Burn-out : vers un encadrement juridique ?
23 mai 2016
Préoccupation majeure de santé au travail, le burn-out demeure toutefois une notion floue dont le régime juridique pourrait être prochainement précisé.
Si de nombreuses études publiées ces dernières années confirment la réalité du burn-out au sein des entreprises, au point que sa prévention soit considérée comme une «nécessité urgente de santé publique» (Guide de bonnes pratiques n°4, Firps, mars 2016), la nature et les modalités de son encadrement juridique restent toujours incertaines et débattues.
Une absence de définition juridique
Phénomène complexe et multifactoriel, le burn-out ne fait actuellement l’objet d’aucune définition juridique en droit français.
Plusieurs études ont toutefois tenté d’esquisser les contours de ce «syndrome d’épuisement professionnel» qui, selon le Guide d’aide à la prévention publié le 26 mai 2015 par la DGT, l’INRS et l’Anact, recouvre une situation «d’épuisement physique, émotionnel et mental qui résulte d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan émotionnel». Ce «syndrome à trois dimensions» réunit, d’après ce guide, «épuisement émotionnel», «cynisme vis-à-vis du travail» et «diminution de l’accomplissement personnel au travail».
Il convient toutefois de bien distinguer le burn-out d’autres concepts, parfois proches, tels que le harcèlement, la violence au travail ou encore le stress au travail, ce dernier ne s’accompagnant pas forcément d’attitudes négatives envers autrui, ne remettant pas nécessairement en cause le sens du travail et pouvant n’être que passager.
Quant au bore-out, s’il débouche effectivement sur une situation d’épuisement professionnel de l’intéressé semblable à celle résultant du burn-out, son origine réside à contrario dans une insuffisance de sollicitations professionnelles causant ennui profond, perte d’intérêt pour le travail et perte de confiance.
Un concept aux enjeux multiples pour les entreprises
Cette absence de définition juridique ne doit toutefois pas conduire les entreprises à minimiser l’importance des enjeux organisationnels, économiques et financiers, qu’ils soient directs ou indirects, que le burn-out recouvre : notamment un niveau d’absentéisme élevé, un turnover important (souvent par démissions ou ruptures conventionnelles sollicitées par les collaborateurs), un taux d’accidents du travail élevé, des conflits personnels fréquents, une perte de productivité des collaborateurs.
D’un point de vue juridique, une situation de burn-out pourrait caractériser la violation, par l’employeur, de son obligation de sécurité, cette dernière incluant «la santé (…) mentale des travailleurs» (article L. 4121-1 du Code du travail).
Au plan civil, les risques potentiels sont multiples et comprennent notamment :
- une limitation du pouvoir de direction de l’employeur, le juge pouvant par exemple prononcer la suspension d’une réorganisation en cours lorsqu’elle a pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés (Cass. Soc. 5 mars 2008, n°06-45888) ;
- une rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur (prise d’acte, demande de résiliation judiciaire), ou la requalification d’un licenciement comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- une indemnisation des préjudices subis par le salarié, voire dans certains cas la reconnaissance éventuelle d’une faute inexcusable de l’employeur.
Toutefois, si elle a antérieurement été consacrée comme une obligation de résultat (Cass. Ass. Plén. 24 juin 2005, n°03-30038), un arrêt récent a considéré que ne méconnaît pas cette obligation de sécurité, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention (Cass. Soc. 25 novembre 2015, n°14-24.444).
Rappelons à cet égard que le document unique d’évaluation des risques (DUER), support de ces actions, comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l’entreprise ou de l’établissement (art. R. 4121-1 du Code du travail).
Enfin, les infractions pénales d’atteinte involontaire à l’intégrité de la personne entraînant une incapacité totale de travail supérieure ou inférieure et égale à 3 mois, ainsi que celle de mise en danger de la vie d’autrui, pourraient être caractérisées à l’encontre des dirigeants et de la société (des peines d’amende et d’emprisonnement étant encourues).
