Activité occulte : le Conseil d’Etat complète son analyse pour les sociétés étrangères dont l’activité est rattachée à un établissement stable français
Dans deux décisions du 20 mai 2016, le Conseil d’Etat admet qu’une société étrangère n’ayant pas déclaré un établissement stable en France est fondée à se prévaloir de la doctrine administrative précisant que le délai spécial de reprise institué l’article L.169 du LPF en cas d’activité occulte n’est pas applicable au cas où le contribuable a souscrit les déclarations de TVA afférentes à une activité professionnelle exercée en France.
Rappel du contexte :
En présence d’une activité occulte, l’administration fiscale est en droit d’appliquer plusieurs dispositifs dérogeant au droit commun et notamment un délai spécial de reprise étendu jusqu’à la fin de la dixième année suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due (article L 169-2e du LPF) ainsi qu’une pénalité aggravée de 80% (article 1728-1-c. du CGI). L’application de ces dispositifs rend particulièrement redoutables les redressements résultant de la caractérisation d’une activité imposable en France pour un opérateur international qui avait estimé que celle-ci ne relevait pas de la territorialité française.
Le Conseil d’Etat, réuni en formation plénière, a récemment précisé les conditions d’application de la majoration pour activité occulte. Considérant que l’activité occulte peut exister en l’absence d’intention du contribuable, il a toutefois introduit une dialectique de la preuve permettant au contribuable d’éviter les pénalités lorsqu’il établit que c’est par erreur qu’il n’a pas déposé dans les délais légaux les déclarations fiscales qu’il était tenu de souscrire et n’a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce (CE 7 décembre 2015 n°368227 min. c/ Sté Frutas y Hortalizas Murcia SL).
Deux décisions récentes viennent préciser la notion d’activité occulte dans le cas de deux sociétés luxembourgeoises dont l’activité de marchand de biens a été rattachée à un établissement stable français (CE 20 mai 2016 n°376667 min. c/ Sté DC Immobilière et CE n°376672 min. c/ Sté Faisanderie) :
Le Conseil d’Etat apporte de nouvelles précisions dans une double décision rendue le 20 mai 2016 portant sur la qualification d’activité occulte au sens des articles L 169-2e du LPF et 1728-1-c. du CGI ainsi que de la doctrine administrative y afférente, lorsque une société étrangère a déposé certaines déclarations fiscales en France au nom du siège étranger et non de l’établissement stable français auquel l’activité déclarée se rattachait.
Ces décisions concernent deux sociétés luxembourgeoises qui s’étaient identifiées auprès du service des impôts des entreprises de la direction des résidents à l’étranger et des services généraux (DRESG) en tant que sociétés non-résidentes, fiscalement domiciliées au Luxembourg pour des opérations d’achats et de ventes immobilières effectuées sur le territoire français et y avaient déposé les déclarations de TVA correspondantes. Elles n’avaient en revanche procédé à aucune démarche particulière au titre de l’impôt sur les sociétés, considérant qu’en l’absence d’établissement stable en France, elles n’étaient pas imposables en France en vertu des dispositions alors en vigueur de la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958.
A l’issue d’une procédure de visite et de saisie prévue à l’article L 16 B du LPF et de la vérification de comptabilité qui s’en est suivie, l’administration a considéré que ces sociétés disposaient d’un établissement stable en France auquel devait être attribué l’intégralité des bénéfices réalisés lors de la revente des immeubles.
L’administration a alors rectifié le résultat des deux sociétés en considérant que l’activité était occulte, ce qui lui permettait d’appliquer le délai spécial de reprise de 6 ans1 et une majoration de 80%.
Au stade de la procédure contentieuse, les sociétés luxembourgeoises ont contesté, sans succès, l’existence d’un établissement stable en France mais ont également fait valoir l’absence d’activité occulte. Sur ce dernier point, la Cour administrative d’appel de Paris a considéré que si les sociétés entraient dans le champ de l’article L 169-2 e du LPF en ce qu’elles n’avaient pas fait connaître leur activité à un centre de formalité des entreprises et n’avaient pas déposé les déclarations qu’elles étaient tenues de souscrire du fait de l’exercice d’une activité imposable en France, l’existence d’une activité occulte pouvait néanmoins être écartée sur le fondement de l’instruction n°13L-4-97 du 30 octobre 19972 qui prévoit que le délai spécial de reprise ne peut s’appliquer «lorsque l’une quelconque des déclarations incombant au contribuable a été souscrite dans les délais» et notamment dans le cas où «le contribuable a souscrit des déclarations de TVA afférentes à une activité professionnelle mais non celle se rapportant aux revenus catégoriels (IR) ou aux résultats (IS) correspondants». La Cour avait par ailleurs transposé ce raisonnement pour les pénalités en considérant que le dépôt des déclarations en matière de TVA faisait obstacle à la caractérisation d’une activité occulte au sens de l’article 1728-v-1 du CGI (sachant que les travaux parlementaires et la doctrine administrative renvoient à la définition de l’article L 169-2° du CGI pour clarifier la notion d’activité occulte reprise à cet article). Cette approche n’a été que partiellement suivie par le Conseil d’Etat.
