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Vendre des titres à un prix dérisoire est sanctionné par une nullité relative

Vendre des titres à un prix dérisoire est sanctionné par une nullité relative

Un revirement et une leçon de pédagogie : voici comment pourrait être résumé l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 22 mars 2016. En l’espèce, les trois associés fondateurs d’une société avaient souhaité adjoindre une quatrième personne à leur projet. Ils étaient convenus de lui céder chacun 5% du capital social pour le prix symbolique de 500 euros. En contrepartie, il s’engageait de son côté à mettre ses connaissances techniques à disposition de la société pendant au moins cinq années.

Sept ans après les cessions de parts, un litige est survenu entre les quatre associés et les trois fondateurs ont tenté d’obtenir l’annulation des cessions conclues. En réponse, leur coassocié faisait valoir que l’action en nullité était prescrite. L’issue du litige dépendait donc de la qualification de la nullité : le défaut de prix sérieux dans une cession de parts sociales ou d’actions est-il sanctionné par une nullité absolue ou par une nullité relative ?

Au cas particulier, étant donné la date des faits et celle de l’assignation, la prescription constituait l’enjeu principal puisque seule la qualification de nullité absolue pouvait faire échapper les demandeurs à une fin de non-recevoir. En effet, le délai de prescription applicable à la nullité absolue était de trente ans, tandis que celui applicable à la nullité relative était de cinq ans. Aujourd’hui, il en irait différemment puisque les délais de prescription ont été alignés sur un délai commun de cinq années. Cependant, deux autres enjeux demeurent. D’abord, la nullité relative ne peut être invoquée que par la partie protégée par la nullité, alors que la nullité absolue peut être invoquée par toute personne qui y aurait intérêt (et notamment un tiers au contrat de cession). Ensuite, la nullité relative peut être «corrigée» si la partie protégée renonce à agir, tandis que la nullité absolue ne peut pas être couverte. La qualification de la nullité, qui relève de l’office du juge, est donc importante, et a fortiori ici, puisque la prescription était également en jeu.

Dans un sens ou dans l’autre, la solution n’était pas acquise car les différentes chambres de la Cour de cassation étaient en désaccord. La première chambre civile et la chambre commerciale considéraient qu’un prix dérisoire dans une vente était frappé de nullité absolue. Alors que, de son côté, la troisième chambre civile penchait pour la nullité relative. Dans l’affaire commentée, la chambre commerciale se rallie à la position de la troisième chambre civile en retenant la nullité relative. Elle estime que «c’est non pas en fonction de l’existence ou de l’absence d’un élément essentiel du contrat au jour de sa formation, mais au regard de la nature de l’intérêt, privé ou général, protégé par la règle transgressée qu’il convient de déterminer le régime de la nullité applicable (…) ; en l’espèce, l’action en nullité des cessions de parts conclues pour un prix indéterminé ou vil ne tendait qu’à la protection des intérêts privés des cédants». Il s’agit donc d’un revirement, et d’un revirement important car en érigeant la nullité relative en sanction d’une cession de titres sociaux conclue pour un prix dérisoire, les magistrats réduisent ses chances d’être annulée, notamment parce que les demandeurs potentiels sont moins nombreux. À cet égard, il sera observé qu’en sanctionnant par la nullité relative le prix dérisoire, l’arrêt invite désormais à rechercher quelle partie est protégée par l’exigence d’un prix sérieux car seule cette partie pourra demander la nullité. Et de ce point de vue, les choses ne sont peut-être pas si évidentes. L’action sera-t-elle toujours réservée au vendeur ? Cela n’est pas certain. Certaines juridictions d’appel ont déjà admis qu’un acquéreur pouvait avoir intérêt à invoquer la nullité relative pour vileté du prix. Le contentieux à venir pourrait donc être porté sur un nouveau terrain.

Mais le fait que la chambre commerciale de la Cour de cassation modifie sa position n’est pas le seul aspect qui retiendra l’attention. Il n’est pas moins intéressant de constater que la chambre commerciale a expressément rappelé l’état de la jurisprudence des différentes chambres et, fait exceptionnel, a même visé les références des arrêts (cela s’était toutefois produit, mais dans une moindre mesure, dans un arrêt du 8 février 2011). Les magistrats ont donc fait œuvre de pédagogie, ce qui ne saurait leur être reproché. Il reste à se demander si, à l’avenir, la Cour de cassation réitérera ou non l’exercice.

 

Auteur

Christophe Blondeau, avocat associé en droit des sociétés

 

Vendre des titres à un prix dérisoire est sanctionné par une nullité relative – Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 23 mai 2016