Perspectives d’évolution sur sa reconnaissance comme maladie professionnelle
Risque psychosocial relativement récent, le burn-out fait désormais l’objet d’un intense débat s’agissant de sa reconnaissance en tant que maladie professionnelle.
En effet, s’il peut, dans certains cas, être pris en charge au titre de la législation professionnelle en qualité d’accident du travail, c’est sous réserve d’en remplir les conditions classiques et notamment d’établir le lien de causalité entre un événement ou une série d’événements et la lésion survenue, preuve parfois difficile à rapporter.
La loi Rebsamen a alors prévu une reconnaissance – limitée et dérogatoire – des pathologies psychiques au titre de la législation des maladies professionnelle sous deux conditions : elles doivent être «essentiellement et directement causée(s) par le travail habituel de la victime» et entraîner «le décès de celle-ci ou une incapacité permanente partielle d’au moins 25%», ces conditions étant appréciées dans le cadre d’une procédure d’expertise individuelle relativement lourde nécessitant notamment l’avis d’un Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (art. L. 461-1 et R. 461-8 du Code de la sécurité sociale).
Des modalités spécifiques de traitement des dossiers de reconnaissance des pathologies psychiques, devant être fixées par voie réglementaire, sont toujours attendues.
Au plan pratique, ce système apparaît pour certains peu adapté aux spécificités du burn-out, rarement reconnu comme maladie professionnelle, le taux minimum d’IPP de 25% étant alors difficile à caractériser s’agissant d’une pathologie psychique.
D’aucuns considèrent qu’il conviendrait alors d’intégrer cette affection psychique dans un tableau de maladies professionnelles – annexé au Code de la sécurité sociale – afin d’instituer une présomption d’imputabilité de cet «état d’épuisement» à l’activité professionnelle dès lors que les conditions énumérées dans ce tableau seraient satisfaites.
Si cette option peut présenter l’attrait de la simplicité, elle passe sous silence qu’à ce jour, au plan médical, «le terme de burn-out renvoie à une réalité mal définie» et «ne peut donc être actuellement un diagnostic médical» (Rapport de l’Académie nationale de médecine, 16 février 2016).
L’insécurité planerait donc sur le champ des pathologies potentiellement reconnues comme professionnelles, qui pourraient alors dépasser les seules situations de burn-out ou d’épuisement professionnel, tandis que leur charge financière continuerait de reposer essentiellement sur les entreprises – une telle mesure ayant mécaniquement pour effet d’accroître le taux des cotisations patronales qui financent actuellement la branche accidents du travail – maladies professionnelles.
Une solution intermédiaire, également débattue, consisterait à assouplir le dispositif de reconnaissance sur expertise individuelle existant en abaissant voire en supprimant le taux minimum d’IPP, ou encore en redéfinissant la composition et les missions des Comités Régionaux.
La Ministre des Affaires sociales et de la Santé Marisol Touraine a annoncé, en février dernier, la mise en place d’un groupe de travail devant «définir le burn-out et la manière de le traiter», la remise au Parlement d’un rapport du Gouvernement étant, par ailleurs, prévue avant le 1er juin 2016. Notons également qu’une proposition de loi, d’ores et déjà déposée par le député Benoît Hamon, envisage la suppression du seuil minimal d’IPP de 25%.
Si l’incertitude plane toujours, tant sur le principe que sur la nature de l’encadrement juridique du burn-out, il demeure que la détection de l’épuisement professionnel, l’analyse de ses causes, la mise en place de mesures collectives et/ou individuelles correctives et le réexamen de ces mesures sont les seuls garants d’une prévention efficace de ce risque au sein des entreprises.
Précisons au demeurant que ces mesures – contrôle de la charge et des horaires de travail, mise en place d’une organisation du travail adaptée, bonne communication sur les attentes et le sens du travail… – constituent des instruments de prévention de la plupart des risques juridiques associés à l’obligation de sécurité de l’employeur.
Auteurs
Pierre Bonneau, avocat associé en droit social
Loïc Fehr, avocat, en droit social
Burn-out : vers un encadrement juridique ? – Article paru dans Les Echos Business le 23 mai 2016
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