Image Image Image Image Image Image Image Image Image Image
Scroll to top

Haut

Un siège de direction peut en cacher un autre

Un siège de direction peut en cacher un autre

Le Conseil d’Etat a récemment jugé que si le lieu où se tiennent les conseils d’administration d’une société peut constituer un indice pour l’identification d’un siège de direction, il ne saurait être suffisant à le déterminer. Cette décision offre l’occasion de faire le point sur les notions de «siège de direction effective» et de «siège de direction» et de revenir sur l’approche très pragmatique retenue par le Conseil d’Etat.

La société Compagnie Internationale des Wagons-Lits et du Tourisme, dont le siège social est à Bruxelles, assurait une activité ferroviaire qu’elle exerçait en France par l’intermédiaire d’une succursale, et une activité de holding qui était considérée comme étant exercée en Belgique. Par conséquent, la société n’avait déclaré en France que les seuls résultats liés à l’activité ferroviaire.

A la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a considéré que l’activité de la société dans son ensemble, y compris l’activité de holding, était exercée depuis l’établissement stable français, et a ainsi réintégré au résultat taxable en France les bénéfices correspondant à l’activité de holding.

La société s’est pourvue en cassation contre l’arrêt par lequel la cour administrative d’appel de Versailles lui a donné tort1. Elle estimait que, s’agissant d’une activité de holding qui n’implique que des structures administratives légères, le siège de direction se trouvait au lieu où se situe le centre nerveux et où s’organise donc l’essentiel de la vie de l’entreprise, à savoir le lieu où se tiennent les conseils d’administration, c’est-à-dire en Belgique.

Le Conseil d’Etat (7 mars 2016, n°371435) rappelle qu’il résulte des dispositions de l’article 209 I du CGI que les bénéfices passibles de l’impôt sur les sociétés sont constitués, en principe, par les bénéfices réalisés par les entreprises exploitées en France ainsi que par ceux dont l’imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions.

Or, l’article 4 de la convention fiscale franco-belge du 10 mars 1964 dispose :

«1. Les bénéfices industriels et commerciaux ne sont imposables que dans l’Etat contractant où se trouve l’établissement stable d’où ils proviennent (…) 3. Le terme «établissement stable» désigne une installation fixe d’affaires où l’entreprise exerce tout ou partie de son activité. 4. Constituent notamment des établissements stables : a) Un siège de direction».

«Siège de direction effective» versus «siège de direction»

Pour l’application des stipulations de la convention fiscale franco-belge précitées, le Conseil d’Etat définit le siège de direction comme «le lieu où les personnes exerçant les fonctions les plus élevées prennent les décisions stratégiques qui déterminent la conduite des affaires de l’entreprise dans son ensemble». Cette définition s’inspire de celle élaborée par la Haute Juridiction dans sa décision Paupardin du 16 avril 2012, à propos du siège de direction effective d’une société.

Dans le cadre des conventions fiscales, les notions de «siège de direction» et de «siège de direction effective» sont toutefois bien distinctes : la seconde permet de déterminer la résidence fiscale des personnes morales en cas de conflit de résidence entre les deux Etats parties à la convention, alors que la première permet «seulement» de caractériser un établissement stable. Ainsi, selon les commentaires de l’OCDE sous l’article 4 consacré à la résidence de la convention Modèle, «une entité peut avoir plus d’un siège de direction mais elle ne peut avoir qu’un siège de direction effective». Selon les conclusions du Rapporteur Public, la Cour administrative d’appel a pu par conséquent en déduire qu’en caractérisant un siège de direction effective, elle caractérisait nécessairement un siège de direction et partant, un établissement stable de la société.

Les commentaires de la convention Modèle OCDE sont relativement pauvres quant à la notion de siège de direction. Ils se bornent à indiquer qu’un tel siège peut être caractérisé dans un lieu où s’exercent certaines activités dirigeantes (cf. § 24 sous l’article 5, dans la partie consacrée aux activités préparatoires et auxiliaires) alors que le siège de direction effective est défini, de façon plus précise, comme le lieu où «sont prises, quant au fond, les décisions clés sur le plan de la gestion et sur le plan commercial qui sont nécessaires pour la conduite des activités de l’entité dans son ensemble» (cf. § 24 sous l’article 4 concernant la résidence).

