Légalité de l’effacement des adresses IP un an après la dernière connexion
La société ETAI, qui commercialise notamment une revue « RTA », a constaté que celle-ci était mise à disposition gratuitement et sans son accord sur le forum d’un site Internet. Par ordonnance du tribunal de commerce de Paris, l’hébergeur et éditeur du site Internet Car&Boat Média, a été condamné à communiquer tous renseignements en sa possession concernant l’utilisateur du pseudonyme diffusant le lien gratuit vers la revue.
Car&Boat Média s’est exécutée, ce qui a permis à ETAI d’apprendre que les adresses IP utilisées par le pseudonyme litigieux avaient été attribuées par les sociétés Manche Télécom et SFR et que la société Yahoo ! avait attribué l’adresse e-mail dudit pseudonyme.
ETAI a alors assigné en référé ces sociétés afin qu’elles lui communiquent les informations en leur possession.
La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 15 décembre 2015, rappelle les dispositions des articles L.34-1 et R.10-13 du Code des postes et des communications électroniques selon lesquelles les opérateurs de communications électroniques, tels que Manche Télécom et SFR, doivent conserver certaines données techniques en vue de leur communication sur injonction d’une autorité judiciaire et seulement pour les besoins de la recherche, de la constatation d’infractions pénales ou d’un fait d’utilisation sans l’autorisation de leur auteur, à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin, en application de l’article L.336-3 du Code de la propriété intellectuelle. Ce texte impose que lesdites données soient conservées pendant une année.
Les juges estiment, en conséquence, qu’en supprimant les informations liées à l’adresse IP litigieuse un an après sa connexion la plus récente, les sociétés SFR et Manche Télécom ont respecté l’obligation mise à leur charge en tant qu’opérateurs de communications électroniques. L’argumentation des opérateurs, au soutien de leur refus de communication des informations demandées, est donc logiquement accueillie puisque ladite communication est devenue impossible (CA Paris, 15 décembre 2015, n°14/20205, ETAI c/Yahoo ! France, SFR, Manche Télécom).
Par ailleurs, la communication des mêmes informations était également demandée sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, visant les mesures d’instruction avant tout procès. Pour les mêmes motifs, elle est refusée.
En outre, la communication des informations litigieuses était réclamée à la société Yahoo ! France. Sur ce point, la Cour retient que celle-ci avait informé la CNIL du fait qu’elle ne serait plus responsable du traitement des données personnelles issues des services en ligne, au profit de Yahoo ! EMEA Limited, société irlandaise, désormais responsable de traitement pour l’ensemble des services en ligne européens. En conséquence, selon la Cour, Yahoo ! France ne détenait pas les données litigieuses. Là encore, la contestation est jugée suffisamment sérieuse pour que la demande d’ETAI soit rejetée. Il en est allé de même pour la demande fondée sur l’article 145 du Code de procédure civile.
Cet arrêt apporte un éclairage pratique sur les dispositions des articles L.34-1 et R.10-13 du Code des postes et des communications électroniques. Il en ressort que l’opérateur de communications électroniques qui efface les adresses IP de ses abonnés un an après leur dernière connexion respecte ses obligations légales et ne peut plus se voir reprocher son incapacité à les communiquer.
Auteurs
Anne-Laure Villedieu, avocat associée en droit de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.
Thomas Livenais, avocat en droit de la propriété intellectuelle