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Le régime anti «sous-capitalisation» a dix ans : c’est l’heure du bilan !

Le régime anti «sous-capitalisation» a dix ans : c’est l’heure du bilan !

Le dispositif actuel de lutte contre la sous-capitalisation fête ses dix ans. Les années écoulées ont certes permis de réformer ce texte sur certains aspects, mais également de mettre en lumière diverses insuffisances et certaines exigences contestables de l’administration lors de contrôles. Revue de quelques problématiques que soulève le dispositif actuel.

Le législateur fiscal s’était fixé un objectif ambitieux dans le cadre de la loi de finances pour 2006 : adopter un régime permettant d’encadrer la déduction des intérêts lorsque le poids de la dette liée supporté par une société soumise à l’IS était jugé trop important au regard de ses capacités économiques. Après dix années de pratique (dont une de période transitoire), le retour d’expérience est mitigé : si le dispositif de lutte contre la sous-capitalisation est plutôt souple, et s’adapte correctement à nombre de situations particulières, les récentes réformes du texte comme certaines pratiques des services contrôleurs ternissent la toile.

1. Le dispositif légal : une limitation à double détente toujours plus sophistiquée

Initialement, le dispositif de lutte contre la sous-capitalisation prévu par l’article 212 du Code général des impôts (CGI) avait vocation à ne s’appliquer qu’aux charges financières supportées à raison de la dette souscrite auprès d’entités liées (c’est-à-dire contrôlant le débiteur, ou placées sous contrôle commun avec ce dernier). Il comprenait ainsi (i) d’une part un plafond en termes de taux d’intérêt au-delà duquel les charges financières sont traitées comme non déductibles fiscalement (la «limite de taux»), et (ii) d’autre part trois plafonds en termes de poids relatifs de la dette et des charges financières supportées par l’entreprise (en l’occurrence, un plafond dette/fonds propres de 60/40 ; un plafond égal à 25% de l’EBITDA ajusté de l’emprunteur ; et un plafond fonction du montant des intérêts financiers perçus de sociétés liées) qui, s’ils sont tous trois dépassés, conduisent à remettre en cause la déductibilité de la fraction des intérêts correspondant au dépassement du plafond maximal (la «limite de levier»).

Ces deux limites ont été complétées en 2011 et 2014, dans un objectif de modernisation du dispositif. Ainsi, en 2011, la limite de levier a intégré dans la dette prise en compte non seulement la dette souscrite auprès d’entités liées, mais également la dette tierce (typiquement, la dette bancaire) lorsque celle-ci était garantie par certaines entités liées au débiteur. En 2014, la limite de taux a, elle, été complétée par un dispositif subordonnant la déductibilité des intérêts versés à une entreprise liée (notamment lorsqu’elle est étrangère) à la démonstration que lesdits intérêts sont effectivement assujettis à un impôt sur les bénéfices au moins égal au quart de celui qui serait déterminé dans les conditions de droit commun (dispositif dit «anti-hybrides»).

2. La limite de taux ou les affres de la démonstration du taux de marché

La limite de taux prévoit que les intérêts supportés à raison d’une dette souscrite auprès d’une entité liée ne sont par principe déductibles qu’à hauteur d’un taux fixé par le CGI (le «taux fiscal»), sauf à ce que le débiteur puisse se prévaloir d’un taux de marché supérieur qu’il aurait pu obtenir d’établissements financiers indépendants dans des conditions analogues.

Le texte légal opère donc un renversement de la charge de la preuve au détriment du débiteur qui, compte tenu du montant du taux fiscal au cours des dernières années (2,15% pour les sociétés clôturant au 31/12/2015), a vocation à s’appliquer systématiquement.

En pratique, nombre de services vérificateurs considèrent que la preuve n’est jamais rapportée, sauf à pouvoir présenter une offre de financement d’un établissement financier tiers, portant sur un financement identique à celui finalement levé par l’entité considérée auprès d’une entité liée, et établie à la date à laquelle ce dernier a été mis en place. Cette exigence va au-delà du texte légal, qui vise un taux obtenu d’un tiers dans des conditions «analogues», et non «identiques». Il serait souhaitable que l’administration accepte de s’en remettre à un «faisceau d’indices», conformément d’ailleurs à ce qui est appliqué en matière de prix de transfert. Ainsi, une attestation délivrée (même a posteriori) par un groupe bancaire réputé, une étude de la moyenne des taux accordés au cours d’une même année pour des financements comparables, et/ou des offres de financement similaires mais non identiques, pourraient constituer un socle justificatif permettant de renverser la charge de la preuve, sous réserve que les différents éléments produits soient convergents. Cependant, à ce stade, et compte tenu des retours du terrain, il reste conseillé en pratique de faire établir des offres de prêts d’établissements bancaires indépendants lors de la souscription d’emprunts auprès de sociétés liées afin de se ménager une preuve incontestable du taux de marché applicable à l’époque des faits.

