Abandons de créances et subventions indirectes consentis par une mère à sa filiale
Dans une décision publiée au Recueil Lebon, le Conseil d’Etat a apporté des précisions inédites sur la déductibilité des abandons de créances à caractère financier dans le cadre du régime antérieur à la loi de finances rectificative pour 2012, ainsi que sur l’état des subventions et abandons de créances non retenus pour la détermination du résultat d’ensemble d’un groupe intégré.
- Déductibilité des abandons de créances à caractère financier
Rappelons qu’avant l’entrée en vigueur du 13 de l’article 39 du CGI, créé par l’article 17 de la loi du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, la jurisprudence considérait que les abandons de créances à caractère financier consentis dans le cadre d’une gestion normale étaient déductibles à hauteur de la situation nette négative de l’entreprise aidée et, pour le montant excédentaire, à proportion des participations détenues par d’autres personnes que l’entreprise qui consent l’aide. Dans la proportion de la participation de la société mère au capital de la filiale, le montant de l’aide correspondant à la situation nette positive de la filiale après l’opération est regardé comme ayant pour contrepartie un accroissement de la valeur de la participation détenue (CE, 30 avril 1980, n° 16253, Plénière)
Dans une décision du 21 juin 2022, le Conseil d’Etat réaffirme ce principe, puis apporte de nouvelles précisions sur la façon dont la société mère peut renverser cette présomption et démontrer que l’abandon de créance qu’elle a consenti n’augmente pas la valeur de sa participation dans sa filiale et peut donc être déduit (décision n° 447084, Société Ixcore).
Les faits étaient les suivants. Une société mère intégrante avait consenti en 2006 et 2007 des abandons de créance à caractère financier à deux filiales de son groupe intégré. Alors que l’administration avait partiellement remis en cause la déduction de ces abandons de créances, au motif que les situations nettes comptables des deux filiales étaient redevenues positives grâce à eux, la société mère soutenait au contraire que la situation nette réelle de ses deux filiales était demeurée négative. Pour le démontrer, elle s’est fondée sur une étude et un rapport réalisés, à sa demande, respectivement par une banque d’affaires et un expert-comptable, indiquant l’une comme l’autre, par utilisation de méthodes de nature économique, telles que l’évaluation de la rentabilité de l’actif, la valorisation par les flux futurs ou la valorisation liquidative, que la valeur marchande de ces deux sociétés était restée nulle postérieurement aux abandons de créance.
La cour administrative d’appel de Versailles n’a pas donné gain de cause à la société : selon elle, en se prévalant de ces méthodes d’évaluation économique de la valeur globale des deux filiales, la société mère ne critiquait pas sur un plan comptable, et donc pas utilement, la détermination de la situation nette réelle des filiales.
Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’Etat rappelle que jusqu’à l’entrée en vigueur du 13 de l’article 39 du CGI, l’aide financière consentie dans son intérêt par une société à une filiale, alors même qu’elle n’entretiendrait avec celle-ci aucune relation commerciale, est susceptible d’être déduite de ses résultats imposables. Sauf preuve contraire, l’aide financière est réputée augmenter la valeur de la participation de la société dans le capital de la filiale lorsqu’elle a pour effet de rendre l’actif net comptable de celle-ci positif. Il appartient à la société qui entend déduire l’aide financière consentie d’apporter tous éléments de nature à justifier que la valeur de sa participation dans le capital de sa filiale n’a pas augmenté malgré cette aide.
Le Conseil d’Etat considère ensuite que la cour a commis une erreur de droit en écartant les évaluations produites par la société mère. La cour aurait dû rechercher si ces évaluations permettaient ou non d’établir que la valeur des participations de la société mère dans le capital des deux filiales n’avait pas augmenté en dépit de l’octroi des aides en litige. Le Conseil d’Etat admet ainsi le recours à des méthodes économiques.
Il suit donc sa Rapporteure publique qui, dans ses conclusions, considère qu’il n’y pas lieu de bouleverser la logique de la décision de plénière précitée rendue en 1980, mais qu’il y a toutefois place à des ajustements quant à la façon d’établir l’existence ou l’absence d’une augmentation de valeur de la participation inscrite à l’actif de la société mère. Outre qu’il n’y a pas lieu selon elle d’exclure le recours à la méthode patrimoniale, elle considère que dans la mesure où il s’agit d’apprécier l’existence d’une variation de la valeur des titres au bilan de la société mère, il n’y a pas non plus lieu d’exclure, par principe, les méthodes d’évaluation de la valeur globale de la filiale, fondées sur l’anticipation des profits futurs pour l’actionnaire – par opposition à la méthode patrimoniale fondée sur l’addition de la valeur des biens composant l’actif. Elle rappelle en effet que tant l’une que l’autre de ces approches sont, aujourd’hui, communément utilisées par les praticiens, et par l’administration fiscale lorsqu’il s’agit pour elle d’apprécier si un actif a été comptabilisé à sa juste valeur lors de son entrée ou de sa sortie du patrimoine de la société.
