Apport de titres à une société contrôlée: l’Administration finalise enfin ses commentaires ! 1ère partie
Plus de trois ans après l’entrée en vigueur du régime de report d’imposition de l’article 150-0 B ter du CGI, la Direction de la Législation Fiscale a publié le 4 mars ses commentaires révisés du dispositif pour tenir compte – mais pas toujours – des observations formulées par la place dans le cadre de la consultation publique ouverte le 2 juillet 2015. Revue des points saillants du BOFiP ainsi finalisé.
La plus-value, réalisée directement ou par personne interposée, à raison de l’apport de titres à une société soumise à l’IS contrôlée par l’apporteur, est exclue depuis le 14 novembre 2012 du sursis d’imposition de l’article 150-0 B et relève d’un régime de report d’imposition. Le législateur a entendu encadrer les opérations dites d’«apport-cession» en s’inspirant directement de la jurisprudence du Conseil d’Etat rendue sur le terrain de l’abus de droit. En ce sens, la loi prévoit que la société bénéficiaire des apports (ci-après la «Société») ne peut se séparer des titres reçus avant trois ans sous peine de provoquer la cessation du report et la taxation de la plus-value à l’IR, sauf à procéder dans les deux ans au réinvestissement approprié de 50% du produit de la cession.
1. Champ d’application du report d’imposition
L’Administration précise que les plus-values réalisées par l’intermédiaire d’une fiducie sont éligibles au mécanisme du report d’imposition, de même que celles dégagées par des contribuables non-résidents, lorsqu’elles sont imposables en France.
Apports rémunérés par des obligations convertibles, échangeables ou remboursables en actions : l’obtention de tels titres n’étant pas en elle-même de nature à conférer immédiatement le contrôle de la société émettrice, l’Administration admet que la plus-value d’apport échappe en principe dans ce cas à l’article 150-0 B ter. Elle exprime toutefois explicitement une mise en garde à cet égard sur le terrain de l’abus de droit.
Dans le cas où l’apport entrerait néanmoins dans le champ du report d’imposition, soit que l’apporteur détienne déjà le contrôle avant l’opération, soit que l’apport donne lieu à rémunération par des titres de capital qui confère ce contrôle, l’Administration admet que la plus-value d’échange bénéficie du report d’imposition, ce qui n’est pas évident à la lettre de la loi. Dès lors, la crainte que l’apport rémunéré par des ORA/OCA/OEA puisse ne bénéficier d’aucun régime de différé d’imposition est heureusement écartée.
Le BOFiP confirme que le report d’imposition s’applique également aux apports de droits démembrés à une société contrôlée. Les plus-values d’apport de nue-propriété de titres bénéficient systématiquement du régime du report d’imposition. En revanche, le BOFiP souligne que l’apport de l’usufruit «temporaire» de titres relève «le cas échéant» du régime de l’article 13,5, s’il constitue la première cession à titre onéreux du même droit : taxation à l’IR de la valeur d’apport de l’usufruit, à l’exclusion de tout différé d’imposition. Cet aspect renvoie au sujet complexe des cessions d’usufruit «temporaire» qui a fait l’objet de commentaires spécifiques (BOI-IR-BASE-10-10-30).
S’agissant de la soulte que peut comporter la rémunération d’un apport en report d’imposition, dans la limite de 10% de la valeur nominale des titres émis en rémunération, l’Administration émet –pour la première fois à notre connaissance– une mise en garde au regard de l’abus de droit «s’il s’avère que cette opération ne présente pas d’intérêt économique pour la société bénéficiaire de l’apport, et est uniquement motivée par la volonté de l’apporteur d’appréhender une somme d’argent en franchise immédiate d’impôt et d’échapper ainsi notamment à l’imposition de distributions du fait de ce désinvestissement ». L’Administration considère ainsi qu’il peut être fait un usage abusif d’un dispositif anti-abus. Ce commentaire administratif appelle en tout cas à la plus grande vigilance quant à l’utilisation de la soulte, y compris pour les opérations éligibles au sursis d’imposition.
Apport avec earn out : le BOFiP vise la perception d’un complément de prix en numéraire par l’apporteur, correspondant donc au cas –rarement rencontré en pratique– d’un apport comportant une clause d’earn out. Il est précisé que ce complément de prix, lorsqu’il est payé en numéraire, «est considéré comme un élément de la soulte» qui doit «être pris en compte pour l’appréciation du seuil de 10% (…) Dès lors, lorsque la condition relative à l’importance de la soulte est respectée, la perception de ce complément de prix ne remet pas en cause le report d’imposition prévu à l’article 150-0 B ter du CGI. En revanche, ce complément de prix est imposé à l’Impôt sur le revenu dans les conditions de droit commun (…)». L’analyse de l’Administration surprend. D’une part, elle assimile de manière péremptoire le complément de prix à une soulte, sans égard à une possible qualification juridique d’apport mixte. D’autre part, sa position n’est pour autant pas totalement en phase avec le régime légal de la soulte. En effet :
- soit le complément de prix assimilé à une «soulte» est d’un montant inférieur au seuil de 10% et c’est alors l’intégralité de la plus-value d’apport, y compris sa fraction correspondant à la soulte, qui doit bénéficier du report d’imposition,
- soit le complément de prix « soulte » est d’un montant supérieur au seuil de 10% et c’est alors l’intégralité de la plus-value d’apport qui devrait être imposable.
