Accident du travail et télétravail : précisions sur l’application de la présomption d’imputabilité

26 juillet 2023
Dans deux arrêts des 4 mai (1) et 15 juin 2023 (2), les cours d’appel de Saint-Denis de la Réunion et d’Amiens se sont prononcées sur l’application de la présomption du caractère professionnel de l’accident qui s’est déroulé alors que le salarié était en télétravail.
Ces deux décisions donnent un premier aperçu de l’application de l’article L.1222-9 du Code du travail.
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La présomption d’imputabilité des accidents en télétravail
Le télétravail a connu un essor important ces dernières années en raison de la Covid-19 mais aussi dans un objectif de réduction des coûts et de modification des modes de travail.
Le télétravail a également fait son entrée dans le Code du travail par l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 qui a introduit une section sur le sujet.
Plus précisément, l’article L.1222-9 du Code du travail prévoit d’une part que «le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise» et, d’autre part, que «l’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravail est présumé être un accident du travail au sens de l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale».
Pour rappel, selon l’article L.411-1 du Code de la sécurité sociale, «est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail».
Quant à l’Accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020, celui-ci prévoit que «le télétravail étant une modalité d’exécution du contrat de travail, la présomption d’imputabilité relative aux accidents du travail s’applique également en cas de télétravail. Malgré les difficultés de mise en œuvre pratique, c’est ce que prévoit explicitement le Code du travail».
Se pose alors la question de l’appréciation de ces conditions permettant aux salariés de bénéficier de la présomption d’imputabilité dans un contexte où, le salarié ne se trouvant pas dans les locaux de l’entreprise, il est difficile d’apprécier la matérialité des faits. Les arrêts rendus par la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion et la cour d’appel d’Amiens en donnent un premier aperçu.
Les précisions sur les critères d’application de la présomption
Dans la première espèce, un salarié avait commencé à télétravailler à 8h30. Après avoir entendu un bruit de choc à l’extérieur de son domicile et la connexion internet s’étant interrompue, le salarié s’est rendu sur la voie publique et a discuté avec le chauffeur du camion qui venait de heurter le poteau téléphonique. Un second véhicule ayant tiré sur les câbles distendus, le poteau est tombé, heurtant le salarié.
Selon la caisse de sécurité sociale, le salarié ne se trouvait plus sur son lieu de travail lors de la survenance de l’accident de sorte qu’il ne pouvait pas bénéficier de la présomption d’imputabilité.
De son côté, le salarié soutenait qu’il avait quitté son domicile notamment afin de comprendre l’origine de la panne informatique pour les besoins de son activité professionnelle.
La cour d’appel considère pour sa part qu’en sortant de son domicile, le salarié a interrompu son travail. Elle souligne également qu’il a cessé sa mission pour un motif personnel car il n’était soumis à aucune obligation de la part de son employeur de trouver l’origine de la panne ou de renseigner l’opérateur téléphonique.
Ainsi, la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion considère que l’accident n’est pas survenu sur le lieu de travail de sorte que la présomption d’imputabilité n’est pas applicable.
Dans le second arrêt, l’accident se serait produit à 16h02 alors que la salariée remontait les escaliers de son sous-sol aménagé en bureau.
Néanmoins la Cour relève que les horaires de travail de la salariée était ce jour-là les suivants : 7h30-12h22 puis 12h53 à 16h01.
A ce titre, elle déduit que la chute de la salariée s’est produite alors qu’elle avait terminé sa journée de travail.
En effet, la Cour énonce que le temps de travail correspond au temps «badgé», or la salariée avait effectué son pointage de déconnexion à 16h01. Ainsi, elle n’était plus, au moment de sa chute, sous la subordination de l’employeur.
La Cour d’appel considère donc que la présomption d’imputabilité ne s’applique pas et qu’il revient à la victime d’apporter la preuve :
-
- de la matérialité du fait accidentel,
-
- de sa survenance par le fait ou à l’occasion du travail,
-
- du lien de causalité entre les lésions et le fait accidentel.
De ces arrêts il est donc possible de déduire deux éléments :
-
- s’agissant du temps de travail, lorsque le salarié est en télétravail et qu’il est soumis à des horaires de travail, il convient de s’intéresser aux horaires de badgeage ;
-
- lorsque le salarié quitte son poste de travail pour un motif personnel sans lien avec les obligations qu’il a envers l’employeur, alors l’accident n’est pas survenu sur le lieu de travail et ce, même s’il existe un lien entre la raison pour laquelle le salarié a cessé son activité et l’accident.
Un sujet entrainant des réflexions et nécessitant des précisions
Même s’ils ont le mérite de construire le régime juridique du télétravail, ces deux arrêts soulèvent toutefois plusieurs sujets de réflexion et interrogations.
D’abord s’agissant du temps de travail. En effet, si ces arrêts apportent des précisions sur la détermination du temps de travail du salarié dont le temps de travail est décompté en heures, que se passe-t-il lorsque le salarié est soumis à une convention de forfait en jours et n’est donc pas soumis à un horaire de travail précis ?
Par ailleurs, s’agissant du lieu de travail, quels sont les contours du lieu de travail. Il semblerait que la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion privilégie une appréciation très stricte de la notion.
Il est également possible d’effectuer un comparatif avec les accidents de mission pour lesquels il est considéré que l’accident a un caractère professionnel dès lors que le salarié agit dans le cadre de sa mission pour l’employeur, peu important qu’il s’agisse d’un acte professionnel ou d’un acte de la vie courante (3).
De même, on peut se demander si la chute dans l’escalier à l’issue de la journée de travail pourrait être qualifiée d’accident de trajet.
De plus, en présence d’une présomption d’imputabilité, on peut se demander comment l’employeur pourrait renverser une telle présomption dans la mesure où il n’est pas sur place avec le salarié.
La généralisation du télétravail crée un changement de paradigme qui conduit d’ailleurs à une réflexion européenne sur la question des accidents du travail en situation de télétravail. Dans ce cadre, une étude a été réalisée par Eurogip (4) sur les pratiques dans sept pays européens : Allemagne, Autriche, Espagne, Finlande, Italie, Suède et France.
Cette étude ainsi que les arrêts rendus récemment démontrent que la question des accidents survenus alors que le salarié est en télétravail pose de réelles difficultés d’interprétation et qu’une transposition des règles existantes n’est pas toujours évidente. Il sera intéressant d’étudier les précisions à venir de la Cour de cassation sur le sujet.
AUTEURS
Caroline FROGER-MICHON, Avocate associée, CMS Francis Lefebvre Avocats
Elisa VIGNIER, Juriste, CMS Francis Lefebvre Avocats
(1) Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, 4 mai 2023, n°22/00884
(2) Cour d’appel d’Amiens, 15 juin 2023, n°22/00474
(3) Cass. soc, 20 septembre 2005, n°04-30.332
(4) Télétravail et accident de travail dans sept pays européen, mars 2023, Eurogip
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