Accord de mobilité interne et licenciement pour motif économique autonome
5 mai 2021
Dans un arrêt du 2 décembre 2020, la chambre sociale de la Cour de cassation précise, pour la première fois, que le licenciement d’un salarié qui a refusé l’application d’un ancien accord de mobilité interne (AMI) repose sur un motif économique autonome, c’est-à-dire différent de ceux définis par l’article L.1233-3 du Code du travail. Les juges doivent néanmoins vérifier que ces licenciements reposent sur une cause réelle et sérieuse en suivant la méthodologie indiquée par la Haute juridiction et qui apparait transposable aux actuels accord de performance collective (APC).
Rappel des faits
En l’espèce, à la suite de l’annonce par la société France Télécom de sa décision de ne pas renouveler un contrat avec la société Ineo Infracom, celle-ci a recherché des affectations pour les salariés qui étaient affectés à ce marché sur des secteurs géographiques plus actifs.
Un AMI[1] a ainsi été conclu au sein de la société. Dans ce cadre les salariés qui étaient affectés au marché qui venait d’être perdu ont reçu plusieurs propositions de postes.
A la suite du refus des postes ainsi proposés, les salariés concernés ont été licenciés pour motif économique, conformément aux dispositions de l’article L.2242-23 du Code du travail dans sa version en vigueur au moment des faits (c’est-à-dire un licenciement qui repose sur un motif économique prononcé selon les modalités d’un licenciement individuel pour motif économique, quel que soit le nombre de salariés concernés).
Les salariés ainsi licenciés ont contesté la validité de leur licenciement en soutenant que ce dernier devait être reconnu nul en l’absence de plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) et à tout le moins dénué de cause réelle et sérieuse.
Dans le cadre du pourvoi en cassation, la Haute juridiction devait déterminer (i) si l’AMI était valide et (ii) si, corrélativement, les licenciements qui en découlaient reposaient bien sur une cause réelle et sérieuse.
L’appréciation de la validité d’un accord de mobilité interne
Les AMI permettaient de largement favoriser, voire d’imposer, aux salariés une mobilité géographique ou professionnelle. En effet, la signature d’un tel accord faisait échec aux clauses contraires des contrats de travail des salariés concernés tout en leur garantissant des niveaux de rémunération et de classification professionnelle équivalents et le maintien ou l’amélioration de leur qualification professionnelle.
Néanmoins, le Code du travail imposait expressément que les accords de mobilité s’inscrivent dans le cadre de mesures collectives d’organisation courantes de l’entreprise sans projet de réduction d’effectifs[2].
Les salariés mettaient en avant qu’un AMI conclu à la suite de la perte d’un marché entrainant la fermeture d’un site à Nîmes, qui avait engendré plus de 10 refus de mutation, s’inscrivait nécessairement dans un projet de réduction d’effectifs. Selon eux, l’employeur avait ainsi procédé à la suppression de plus de 80 postes de travail sur le site de Nîmes.
Toutefois, leur argumentation n’est pas suivie par la Cour de cassation qui valide l’analyse de la Cour d’appel ayant constaté que l’accord[3] avait pour objectif d’apporter des solutions pérennes d’organisation de l’entreprise confrontée à des pertes de marchés sur des territoires géographiques peu actifs, si bien que cette réorganisation constituait une mesure collective d’organisation courante même si les mesures envisagées entraînaient la suppression de certains postes et la réaffectation des salariés concernés sur d’autres postes.
Les juges prennent ainsi en compte la situation concrète de la société pour laquelle la perte de marchés faisait partie de son fonctionnement habituel. Ils opèrent également clairement une distinction entre suppression de postes et réduction des effectifs (des suppressions de postes peuvent ne pas entraîner de réduction des effectifs lorsque les salariés concernés sont repositionnés sur d’autres postes en interne).
De ce point de vue-là, la décision commentée est dans la droite ligne de la décision qui avait été précédemment rendue par la Cour de cassation dans le cadre d’une réorganisation d’une direction commerciale[4].
L’accord de mobilité de la société est donc validé.
La cause des licenciements des salariés qui refusent l’application de l’accord de mobilité interne
L’alinéa 4 de l’article L.2242-23 du Code du travail prévoyait que lorsqu’un ou plusieurs salariés refusaient l’application à des dispositions de l’AMI, leur licenciement reposait sur un motif économique[5] qui était prononcé selon les modalités d’un licenciement individuel pour motif économique.
De manière inédite, la Cour de cassation vient préciser que le motif économique du licenciement prononcé dans un tel contexte est autonome des motifs économiques énumérés à l’article L.1233-3 du Code du travail. Autrement dit, la modification proposée ne doit pas obligatoirement être justifiée par des difficultés économiques, des mutations technologiques, une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou une cessation complète de l’activité de l’employeur. Ce faisant, le juge vient parer la difficulté liée à la dichotomie des licenciements en droit français : un licenciement est en effet, prononcé soit pour un motif personnel inhérent au salarié, soit pour un motif économique[6] défini à l’article susvisé.
Cette précision n’est pas inutile dans la mesure où l’article L. 2242-23 du Code du travail précisait à l’époque que l’employeur qui souhaitait proposer une mesure de mobilité prévue par l’accord devait respecter la procédure prévue à l’article L. 1222-6 du Code du travail. Or, ce dernier article organise la procédure de modification du contrat de travail pour motif économique qui est proposée en application de l’article L. 1233-3 du Code du travail (c’est-à-dire par référence à l’article donnant la définition du motif économique).