Le Conseil d’Etat confirme l’absence d’activité occulte sur le fondement de la doctrine en matière de délai de reprise :
En matière de délai de reprise, celui-ci confirme la position de la Cour administrative d’appel considérant que les sociétés pouvaient valablement se prévaloir de la doctrine administrative sur le fondement de l’article L80 A du LPF pour conclure à l’absence d’activité occulte au vu du dépôt de leurs déclarations de TVA. Pour aboutir à cette conclusion, le Conseil d’Etat :
- confirme implicitement que la doctrine administrative était opposable,
- constate que l’activité déployée depuis le siège, reprise dans les déclarations de TVA, ne pouvait être discernée de celle attribuée à l’établissement stable et
- suit les préconisations du rapporteur public en ne reprenant pas, dans son interprétation de la doctrine administrative, l’argument fondé sur la personnalité fiscale propre de l’établissement stable, au titre duquel les déclarations de TVA auraient dû être souscrites au nom de l’établissement. On notera à cet égard que le rapporteur public, M. Benoît Bohnert, avait pris soin de préciser dans ses conclusions lors de l’audience que la tolérance administrative devait rester applicable peu important le fait que l’activité déclarée par le siège soit finalement allouée à un établissement stable doté d’une quasi-personnalité fiscale et soumis à des obligations déclaratives propres. Cette solution s’imposait, selon lui, dès lors que (i) l’établissement n’a pas de personnalité juridique propre, (ii) aucune indication particulière n’a été donnée par la doctrine sur le sens du terme «contribuable» en présence d’un établissement stable ce qui doit conduire à retenir une acception large du terme et (iii) la situation doit être appréciée de manière cohérente avec la position retenue pour les établissements secondaires qui ne sont pas considérés comme exerçant une activité occulte en l’absence de déclaration par le siège les concernant mais uniquement en situation d’insuffisance de déclaration.
Le Conseil d’Etat n’a pas pu tenir le même le même raisonnement en matière de pénalités dès lors que la doctrine administrative n’était pas visée dans la décision de la Cour administrative d’appel :
Concernant la pénalité de 80% pour activité occulte, le Conseil d’Etat casse et renvoie les deux affaires à la Cour administrative d’appel de Paris en considérant que malgré le dépôt des déclarations de TVA, l’activité imputable à l’établissement stable français pouvait être considérée comme occulte au sens du c. du 1 de l’article 1728 du CGI dès lors que «ces déclarations n’avaient pas été déposées au titre de cet établissement stable et ne révélaient pas les conditions réelles de l’activité en cause». Cette différence de traitement par rapport au délai de reprise résulte à notre sens d’une insuffisance de motivation des arrêts de la Cour administrative d’appel en ce qu’ils visaient uniquement les dispositions de l’article 1728-1-c. du CGI sans faire référence à doctrine administrative et notamment à l’instruction n°13 N-3-00 du 16 mars 2000, qui apportait les mêmes précisions en matière de pénalités que l’instruction 13 L-4-97 en matière de délai spécial de prescription. Un argumentaire fondé sur cette doctrine administrative aurait en principe dû conduire à la même conclusion qu’en matière de délai de reprise. Il appartiendra à la Cour d’appel de Paris de se prononcer sur ce point lors du renvoi.
Conclusion : la caractérisation d’un établissement stable n’emporte pas nécessairement qualification d’activité occulte :
Après que le Conseil d’Etat a refusé de reconnaître l’intention du contribuable comme un élément constitutif de la notion d’activité occulte, cette double décision procure un peu de réconfort aux entreprises qui, ayant révélé leur activité à l’administration française au travers de déclarations fiscales, sont redressées dans le cadre d’une interprétation divergente des règles de territorialité portant sur d’autres impôts que ceux déclarés. Elle rappelle que l’extension du délai de prescription, qui vise à donner les moyens à l’Etat de lutter contre les activités «réellement clandestines» afin de compenser le handicap qui résulte de l’ignorance par l’administration de l’existence de telles activités, ne doit pas être utilisée comme une sanction automatique en cas de rectification fondée sur la territorialité de l’impôt.
Notes
1 Prescription passée à dix ans par la loi 2008-1443 du 30 décembre 2008.
2 Reprise dans la documentation administrative de base sous la référence 13 L-1218 sans sa version au 1er juillet 2002.
Auteurs
Pïerre Dedieu, avocat associé en matière de fiscalité internationale.
Chloé Delion , avocat en matière de fiscalité internationale.