Donation-cession et démembrement : la prudence est de mise
Les contribuables qui détiennent des titres et qui envisagent de gratifier leurs proches ont un intérêt fiscal à leur donner des titres porteurs d’une plus-value latente et que les donataires pourront ainsi céder à un tiers acquéreur.
Ces opérations dites de « donation-cession » permettent au donateur d’échapper à l’impôt sur la plus-value latente, car il ne vend pas les titres, et le bénéficiaire – qui cède dans la foulée les titres reçus pour la même valeur – ne réalise pas de plus-value et n’est donc pas imposé.
Encore faut-il que la donation soit sincère, c’est-à -dire, d’après la formule consacrée par le Conseil d’Etat, qu’elle se traduise par un « dépouillement immédiat et irrévocable de son auteur » (CE 31 décembre 2011 n°330940). A défaut, l’administration fiscale peut écarter la donation comme ne lui étant pas opposable sur le fondement de l’abus de droit fiscal et taxer la plus-value entre les mains du prétendu donateur.
Lorsque la donation ne porte que sur la nue-propriété, le donateur conservant l’usufruit (démembrement), les droits de donation sont réduits car ils sont assis sur la seule valeur de cette nue-propriété.
Lors de la vente des titres, le prix de vente est en principe réparti entre le nu-propriétaire et l’usufruitier en fonction de la valeur de leurs droits respectifs calculée par rapport à l’espérance de vie de l’usufruitier. Le nu-propriétaire et l’usufruitier peuvent également prévoir, soit de remployer le prix de vente dans un nouvel investissement démembré, soit, par une convention dite de « quasi-usufruit », de laisser à l’usufruitier l’entière disposition du produit de la vente jusqu’à son décès, date à laquelle la somme – dont l’usufruitier est débiteur – doit être restituée au nu-propriétaire.
Cela étant, la stipulation d’une convention de quasi-usufruit dans le cadre d’une opération de donation-cession s’avère particulièrement délicate du point de vue fiscal.
Ainsi, dans un arrêt du 14 octobre 2015, le Conseil d’Etat a conclu au caractère abusif d’une opération de donation de la nue-propriété de titres ensuite cédés, suivie de la conversion de l’usufruit du donateur en quasi-usufruit (CE 14 octobre 2015 3°-8° s-s, n°374440).
A première vue, cette décision peut paraître relativement surprenante dans la mesure où si le quasi-usufruitier dispose effectivement du prix de vente, ce n’est qu’en contrepartie d’une dette de restitution à l’égard du nu-propriétaire.
Il semble toutefois que cette décision est motivée par les circonstances particulières du cas soumis au juge car la convention de quasi-usufruit avait été conclue postérieurement à la cession des titres, et alors que l’usufruitier avait déjà encaissé une quote-part du prix excédant celle du seul usufruit, anticipant ainsi sur la convention de quasi-usufruit…
A noter également que la Haute juridiction a relevé de manière incidente que le quasi-usufruitier n’avait pas fourni de garantie au nu-propriétaire (ce qui aurait assuré au nu-propriétaire qu’il pourrait récupérer, au décès du quasi-usufruitier, les sommes constituant ledit quasi-usufruit). Toutefois, cette circonstance n’a sans doute pas été décisive dans la mesure où le Code civil admet que l’usufruitier puisse être dispensé par le nu-propriétaire de fournir une telle garantie étant précisé que, même dans le cas d’une telle dispense, le nu-propriétaire peut saisir le juge en cas d’abus de jouissance de l’usufruitier. Le juge dispose de plusieurs types de sanctions allant de l’exigence d’un emploi des biens à une déchéance pure et simple du quasi-usufruit, c’est-à -dire à l’obligation de restituer de manière anticipée les fonds (article 618 du Code civil).
A l’inverse, dans l’hypothèse où le quasi-usufruit serait stipulé dans l’acte de donation ou au plus tard lors de la cession, il ne devrait selon nous pas annihiler l’intention libérale du donataire. Le Conseil d’Etat devrait prochainement pouvoir préciser sa jurisprudence dans le cadre de deux pourvois formés contre des arrêts des cours administratives d’appel de Lyon (16 décembre 2014) et de Douai (23 octobre 2015). En particulier, dans cette dernière affaire, la convention de quasi-usufruit avait été stipulée dans l’acte de donation et une dispense de garantie avait été expressément accordée par le nu-propriétaire.
Dans l’attente de ces précisions, la prudence est donc de mise et l’on prendra soin, à tout le moins, de stipuler la convention de quasi-usufruit dans l’acte de donation si possible, et en tout cas au plus tard avant la cession.
Auteur
Charles de Crevoisier, avocat counsel, spécialisé en fiscalité directe