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La conciliation prud’homale : opportunité ou piège social ?

La conciliation prud’homale : opportunité ou piège social ?

La loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques comporte un volet consacré à la justice prud’homale dont l’un des objectifs affichés est d’accroître les chances de parvenir à un mode de règlement amiable des litiges. A ce jour, à peine 7% des instances introduites devant le Conseil de Prud’hommes donnent lieu à une conciliation.

S’il paraît acquis que ces nouvelles dispositions ne pourront que conduire à améliorer ce faible score, il est utile de rappeler les principales innovations de la loi introduites pour inciter les parties à concilier et notamment d’avoir à l’esprit le régime fiscal et social des sommes versées à cette occasion.

Les nouveautés de la procédure de conciliation

Applicables pour toutes les instances introduites devant le Conseil de Prud’hommes depuis la publication au JO du 7 août 2015, les dispositions de la nouvelle loi rebaptisent le bureau de conciliation en bureau de conciliation et d’orientation. Si ce nom affiche toujours son ambition de conciliation, comme auparavant, il affiche également un nouvel objectif d’orientation, ce qui doit conduire les parties à ne pas considérer ce stade comme une simple formalité mais bien comme une étape qui peut être décisive.

Une mission renforcée de concilier les parties…

Le nouvel article L.1454-1 du Code du travail rappelle que le bureau de conciliation et d’orientation est chargé de concilier les parties.

La principale nouveauté dans les pouvoirs qui lui sont accordés tient au fait que le bureau de conciliation et d’orientation peut désormais juger au fond l’affaire portée devant lui lorsque le défendeur ne comparaît pas sans motif légitime, en l’état des pièces et moyens que la partie comparante aura contradictoirement communiqués (article L.1454-1-3 du Code du travail). Là où auparavant le bureau de conciliation pouvait seulement ordonner, à titre provisoire, des mesures ou le paiement de certaines sommes à caractère salarial, dorénavant le bureau de conciliation et d’orientation peut également rendre un jugement à l’encontre de la partie adverse en son absence.

Cette innovation devrait inciter le demandeur à produire contradictoirement ses arguments et pièces à l’appui de ses demandes dès la saisine du Conseil de Prud’hommes afin de pouvoir, le cas échéant, en tirer profit le jour de l’audience du bureau de conciliation et d’orientation si le défendeur ne comparaissait pas, ou si son motif d’absence n’était pas jugé légitime. Précisons sur ce dernier point que la présence à l’audience d’un avocat bénéficiant de fait d’un mandat de représentation de son client ne dispense pas ce dernier de justifier du motif légitime de son absence, puisque l’article R.1453-1 du Code du travail exige toujours la comparution des parties en personne.

Il convient donc de redoubler de vigilance à l’approche d’une audience de conciliation et d’orientation en envisageant l’éventualité de devoir préparer sa défense en cas de communication de pièces et de conclusions par la partie adverse à ce stade.

S’agissant du déroulement de l’audience, toujours dans la confidentialité, les parties peuvent être entendues séparément si elles le souhaitent.

…ou à défaut, de mise en état et d’orientation des affaires

En l’absence de conciliation, c’est désormais le nouvel article L.1454-1-2 du Code du Travail qui assigne au bureau de conciliation et d’orientation la mission d’assurer la mise en état des affaires.

Comme le prévoyaient déjà les articles R.1454-1 et suivants du Code du travail, un ou deux conseillers rapporteurs peuvent être désignés à cet effet et prescrire «toutes mesures nécessaires», en ordonnant par exemple aux parties la production de certains documents ou justifications propres à éclairer le Conseil.

Enfin, le bureau de conciliation et d’orientation a la faculté ensuite de renvoyer l’affaire, selon sa nature, pour être jugée par l’une des 3 formations du bureau de jugement :

  • dans sa composition restreinte (soit deux conseillers – un employeur et un salarié) chargée de statuer dans un délai de 3 mois, si les parties sont d’accord et lorsque le litige porte sur un licenciement ou une demande de résiliation judiciaire
  • dans sa composition de départage (soit quatre conseillers – deux employeurs, deux salariés) présidée par un juge professionnel, désigné parmi les magistrats du Tribunal de Grande Instance, si les parties le demandent ou si la nature du litige le justifie
  • ou bien devant le bureau de jugement «classique» composé de quatre conseillers (deux employeurs, deux salariés).

