Actualité des fusions : bilan de l’année 2015
Le volume des fusions et acquisitions d’entreprises dans le monde a dépassé le seuil des 5 000 milliards de dollars au cours de l’année 2015. Ce chiffre record s’explique par le volume unitaire des opérations et non par leur nombre : au moins 10 opérations ont porté sur plus de 50 milliards de dollars.
Il est donc certain que le droit des restructurations, accompagnant ce phénomène, suscite un intérêt particulier. On en restera, pour cette présentation, à des questions relevant du seul droit français et qui constituent une actualité très riche. La fusion donne prise à deux types de contentieux. D’abord, la fusion a une dimension procédurale qui fait naître de multiples contestations ; ensuite, la fusion a pour conséquence une transmission universelle du patrimoine dont les contours sont toujours mouvants.
I. Les aspects procéduraux
La première question est relative au domaine d’application de la procédure des fusions. Un avis du Comité de coordination du registre du commerce et des sociétés (CCRS, avis n° 2015-03 du 5 février 2015) a retenu l’attention sur ce point. Il a été considéré qu’une société placée en redressement ou en liquidation judiciaire ne pouvait pas faire l’objet d’une fusion-absorption. Cet avis vient confirmer une décision rendue par la Cour de cassation le 12 juillet 2005 (pourvoi n° 03-14.809), qui avait décidé que les « principes gouvernant le redressement et la liquidation judiciaires des entreprises en difficultés » s’opposaient à ce qu’une transmission universelle de patrimoine ait lieu après l’ouverture d’une telle procédure. Rendue à propos de la transmission résultant de la réunion en une seule main des parts d’une société, il avait été admis que cette solution était applicable aux opérations de fusion, de scission et d’apport partiel d’actifs.
Une deuxième question concerne la soumission des opérations de fusion à l’application de certaines procédures spécifiques qui ne les visent pas expressément. L’année 2015 a été celle de la levée d’un doute né l’année précédente. On se souvient que la loi Hamon avait employé des termes très généraux en matière d’obligation d’information des salariés en cas d’opération portant sur plus de 50 % des titres d’une société. Beaucoup s’étaient alors interrogés sur le champ d’application de ce dispositif et notamment au regard de l’opération de fusion. La loi Macron du 6 août 2015 a levé toute ambigüité : seules les opérations de vente sont en réalité visées. Les opérations de transmission universelle de patrimoine (fusion, scission et apport partiel d’actif soumis au régime des scissions) sont donc soustraites à cette exigence.
Une troisième question a trait au déroulé même de la procédure de fusion. Par une décision importante, rendue le 6 octobre 2015 (pourvoi n° 14-11.680), la Cour de cassation a jugé que l’assemblée générale saisie d’un projet de fusion pouvait en modifier les conditions avant de l’approuver. Cette question était encore débattue et la solution a été favorablement accueillie. Alors même que cette décision concernait une société anonyme, cette solution nous semble applicable à toutes les formes de sociétés, voire à tous les groupements
Les aspects procéduraux ont, ainsi, concentré l’essentiel du contentieux. Cependant, la question de l’étendue de la transmission, pourtant récurrente, a également donné lieu à contentieux et, notamment, à deux décisions importantes.
II. L’étendue de la transmission
La jurisprudence nous fournit deux séries de décisions.
Par deux décisions en date du 22 septembre 2015, la Cour de cassation s’est prononcée sur les conséquences inéluctables de la transmission universelle en termes de contentieux du travail. Dans un premier arrêt (pourvoi n° 13-25.429), la chambre sociale a rappelé que la société absorbante a, de plein droit, qualité pour poursuivre les instances engagées par ou contre la société absorbée du fait de la transmission universelle de patrimoine. Ainsi, lorsque l’opération de fusion-absorption se réalise au cours de la procédure engagée contre la société absorbée et que la société absorbante intervient à l’instance, la fin de non-recevoir tirée de l’absence de droit d’agir de la société absorbée doit être écartée. Dans un second arrêt (pourvoi n° 14-11.321), la Cour de cassation, a retenu que la règle de l’unicité de l’instance est opposable au salarié qui souhaite agir contre la société absorbante alors qu’il a déjà agi contre la société absorbée. Rappelons que selon cette règle : « toutes les demandes liées au contrat de travail entre les mêmes parties font, qu’elles émanent du demandeur ou du défendeur, l’objet d’une seule instance » (c. trav., art. R. 1452-6).
D’autres décisions sont venues apporter des éléments supplémentaires sur la question abordée. Dans la première décision rendue le 27 janvier 2015 (pourvoi n°13-34.778) la Cour de cassation a été confrontée au sujet bien connu de la transmission du cautionnement. Si le sujet n’est pas inédit, les circonstances de l’affaire l’étaient davantage. En l’espèce, une banque avait fait inscrire, à l’occasion de la rédaction manuscrite d’un cautionnement, après la mention « au prêteur », les mots suivants : « ou à toute personne qui lui sera substituée en cas de fusion, absorption, scission ou apports d’actifs ». Les cautions ont, par la suite, estimé que cette inscription entachait de nullité leur engagement. La Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel d’avoir considéré que la banque était fondée à demander la mise en Å“uvre du cautionnement, au motif que « cet ajout, portant exclusivement sur la personne du prêteur, ne dénature pas l’acte de caution et n’en rend pas plus difficile la compréhension ; qu’ayant ainsi fait ressortir que l’ajout n’avait pas altéré la compréhension par les cautions du sens et de la portée de leurs engagements, la Cour d’appel a pu statuer comme elle a fait ». Cette première décision présente un réel intérêt pour les rédacteurs d’actes qui ne manqueront sans doute pas d’introduire une telle clause à l’avenir, tout au moins pour ceux qui n’y auraient pas déjà recours.
La seconde décision rendue par la Cour de justice de l’Union européenne le 5 mars 2015 (affaire n° C-343-13) a suscité un grand intérêt. Selon le juge de l’Union, la troisième directive (78/855/CEE) doit être interprétée en ce sens qu’une fusion par absorption entraîne la transmission, à la société absorbante, de l’obligation de payer une amende pénale (en l’espèce une infraction à la législation du travail) infligée à la société absorbée avant la fusion. Cette solution, à laquelle semblait pourtant s’opposer le principe de la personnalité des peines, pourrait être suivie en droit interne, mais les suites ne sont pas certaines.
Ces deux dernières décisions, particulièrement remarquées, alimentent, en définitive, une année déjà riche en matière de fusions. Peut-être en sera-t-il de même en 2016, même si les premières décisions ont concerné l’apport partiel d’actif et non l’opération de fusion…
Auteur
Christophe Lefaillet, avocat associé spécialisé en droit des sociétés