Réforme du droit des contrats : c’est fait !
Il aura donc fallu pas moins d’une bonne décennie pour que les ambitieux projets Catala et Terré visant à réformer notre constitution civile connaissent une certaine forme d’aboutissement, à défaut de véritable consécration.
L’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations vient en effet de réécrire, au prisme de considérations politiques et économiques contemporaines, un pan entier de notre Code civil datant de 1804.
Les règles nouvelles s’appliqueront à compter du 1er octobre 2016, soit dans moins de huit mois. Elles ne concerneront pas les contrats en cours à cette date, qui resteront régis par les anciennes dispositions, à l’exception toutefois de celles relatives aux nouvelles actions interrogatoires destinées à sécuriser les contrats (existence d’un pacte de préférence ; étendue du pouvoir du représentant conventionnel ; volonté du contractant d’agir en nullité du contrat). Les nouvelles règles n’auront pas non plus vocation à s’appliquer aux instances introduites avant leur entrée en vigueur (y compris en appel et en cassation).
Les promoteurs de la réforme ont poursuivi un triple objectif de simplicité, d’efficacité et de protection en faisant le choix d’un corps de règles écrites, souhaitées tout à la fois lisibles et prévisibles (renforcer la sécurité juridique) mais aussi attractives (rendre notre droit plus « compétitif » face aux législations étrangères).
Entre l’avant-projet de réforme, diffusé officiellement par la Chancellerie en février 2015, et l’ordonnance publiée le 11 février dernier, le texte a sensiblement évolué. Les rédacteurs du texte ont accepté de prendre en compte certaines des préoccupations et craintes émises par le monde des affaires lors de la consultation publique s’émouvant du risque de voir le Code civil, siège par essence de la liberté contractuelle, devenir un bastion du « solidarisme contractuel », mais aussi de voir décliner la force obligatoire du contrat par l’effet d’un interventionnisme plus prégnant du juge dans la relation contractuelle.
Au résultat, la réforme n’est pas synonyme de révolution. Si le nouveau corpus de règles est indéniablement empreint d’une certaine influence consumériste, il reprend pour l’essentiel nombre de solutions acquises, pour certaines de longue date, en jurisprudence ou, pour d’autres, issues de la pratique.
Au rang des grands principes du nouveau droit des contrats sont réaffirmés de manière opportune le principe de liberté contractuelle (art. 1102 nouv.), avec pour seule limite le respect de l’ordre public, et celui de la force obligatoire des contrats légalement formés qui « tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits» (art. 1103 nouv.). Il en va de même du principe selon lequel les règles spéciales priment les règles générales du Code civil pour les contrats nommés (art. 1105 nouv.).
Parmi les nouveautés importantes introduites dans le Code civil, on ne peut manquer de relever le parti pris d’indiquer clairement les dispositions relevant de l’ordre public (les autres étant a priori supplétives de la volonté des parties), la généralisation de l’exigence de bonne foi (dans la négociation, la formation et l’exécution du contrat ; art. 1104 nouv.) et de son corollaire, l’obligation d’information précontractuelle, qui impose à chaque partie connaissant une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre de l’en informer si, légitimement, cette dernière l’ignore ou fait confiance à son contractant (la dissimulation intentionnelle pouvant entraîner la nullité du contrat ; art. 1112-1 nouv.).
Le nouveau droit commun des contrats c’est aussi :
- le renforcement de l’efficacité des promesses unilatérales (absence d’incidence de la rétractation du promettant pendant le délai d’option sur la formation du contrat ; art.1124 nouv.) ;
- l’introduction comme vice du consentement (violence) de l’abus de l’état de dépendance dans lequel se trouve le cocontractant, déterminant son consentement, pour obtenir de ce dernier un avantage manifestement excessif (art.1143 nouv.) ;
- l’interdiction dans les contrats d’adhésion des clauses créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties (clauses réputées non écrites ; art. 1171 nouv.) ;
- la suppression de la cause parmi les conditions générales de validité du contrat, mais la consécration de ses différentes fonctions reconnues par la jurisprudence, dont celle de rééquilibrage du contrat (clause privant de sa substance l’obligation essentielle du débiteur réputée non écrite ; art.1170 nouv.) ;
- la possibilité pour les parties de renégocier leur contrat en cas de changement de circonstances imprévisible et, en cas d’échec de l’initiative, la reconnaissance ultime au juge du pouvoir de réviser ou de mettre fin au contrat à la demande de l’une des parties (art. 1195 nouv.) ;
- la possibilité pour le créancier en cas d’inexécution du contrat de mettre fin à celui-ci à ses risques et périls (art. 1226 nouv.).
Enfin, au titre des autres innovations importantes méritent tout spécialement d’être signalés l’allégement du mécanisme de la cession de créances (art. 1321 et s. nouv.) et la reconnaissance officielle, attendue des praticiens, de la « cession de contrat » (art. 1216 et s. nouv.) mais aussi de la «cession de dettes» (art. 1327 et s. nouv.).
Reste maintenant à ce nouveau dispositif à être ratifié par le Parlement pour acquérir valeur législative. Sans attendre, le garde des sceaux vient de rappeler que la réforme du droit des contrats n’était que la première étape du vaste chantier de la réforme du droit des obligations : un avant-projet de loi consacré à la révision des règles régissant la responsabilité civile (provisoirement reprises à l’identique sous les nouveaux articles 1231 à 1231-7 et 1240 et suivants) va être soumis à la consultation publique tout prochainement. Et ça, c’est encore à faire !
Auteurs
Elisabeth Flaicher-Maneval, avocat Counsel au sein du département de doctrine juridique.
Daniel Carton, avocat Counsel en droit des entreprises en difficulté