Concrètement, l’organisation de ce nouveau parcours procédural est peu suivie d’effet pour l’instant. Si néanmoins l’objectif poursuivi d’un traitement plus rapide et plus efficace des affaires en bureau de jugement est un jour atteint, ces nouvelles options procédurales pourraient, dans certains cas, inciter à la conciliation dès lors que le défendeur aura moins d’intérêt à « gagner du temps » en préférant un renvoi – parfois très lointain selon les Conseils de Prud’hommes – en bureau de jugement.

L’intérêt de concilier au plan financier

Déjà la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi et le décret n°2013-721 du 2 août 2013, applicable depuis le 8 août 2013, prévoyaient un mécanisme d’indemnisation forfaitaire par accord au stade de la conciliation.

Le montant de l’indemnité forfaitaire est déterminé, sans préjudice des indemnités légales, conventionnelles ou contractuelles, en référence à un barème fixé en nombre de mois de salaire en fonction de l’ancienneté chez l’employeur : 2 mois pour une ancienneté de moins de 2 ans, 4 mois pour une ancienneté comprise entre 2 et moins de 8 ans, 8 mois pour une ancienneté de 8 à moins de 15 ans, 10 mois pour une ancienneté entre 15 et 25 ans et 14 mois pour une ancienneté supérieure à 25 ans (articles L 1235-1 al 1 et D 1235-21 du Code du Travail).
Le versement de cette indemnité conduit à s’interroger sur son traitement au plan fiscal et en paye.

D’un point de vue fiscal, il n’y a guère de surprise puisque le législateur a exonéré intégralement cette indemnité au même titre que d’autres indemnités versées en contentieux comme l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (article 80 duodecies, 1.1° du Code général des impôts).

Au plan social, dès lors que le litige porte sur une demande d’indemnités «à l’occasion de la rupture du contrat de travail» intervenue à l’initiative de l’employeur, l’indemnité forfaitaire devrait être exonérée de cotisations de sécurité sociale dans la limite de deux fois le plafond annuel de la sécurité sociale, soit actuellement 77 232 €, étant rappelé que cette limite s’apprécie au regard du montant total des indemnités versées (article L. 242-1, alinéa 12 du Code de la sécurité sociale). La même règle devrait s’appliquer en matière de CSG et CRDS (article L. 136-2, II, 5° du Code de la sécurité sociale), sous réserve que la limite de 10 plafonds annuels ne soit pas atteinte puisqu’en ce cas, le montant total des indemnités doit être assujetti à ces contributions.

Précisons toutefois que les URSSAF, à l’occasion de leurs contrôles, tendent à majorer le coût d’une conciliation en considérant que la CSG et la CRDS sont dues et que le forfait social de 20% est également dû sur la partie exonérée de cotisations de sécurité sociale.

Les URSSAF estiment que l’indemnité forfaitaire de conciliation ne peut pas être assimilée à une indemnité de licenciement. Une telle position, outre le fait qu’elle diminue l’intérêt d’une conciliation, est juridiquement contestable dès lors que le litige porte sur le versement d’indemnités «à l’occasion de la rupture du contrat de travail» intervenue à l’initiative de l’employeur, et notamment d’un licenciement, puisque l’article L. 137-15, 3° exonère expressément du forfait social les indemnités de licenciement, de mise à la retraite et de départ volontaire versées dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi qui sont exclues de l’assiette des cotisations de sécurité sociale.

L’intérêt de la conciliation ne pourrait être préservé que pour autant que tant l’entreprise que le salarié ne soient pas pénalisés sur le traitement social de l’indemnité.

Dans ce contexte, un allègement de la position des URSSAF, conforme à l’objectif de la réforme, est souhaitable. Sujet à suivre… Dans l’attente, il est préconisé de faire le lien, dans le procès-verbal de conciliation, entre, d’une part, l’indemnité forfaitaire et d’autre part, le licenciement ainsi que les demandes contentieuses de nature indemnitaire liées au licenciement.

 

Auteurs

Delphine Pannetier, avocat en droit social

Thiphaine Le Bihan, avocat en droit social

La conciliation prud’homale : opportunité ou piège social ? – Article paru dans Les Echos Business le 24 février 2016