pas plus qu’elle n’avait causé un quelconque préjudice aux sociétés visées. Là encore, l’analyse est censurée. Pour la Haute juridiction, la diffusion d’informations couvertes par la confidentialité «sans qu’il soit établi qu’elles contribuent à l’information légitime du public sur un débat d’intérêt général» constitue, à elle seule, un trouble manifestement illicite.
La solution peut étonner à première lecture dans un contexte où la liberté d’expression en général et la liberté d’informer en particulier est sacralisée. Elle ne paraît toutefois pas contraire aux lignes directrices esquissées par les juridictions européennes (CEDH 21 janv. 1999, Fressoz et Roire c/ France, publication par le Canard enchaîné de la feuille d’imposition du dirigeant de Peugeot, mais les informations diffusées étaient licites et leur divulgation autorisée), ne serait-ce que parce qu’il reste possible à l’éditeur d’établir l’existence d’un débat d’intérêt général (CEDH 7 juin 2007, Dupuis et a. c/ France, affaire des «écoutes de l’Elysée»). En pratique, on peut penser que cette exception autorisant à se départir de la confidentialité ne concernera que les plus grandes entreprises ou en tout cas celles qui sont les plus médiatisées.
Auteur
Arnaud Reygrobellet, of Counsel, Doctrine juridique et Professeur à l’université Paris X.