Par ailleurs, le Code énonçait clairement qu’en cas de refus du salarié, leur licenciement reposait sur un motif économique sans aucune précision alors qu’il aurait pu être indiqué qu’il s’agissait d’un licenciement pour motif économique sui generis.
Néanmoins, il sera relevé que le législateur avait pris le soin d’insérer les dispositions sur les accords sur la mobilité interne dans le livre du Code du travail sur la négociation collective et l’ANI du 11 janvier 2013 mentionnait pour sa part que : « le refus par un salarié d’une modification de son contrat proposée dans les conditions définies au présent article n’entraine pas son licenciement pour motif économique. »
Bien que le motif des licenciements économiques soit dans cette hypothèse autonome, il doit reposer sur une cause réelle et sérieuse qui est contrôlée par le juge. La Cour de cassation donne dès lors une sorte de « mode d’emploi » aux juges pour vérifier ce point. Ces derniers doivent ainsi s’assurer que l’accord est :
-
- conforme aux articles L. 2242-21 et suivants du Code du travail c’est-à-dire que l’accord respecte les dispositions légales sur les accords de mobilité interne. Dans la note explicative de l’arrêt, la Cour de cassation précise que cette exigence se situe dans la droite ligne de la jurisprudence qui avait été rendue sur les accords de réduction du temps de travail[7],
-
- et justifié par les nécessités du fonctionnement de l’entreprise conformément aux articles 4, 9.1 et 9.2 de la Convention internationale du travail n°158 qui est d’application directe en droit interne
Dans cette affaire, l’accord est jugé conforme et sa justification n’est pas remise en cause donc les licenciements prononcés sont justifiés.
Un arrêt pertinent en matière d’accord de performance collective ?
Les AMI ont disparu au profit des APC[8]. Désormais un salarié qui refuserait la modification de son contrat de travail en application d’un tel accord peut être licencié pour « un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement ».
Il ne fait pas de doute qu’au regard de la rédaction du texte, le licenciement reposerait là aussi sur un motif autonome et ne devrait pas être justifié par un motif économique tel que prévu par l’article L. 1233-3 du Code du travail.
Mais le licenciement intervenant dans le cadre d’un APC est-il ipso facto justifié par une cause réelle et sérieuse ?
Il n’est pas exclu, à la lecture de cet arrêt, estampillé « PBRI » et donc destiné à une large diffusion, qu’en cas de litige le juge garde, à cet égard, un réel pouvoir d’appréciation. Il devra en effet, sans doute dans la même logique que cette décision, vérifier que l’accord remplit l’ensemble des conditions posées par la loi[9] ce qui reviendra entre autres à vérifier que l’accord est justifié par les nécessités liées au fonctionnement ou en vue de préserver ou développer l’emploi de l’entreprise ainsi que cela est notamment prévu par l’alinéa 1 de l’article L. 2254-2 du Code du travail.
En ce sens, le Conseil Constitutionnel a rappelé que « le fait que la loi ait réputé le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse n’interdit pas au salarié de contester ce licenciement devant le juge afin que ce dernier examine si les conditions prévues aux §III à V de l’article L. 2254-2 du Code du travail sont réunies » et que « la pertinence des motifs ayant justifié l’accord peut être contestée devant le juge ».
Il est donc essentiel de bien rédiger en particulier le préambule de l’accord car celui-ci ne semble pas priver totalement un salarié de son droit de contester son licenciement dans ce cadre.
[1] Dispositif mis en place par l’ANI du 11 janvier 2013 qui a été codifié par la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 aux articles L.2242-21 et suivants du Code du travail puis aux articles L.2242-17 et suivants du Code du travail en application de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi. Ce dispositif a été abrogé par l’ordonnance n°2017-1385 du 22 septembre 2017 au profit de l’APC.
[2] Article L. 2242-21 du Code du travail dans sa version alors applicable
[3] Le préambule de l’accord indiquait en l’espèce qu’il était apparu aux partenaires sociaux que le nouveau dispositif légal pouvait répondre aux contraintes de fonctionnement inhérentes à l’activité courante de la société confrontée aux effets induits par les pertes de marché sur des territoires géographiques peu actifs, que le but était de faire de la mobilité interne dans l’entreprise un instrument négocié de manière responsable afin de mettre en place des mesures collectives d’organisation du travail et d’évolution des salariés en dehors de tout projet de réduction d’effectifs en garantissant un poste à chaque salarié, que du fait de la baisse constante des activités associées aux contrats de sous-traitance rompus, il était nécessaire de faire évoluer les ressources humaines et techniques […].
[4] Cass. Soc. 11 décembre 2019, n°18-13.599
[5] La qualification des licenciements prononcés dans ce contexte a fait l’objet de nombreux débats au cours des discussions du texte tant devant l’Assemblée Nationale que le Sénat. Initialement, l’ANI du 11 janvier 2013 prévoyait qu’il s’agissait d’un licenciement pour motif personnel.
[6] Les licenciements sui generis ont pu être reconnus de manière très ponctuelle.
[7] Cass. Soc. 23 septembre 2009, n° 07-44.712
[8] Article L. 2254-2 du Code du travail
[9] Conseil Constitutionnel, 27 mars 2018, n° 2018-761. Cf. dans le même sens, la question n°7 du Q/R sur l’APC de juillet 2020 publié sur le site du Ministère du Travail.
Article paru dans Les Echos le 05/05/2021
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