A noter : cette même analyse se retrouve désormais dans le BOI sur le sursis d’imposition de l’article 150-0 B du CGI (BOI-RPPM-PVBMI-30-10-20 n° 555).
L’Administration confirme enfin que sont hors du champ du report d’imposition les échanges de titres résultant d’opérations de fusion, ainsi que les moins-values d’apport.
1.3 Assiette des plus-values
Le BOFiP tire les conséquences de la décision du Conseil d’Etat du 12 novembre 2015 (également commentée au BOI-RPPM-PVBMI-20-10-40) en considérant que la plus-value mise en report d’imposition n’est réduite de l’abattement pour durée de détention que pour les seules opérations réalisées à compter du 1er janvier 2013. On rappelle que cette position de l’administration devra peut-être être reconsidérée puisque le Conseil d’Etat a transmis le 10 février 2016 au Conseil constitutionnel une QPC sur la question de l’application de l’abattement pour durée de détention aux plus-values placées en report avant le 1er janvier 2013 (affaire n° 2016-538 QPC).
2. L’expiration du report d’imposition
2.1 Evénements affectant les titres reçus en rémunération de l’apport
L’Administration confirme dans le BOFiP final qu’elle entend enserrer les possibilités d’apports successifs en neutralité fiscale dans des limites très restrictives.
Dans le cas où les titres reçus en report d’imposition 150-0 B ter (PV1) font eux-mêmes l’objet d’un apport soumis au sursis ou au report d’imposition, la PV1 est maintenue en report et la nouvelle plus-value d’apport (PV2) est soumise, suivant le cas, au sursis ou au report d’imposition. En revanche, l’Administration indique qu’en cas de nouvel échange des titres reçus lors de la deuxième opération d’apport, quel que soit le régime applicable à cette troisième opération (sursis ou report d’imposition), le report d’imposition initial expire : la PV1 est immédiatement taxable. En d’autres termes, la parfaite neutralité fiscale ne serait assurée que «dans la limite de deux opérations successives». On voit mal la logique économique d’une telle restriction. En revanche, on en perçoit très rapidement les effets délétères de sclérose imminente des opérations de rapprochement et de restructuration d’entreprises…
Il précise que la conversion, l’échange ou le remboursement contre des actions des obligations reçues en rémunération de l’apport à l’origine d’une plus-value placée en report d’imposition, n’entraine pas l’expiration de celui-ci «dans la mesure où une telle opération est éligible au mécanisme du sursis d’imposition». Cette condition paraît devoir être toujours remplie dès lors que conversion, échange et remboursement ne procèdent pas juridiquement d’un apport (condition sine qua non de l’application du régime du report d’imposition) et relèvent donc du sursis d’imposition.
Faute d’indication contraire, il y a lieu de considérer que l’Administration compute l’échange d’obligations contre des actions dans le compteur des deux échanges successifs fiscalement neutres. Le sort des OCA/ORA/OEA obtenues en report d’imposition appelle donc une vigilance toute particulière.
En revanche, il est bien certain et tout à fait logique que le report expire lorsque le remboursement de ces obligations s’opère en numéraire, ainsi qu’est venu le confirmer le BOFiP définitif.
Rien n’est dit sur l’hypothèse de l’absorption de la Société bénéficiaire de l’apport par la société dont les titres sont apportés, alors que le maintien du report d’imposition est admis par l’Administration dans l’hypothèse inverse (cf. infra).
Donation des titres grevés d’un report d’imposition : la loi prévoit que l’imposition en report est transférée sur la tête du donataire lorsqu’il obtient, grâce à la transmission, le contrôle de la société émettrice des titres concernés.
Scorie du dispositif anti «donation-cession» incomplètement censuré en 2012 par le Conseil constitutionnel, cette situation constitue l’un des rares cas où une transmission à titre gratuit ne purge pas l’impôt de plus-value. La constitutionnalité de ce dispositif reste sans doute des plus discutables.
Le donataire ne supporte effectivement l’impôt que dans deux cas alternatifs :
- s’il cède, apporte les titres ou en obtient le remboursement ou l’annulation dans les 18 mois de la donation,
- ou en cas de cession, rachat, remboursement ou annulation des titres apportés dans les 3 ans de l’apport réalisé par le donateur, étant précisé que la faculté de réinvestissement exonératoire est alors ouverte.
Le Bofip précise qu’une fois le délai de conservation de 18 mois respecté, le donataire n’encourt plus l’imposition de la plus-value en report si la Société se sépare des titres apportés. En pratique, cette mesure d’application produit des effets favorables lorsque la donation des titres de la holding intervient dans les 18 mois de l’apport réalisé par le donateur.
En cas de donation de la nue-propriété ou de l’usufruit des titres grevés de la plus-value en report d’imposition :
- la fraction de plus-value correspondant au droit conservé par le donateur continue à être soumise au report d’imposition,
- tandis que la fraction correspondant au droit donné est soumise au régime décrit ci-avant.
Auteurs
Luc Jaillais, avocat associé, spécialisé en fiscalité directe : Impôt sur les sociétés et fiscalité patrimoniale.
Florian Burnat, avocat en droit fiscal
Apport de titres à une société contrôlée : l’Administration finalise enfin ses commentaires ! – Article paru dans le magazine Option Finance le 21 mars 2016