L’observation formulée par la France sur les commentaires OCDE de l’article 4 de la convention modèle semblait confirmer l’importance du lieu où se tiennent les conseils d’administration. Ainsi, la France considère que la définition du siège de direction effective formulée ci-dessus «correspond d’ordinaire au lieu où la personne ou le groupe de personnes exerçant les fonctions les plus élevées (par exemple, un conseil d’administration ou un directoire) prend ses décisions. Il s’agit du lieu où sont en fait, principalement concentrés les organes de direction, d’administration et de contrôle de l’entité» (cf. § 26.3 sous l’article 4).

Du réalisme pour une solution pragmatique ?

Il n’en demeure pas moins qu’en l’espèce, le Conseil d’Etat juge que «si le lieu où se tiennent les conseils d’administration d’une société peut constituer un indice pour l’identification d’un siège de direction, ce seul élément ne saurait, confronté aux autres éléments du dossier, suffire à le déterminer » Cette solution a les avantages et les inconvénients de l’approche casuistique. Elle permet d’envisager une analyse au cas par cas lorsque, notamment dans le cadre de groupes multinationaux, la prise de décision est éclatée en fonction des activités déployées dans différentes juridictions. Mais elle crée une incertitude juridique difficile à maîtriser pour les entreprises.

En l’occurrence, le Conseil d’Etat relève que, bien que le siège social de la société ait été localisé en Belgique et que trois réunions de son conseil d’administration s’y soient tenues en 2003, il reste que les services nécessaires à l’activité de holding, propres ou mis à disposition de la société par l’effet d’une convention d’assistance administrative, étaient tous situés en France. Par ailleurs, le conseil d’administration avait décidé, au cours de l’exercice en litige, de vendre l’immeuble abritant la société à Bruxelles sans prévoir de relogement en Belgique. Enfin, les décisions stratégiques intervenues au cours de l’exercice litigieux avaient, en réalité, été préparées et décidées dans leur principe à l’occasion de réunions antérieures du conseil d’administration, tenues à Paris.

Le Conseil d’Etat avait déjà pu adopter une approche réaliste de la définition du «siège de direction effective» dans sa décision Ministre c. Société Midex (CE, 5 avril 2008, n°281098). Dans ses conclusions sous cet arrêt, Laurent Vallée le décrivait comme «le lieu où se trouve le centre stratégique de la société, d’où partent, en règle générale, les impulsions directrices de ses affaires et où se localisent, en fait, principalement ses organes de direction, d’administration et de contrôle». Dans l’affaire qui nous occupe, le Conseil d’Etat est donc venu confirmer la pertinence de la condition de préparation et d’élaboration des décisions stratégiques qui pouvait être lue en filigrane dans la définition proposée par Laurent Vallée («lieu d’où partent, en règle générale, les impulsions directrices»).

Le Conseil d’Etat en conclut qu’en estimant que «le lieu où les personnes exerçant les fonctions les plus élevées prenaient réellement les décisions stratégiques avait été, pour l’activité de holding, transféré en France et en en déduisant, d’une part, que la société requérant avait exploité, dans le cadre de cette activité, une entreprise en France (…) et, d’autre part, que cette activité de holding s’exerçait en France depuis un «siège de direction» constitutif d’un «établissement stable» de la société», la Cour n’avait pas entaché son arrêt d’erreur de droit et avait correctement qualifié les faits de l’espèce.

A retenir : La qualification de «siège de direction effective» permet de caractériser un «siège de direction», lui-même constitutif d’un établissement stable au sens conventionnel, mais l’inverse n’est pas nécessairement vrai.

Note

1 CAA Versailles, 21 mai 2013 n°11VE02534, qui a confirmé le rejet de sa demande par le TA Cergy-Pontoise, 12 mai 2011 n°0805692.

 

Auteurs

Julien Saïac, avocat associé, spécialisé en fiscalité internationale

Rosemary Billard-Moalic, avocat, fiscalité internationale

 

Un siège de direction peut en cacher un autre – Article paru dans le magazine Option Finance le 16 mai 2016