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Abandon de créances d’une holding à sa filiale : quelle qualification pour les fonctions « support » ?

Abandon de créances d’une holding à sa filiale : quelle qualification pour les fonctions « support » ?

Il est fréquent dans la vie des groupes de se trouver confronté à la question de la déductibilité d’un abandon de créance consenti à une filiale.
On le sait, le régime fiscal de ces aides dépend essentiellement de leur caractère commercial ou financier.
La distinction entre l’une et l’autre est cruciale et, parfois, peu aisée.
Une décision de la Cour administrative d’appel de Nantes , défavorable au contribuable, est venue encore récemment l’illustrer.

Rappel de l’enjeu de la distinction entre abandon de créance à caractère commercial et abandon de créance à caractère financier

Que ce soit sous l’empire du droit antérieur à la loi de finances rectificative pour 2012 ou du droit actuel, les abandons de créances à caractère commercial correspondant à une gestion normale sont déductibles sur le plan fiscal alors que ceux à caractère financier subissent des restrictions : une interdiction pure et simple de déduction pour les abandons consentis pour les exercices clos depuis le 4 juillet 2012 (sauf cas où le bénéficiaire de l’aide est en difficulté et est soumis à une procédure collective) ou une déduction restreinte pour ceux consentis auparavant (limitée à la situation nette négative de la filiale et, le cas échéant, à la situation nette devenue positive après l’abandon mais uniquement dans la proportion des droits au capital détenus dans la société aidée).

Les aides à caractère commercial sont celles qui s’inscrivent dans un contexte de relations d’affaires. Une société vient, par exemple, en aide à une autre afin de préserver son activité. Tel est le cas lorsque l’aide est destinée à sauvegarder des débouchés ou une source d’approvisionnement.

Les aides à caractère financier sont celles qui n’entrent pas dans la catégorie des aides à caractère commercial. Elles sont généralement consenties dans les groupes en vue de préserver la renommée d’une société, habituellement la mère, qui redoute les retombées que pourraient avoir les difficultés financières de l’une de ses filiales.

La frontière entre ces deux catégories d’aides est parfois ténue lorsque l’aide est consentie par une société mère qui, outre les liens capitalistiques avec sa filiale, entretient des relations commerciales avec elle. L’aide peut présenter un caractère hybride, répondant aussi bien à des motivations financières que commerciales.

Dans ce cas, la jurisprudence et la doctrine administrative s’accordent à considérer qu’il convient de déterminer, à partir de l’ensemble des éléments de fait et de droit, les motifs prépondérants ayant conduit la société à octroyer l’aide en cause. Il faut se livrer à un exercice de comparaison entre les motifs financiers et les motifs commerciaux afin de déterminer lesquels prédominent sur les autres.
L’affaire jugée par la CAA de Nantes montre que cet exercice recèle bon nombre de subtilités lorsqu’une aide est consentie au sein d’un groupe par une société mère à sa filiale.

L’affaire jugée : le cas d’une holding rendant notamment des services « support » à sa filiale aidée

Une société holding, à la tête d’un groupe d’intégration fiscale spécialisé dans le travail temporaire, avait renoncé, au cours des exercices clos en 2010 et 2011, à facturer une partie de la redevance qu’elle percevait de ses filiales en émettant des avoirs à leur profit.

Cette redevance, correspondant à un pourcentage du chiffre d’affaires des filiales concernées, rémunérait toute une série de services rendus par la holding à ses filiales intégrées : des services administratifs dits de « support », des services de négociation de contrats avec des grandes entreprises et des services de communication et sponsoring.

Tous ces services constituaient des actes de commerce par nature au sens de l’article L 110-1 du code de commerce. Il existait donc une relation commerciale entre la société mère et ses filiales conférant aux créances abandonnées un caractère commercial, en tout cas sur le plan juridique.
Pour autant, une créance même commerciale légalement n’implique pas nécessairement que son abandon revête un caractère commercial sur le plan fiscal.