3. La limite de levier : un rafraîchissement s’impose !

La triple limite de levier a le mérite de proposer une approche pragmatique. Sa modernisation réalisée en 2010 pour intégrer à partir de 2011 les financements tiers garantis par des sociétés liées répond à une logique anti-abus compréhensible.

Reste que les exceptions à une telle prise en compte devraient probablement être étendues pour tenir compte des particularités de certains financements, comme par exemple des émissions réalisées à destination d’investisseurs qualifiés ou d’un cercle restreint d’investisseurs (opérations visées à l’article L. 411-2 du Code monétaire et financier), lesquelles sont analogues en bien des points aux émissions dans le cadre d’offres au public, mais qui sont aujourd’hui incluses dans la limite de levier dès lors qu’elles sont garanties par des entités liées à l’émettrice.

Par ailleurs, l’exception prévue par la loi conduisant à exclure de la limite de levier les prêts consentis par des tiers et garantis exclusivement par le nantissement de titres d’entités membres du même groupe d’intégration fiscale que l’emprunteur devrait également, en application du principe de liberté d’établissement, être étendu aux garanties identiques consenties par une société mère étrangère résidente de l’Union Européenne (UE), et détenant indirectement plus de 95 % du capital de l’emprunteur.

Cette exception devrait d’ailleurs être également étendue aux financements sécurisés par la mise en fiducie des titres du débiteur ou d’une entité liée au débiteur et membre du même groupe fiscal. Ainsi, la structuration de financements complexes sécurisants pour les banques et fiscalement efficients pour les emprunteurs serait envisageable, seuls les financements fiduciaires relativement simples étant aujourd’hui hors-sous-capitalisation (cas par exemple de la mise en fiducie des titres de la cible par l’emprunteur acquéreur).

Enfin, il serait souhaitable que la pratique administrative admette clairement les efforts de recapitalisation comptable de certaines sociétés (au demeurant explicitement souhaitée par le législateur s’agissant de l’année de transition, en 2006), sans tenter de contester ces restructurations sur le fondement de l’abus de droit, voire en s’affranchissant de l’avis défavorable du Comité de l’abus de droit fiscal1.

4. Quel avenir pour la lutte contre la sous-capitalisation «à la française»?

Cette question parait iconoclaste dans une période où la marotte du législateur fiscal consiste davantage à prévenir les pratiques d’optimisation plutôt qu’à les encourager. Mais c’est plus d’une pression européenne que d’un assouplissement pro-business que pourrait venir le trépas du dispositif de sous-capitalisation français. En effet, dans le cadre du «paquet fiscal» présenté par la Commission européenne le 28 janvier dernier, une nouvelle limitation s’appliquant à l’ensemble des charges financières nettes a été proposée, conduisant à limiter leur déductibilité (sous réserve d’une exception d’endettement groupe) au montant le plus élevé entre (i) 30% de l’EBITDA ajusté de l’emprunteur, et (ii) un million d’euros. Ce faisant, le projet de directive propose de transposer au niveau de l’Union européenne le «modèle» allemand, lequel s’applique à l’ensemble de la dette (qu’elle soit liée ou externe au groupe), et plafonne la déduction en fonction de la capacité de l’emprunteur à générer de la marge (à la différence de la limitation générale de déduction des charges financières nettes en droit français, dite du « rabot », en vigueur depuis 2013 et dont le taux actuel est de 25 %). Dans ce modèle (dont la constitutionnalité est pourtant contestée devant la Cour constitutionnelle allemande !), la dette n’est plus combattue pour l’optimisation fiscale qu’elle est susceptible d’induire, mais au motif qu’elle serait intrinsèquement néfaste dès lors qu’elle est disproportionnée au regard des revenus de l’emprunteur.
Si cette nouvelle limitation européenne devait être adoptée, elle devrait porter un coup brutal à l’attractivité de la France dont le taux l’IS est déjà l’un des plus élevés de l’UE. La question se poserait en outre de sa transposition technique en droit interne. Deux hypothèses se présenteraient alors: soit cette limite viendrait se substituer à l’ensemble des régimes encadrant la déduction des intérêts (dont celui de lutte contre la sous-capitalisation), dans un effort salutaire de simplification ; soit elle viendrait remplacer le seul «rabot», voire s’additionner à l’arsenal déjà existant, ajoutant une haie supplémentaire au redoutable parcours d’obstacles de la déduction des intérêts d’emprunt.. Les paris sont ouverts, et la vigilance est déjà de mise !

Note

1 Voir à cet égard «Sous-capitalisation et abus de droit : prémices d’une relation contrariée», Option finance du 6 juillet 2015.

 

Auteurs

Laurent Hepp, avocat associé, en droit fiscal

Jean-Charles Benois, avocat en droit fiscal

 

Le régime anti « sous-capitalisation » a dix ans : c’est l’heure du bilan! – Article paru dans le magazine Option Finance le 29 février 2016