Terminons en rappelant que dans le régime actuel, la déduction des abandons de créances à caractère financier est réservée aux situations où elles sont consenties à une entreprise en difficulté placée sous une des procédures visées au 2e alinéa de l’article 39, 13 du CGI. Ces aides sont alors déductibles à hauteur de la situation nette négative de l’entreprise qui en bénéficie et, pour le montant excédant cette situation nette négative, à proportion des participations détenues par d’autres personnes que l’entreprise qui consent les aides. Si la transposition de la solution rendue dans la décision Ixcore n’est pas évidente, dès lors que l’article 39, 13 du CGI se réfère à la « situation nette négative » de la société aidée, on remarquera que la Rapporteure publique penche en faveur d’une telle transposition dans ses conclusions. Elle relève ainsi qu’en 2012, « le législateur ne s’est pas interrogé quant à la pertinence de la prééminence d’une approche comptable sur une approche économique, puisqu’il s’agissait simplement, pour lui, de ménager une dérogation limitée à une nouvelle mesure anti-abus de portée générale, dont l’objet était d’empêcher la remontée des pertes de filiales étrangères via la déduction des aides financières ».
- Etat de suivi des subventions indirectes consenties au sein du groupe intégré
L’autre aspect de la décision Ixcore concerne les conséquences du non-respect, par la société mère d’un groupe intégré, de l’obligation de suivi des abandons de créances et subventions intragroupe. On se souvient en effet que pour la détermination des résultats des exercices ouverts avant le 1er janvier 2019, ces aides intragroupe étaient neutralisées pour la détermination du résultat d’ensemble. L’article 223 B du CGI prévoyait alors que la société mère devait joindre à la déclaration du résultat d’ensemble de chaque exercice un état de ces abandons de créances et subventions non retenus pour la détermination du résultat d’ensemble. Cette obligation (désormais codifiée à l’article 223 Q du CGI) demeure dans le régime actuel pour le suivi des abandons de créances et subventions intragroupe neutralisés antérieurement à 2019. Le défaut de production de cet état, ou son caractère inexact ou incomplet, entraîne l’application de l’amende prévue à l’article 1763 du CGI, égale à 5 % des sommes omises (taux ramené à 1 % lorsqu’elles sont déductibles du résultat propre de la société aidante).
Dans l’affaire que nous envisageons, l’administration avait réintégré au résultat de la société intégrante la différence entre le montant des services qu’elle avait fournis à ses filiales et le prix de revient de ces prestations, considérant que la rémunération réclamée aux filiales était insuffisante. Devant la cour administrative d’appel, la société intégrante soutenait que ces minorations de recettes étaient constitutives de subventions indirectes, et devaient donc être neutralisées pour la détermination du résultat d’ensemble. Mais la cour a refusé la qualification de subventions indirectes – et donc leur neutralisation – au motif qu’en ne produisant pas l’état des abandons de créances ou subventions (tableau n° 2058-SG), la société Ixcore ne lui a pas permis de s’assurer que les filiales concernées faisaient bien partie du groupe intégré.
Là encore, le Conseil d’Etat considère que la cour a commis une erreur de droit. Il rappelle d’abord l’objet de l’état des abandons de créances ou subventions intragroupe, énoncé pour la première fois dans une décision de 2014 : il s’agit de permettre à l’administration de suivre les mouvements financiers à l’intérieur du groupe, même si ces mouvements sont sans incidence tant sur le résultat des sociétés du groupe déterminé dans les conditions de droit commun que sur le résultat d’ensemble. Le Conseil d’Etat ajoute ensuite de manière inédite que si la méconnaissance de l’obligation déclarative par la société intégrante l’expose à une amende, elle ne fait pas obstacle à la neutralisation des abandons de créances ou des subventions consenties entre sociétés du même groupe.
L’arrêt de la cour administrative d’appel est donc annulé et l’affaire lui est renvoyée.
Article paru dans Option Finance le 13/09/2022
Auteurs
Amélie Nithart, fiscaliste