Il faut aller un cran plus loin. C’est ainsi que la CAA de Nantes a jugé que des fonctions dites « support », bien que constitutives d’une activité commerciale de prestations de services, sont à rattacher au secteur financier. Il s’agit là d’une mise en application des principes dégagés par le Conseil d’Etat dans une décision France Frais du 7 février 2018 et plus particulièrement de la position exprimée par son rapporteur public, Yohann Bénard, qui dans ses conclusions indiquait ne pas être opposé à qualifier de financier l’abandon consenti par une société qui rend des services habituellement rendus par un siège social (ex. des services administratifs). Ces services sont principalement rendus en qualité de tête de groupe ou d’actionnaire, quand bien même ils auraient légalement le caractère d’actes de commerce.

Aux yeux de la CAA, la société mère exerçait conjointement des fonctions à caractère financier (services administratifs internes) et des fonctions commerciales (services de négociation de contrat auprès des clients tiers, de communication et de sponsoring).

Dès lors, pour déterminer le régime fiscal des abandons de créance consentis aux filiales, il restait à vérifier quels motifs avaient prédominé chez la société mère au moment de renoncer à une partie de ses redevances.

Pour y parvenir, la CAA a retenu une approche très mathématique, comparant la part des recettes que représentait la fonction commerciale sur les recettes totales de la société mère. Au cas particulier, la partie communication et négociation des contrats représentait 40% des dépenses totales. Compte tenu de leur caractère minoritaire par rapport à l’ensemble de l’activité de la holding, les avoirs ont été considérés comme présentant, dans leur totalité, un caractère financier.

Quelle portée donner à cette décision ?

Si l’on peut saluer le soin pris par la Cour de fonder sa décision sur des éléments objectifs appréciés avec toute la rigueur d’une démarche scientifique, on peut néanmoins se demander si cette rigueur ne relaie pas au second plan l’analyse de la motivation qui conduit une société mère à abandonner une créance alors qu’il s’agit pourtant du critère essentiel qu’a érigé le Conseil d’Etat pour distinguer les aides commerciales des aides financières (CE, 27 juin 1984, n° 35030 ; CE, 4 décembre 1985, n° 44323). La motivation d’une entreprise se déduit-elle nécessairement d’un calcul arithmétique ? Ce n’est pas du tout évident. D’autres éléments mériteraient d’entrer en ligne de compte.

Outre le critère des recettes, ne faudrait-il pas tenir compte également des moyens humains et matériels mobilisés pour chaque fonction ainsi que la valeur ajoutée de chaque fonction ? Si 40 % des recettes de la société mère, dans l’affaire jugée par la CAA de Nantes, provenaient des fonctions commerciales, quelle part représentaient réellement ces fonctions dans la profitabilité de la société mère ? Il ne serait pas surprenant qu’elle fût supérieure, une fonction de négociation de contrats commerciaux a généralement une valeur ajoutée plus importante qu’une fonction administrative de support.

On peut se demander également à quel niveau il convient de raisonner. Faut-il examiner globalement la situation et considérer qu’une société mère dont les recettes tirées de fonctions financières sont majoritaires ne peut consentir à ses filiales que des abandons de créances à caractère financier, et ce alors même que certaines aides pourraient bénéficier à des filiales avec lesquels les flux d’affaires sont prépondérants par rapport aux flux financiers considérés comme tels sur le plan fiscal ?

Les questions sont nombreuses. Elles montrent toute la difficulté du travail de qualification d’une aide intragroupe dont les motivations peuvent être hétérogènes et surtout difficiles à sonder.

La plus grande vigilance devra, quoi qu’il en soit, être de mise au moment de consentir des aides intragroupe à des filiales en difficulté. Même si la décision de la CAA de Nantes n’a pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation selon nos informations, il semble quasi-acquis que des fonctions dites de support ne revêtent pas aux yeux du juge de l’impôt (à tout le moins des juges du fond ; la position du Conseil d’Etat attendra) un caractère commercial. Les holdings qui ne rendent que ce type de services ne pourront prétendre à la déduction des abandons de créance consentis à leurs filiales. Une analyse plus fine, en revanche, devra être menée toutes les fois où ces sociétés rendent, par ailleurs, des services d’intérêt commun dans lesquels des tiers (clients ou fournisseurs) sont impliqués.


Par Lucie Martinez, avocat, et Olivier Teixeira, avocat counsel, CMS Francis Lefebvre

Article paru dans Option Finance du 05/12/2022