Risques psychosociaux : la prolifération des expertises CHSCT injustifiées
23 septembre 2013
La santé mentale des salariés est désormais une réelle préoccupation pour les représentants du personnel. Aussi, les CHSCT n’hésitent plus, quels que soient la taille de l’entreprise et le contexte donné, à désigner un expert afin d’évaluer les risques psychosociaux. Or, le recours à l’expertise est strictement encadré par l’article L. 4614-12 du code du travail
Les risques psychosociaux sont définis comme étant les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental. Les membres du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) s’estiment parfois trop peu qualifiés pour appréhender convenablement ces risques, ceux-ci résultant de mécanismes psychiques complexes. Aussi, sont-ils tentés de recourir à un expert afin que celui-ci les aide à comprendre, anticiper, détecter voire résoudre ces difficultés.
Pour autant, l’existence de risques psychosociaux ne peut, à elle seule, permettre aux membres du CHSCT d’engager une expertise.
Si le recours à l’expertise n’est pas justifié par un risque grave pour une collectivité de salariés ou par un projet important modifiant les conditions d’hygiène et de sécurité ou les conditions de travail, l’employeur peut le contester devant le Président du Tribunal de Grande Instance statuant en la forme des référés.
Les risques psychosociaux graves
Le CHSCT ne peut recourir à un expert sans avoir préalablement caractérisé un « risque grave » pour la santé des salariés. En effet, l’expertise ne saurait avoir pour objet de réaliser un audit de risques psychosociaux potentiels ou hypothétiques au sein de l’entreprise. Le CHSCT peut tout à fait s’en charger lui-même grâce à ses pouvoirs d’enquête e d’inspection.
L’expertise devrait intervenir en dernier lieu, lorsque le CHSCT a constaté des risques psychosociaux graves auxquels il ne sait/ne peut remédier par lui-même. De surcroît, les risques psychosociaux constatés par le CHSCT doivent présenter un certain degré de gravité.
Les risques psychosociaux sont inévitables quel que soit le contexte dans lequel évoluent les salariés (taille de l’entreprise, secteur d’activité, etc.). Ils sont d’ailleurs généralement répertoriés dans le document unique d’évaluation des risques de l’entreprise.
Pour autant, ces risques latents ne sont pas nécessairement de nature à affecter sérieusement la santé mentale des salariés. Le stress, par exemple, est une réaction normale de l’organisme. Il devient pathogène lorsqu’il est très intensif, répété ou chronique.
Aussi, est-il indispensable pour le CHSCT de démontrer, à l’aide d’éléments évidents, qu’il existe une souffrance au travail anormale et préoccupante liée à des facteurs de stress ou dépressiogènes excessifs, cumulatifs ou prolongés.
Enfin, les risques psychosociaux graves doivent concerner une collectivité de salariés. Dès lors que les caractéristiques individuelles influent fortement sur la perception des situations, certains salariés (peut-être plus que d’autres) sont susceptibles d’éprouver des difficultés dans leur environnement professionnel, sans que cela ne reflète pour autant l’atmosphère globale de l’entreprise.
Le CHSCT ne peut conférer à ces cas ponctuels une portée excessive, ni en déduire que le climat social serait anxiogène et délétère pour justifier sa démarche.
Les risques psychosociaux résultant d’un projet important
L’existence d’un « projet important » est une condition suffisante (mais nécessaire) pour l’ouverture d’un droit à expertise.
Le CHSCT peut recourir à une expertise, que les risques psychosociaux soient avérés ou hypothétiques, dangereux ou sans incidence sur la santé des salariés.
Ce droit ne peut toutefois être exercé qu’en présence d’un « projet », lequel doit être « important ».
Le « projet » (ce que l’on propose de faire, à un moment donné) s’entend nécessairement d’une décision non encore mise en œuvre. Dans le cas contraire, la demande d’expertise, qui n’a d’autre fondement qu’éclairer éventuellement le CHSCT au cours du processus décisionnel, serait sans objet. L’objet d’une expertise décidée dans le cadre d’un projet important n’est pas de faire un état des lieux d’une situation déjà acquise.
Ainsi, le CHSCT ne devrait pas pouvoir désigner un expert pour analyser les risques psychosociaux qui seraient apparus au cours ou à l’issue de la mise en œuvre du projet important (sauf, bien entendu, dans l’hypothèse où ces risques générés seraient tellement sérieux qu’ils justifieraient le recours à une expertise sur le fondement du « risque grave »).
L’importance du projet peut également être débattue.
En effet, la doctrine considère qu’un projet qui ne modifierait pas la charge de travail existante ou qui ne l’impacterait que de manière positive dans le but de faciliter les tâches devrait difficilement justifier le recours à un expert.
Lorsqu’il estime que les conditions pour recourir à une expertise ne sont pas réunies, l’employeur peut saisir le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés afin d’obtenir l’annulation de la décision du CHSCT. Il est alors parfois préférable de convenir avec l’expert d’attendre la décision du Tribunal (voire, le cas échéant, de la cour d’appel) pour débuter la mission afin d’éviter toute nouvelle difficulté quant au paiement de ses honoraires.
En effet, l’expert — ne disposant d’aucune possibilité effective de recouvrement de ses honoraires contre le CHSCT qui l’a désigné faute de budget propre pouvant permettre cette prise en charge — pourrait être tenté de se retourner contre l’employeur pour obtenir le paiement de ses honoraires.
C’est notamment le cas lorsque l’expertise s’inscrit dans le cadre d’un projet important, l’expert étant tenu de réaliser sa mission dans un délai de 45 jours. De la même manière, en l’absence de budget propre, le CHSCT pourra, sauf abus, faire prendre en charge ses frais d’avocats par l’employeur.
Il est regrettable que les CHSCT ne privilégient pas les moyens mis à leur disposition plutôt que de recourir à des experts entraînant des coûts importants et dont l’objectivité est discutable.
A propos des auteurs
Nicolas Callies, avocat associé. Il est spécialisé dans la réorganisation de grands groupes industriels et d’établissements financiers, dans l’accompagnement lors de négociation avec les partenaires sociaux dans des contextes de crise, dans l’assistance à l’occasion de la négociation annuelle obligatoire et de négociation de statut collectif, d’accords seniors, GPEC, droit syndical… dans les contentieux collectifs (contestation désignation d’expert, élections professionnelles…), l’épargne salariale (négociation d’accords d’intéressement, de participation et plan d’épargne dans de grands groupes), la formation en matière sociale des directeurs d’agence d’un établissement financier et de directeurs de magasin et responsables régionaux d’un groupe de distribution, le contentieux prud’homaux, le statut des dirigeants et l’assistance lors des contrôles URSSAF et contentieux sécurité sociale
Faustine Monchablon-Polak,avocat en droit social
Article paru dans la revue Décideurs de septembre 2013
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