Actionnaires activistes ou actionnaires actifs ?
Longtemps regardé comme un phénomène anglo-saxon, l’activisme actionnarial s’est progressivement développé partout en Europe et notamment en France. Il s’agit de fonds spéculatifs (hedge funds) qui, par une prise de participation dans une société, exercent une certaine influence : infléchir la stratégie, restructurer l’entreprise par voie de cession d’actifs, modifier la gouvernance (en demandant souvent un siège au conseil), revoir la politique de distribution de dividendes, contester les termes d’une opération de fusion ou d’acquisition, etc.
On dénombre aujourd’hui une douzaine de grands fonds activistes particulièrement présents en Europe (Guy Wiser-Pratte, The Children Investment Fund, Elliott, Centaurus, Parus, etc.) qui prennent des participations dans les sociétés avant de réclamer des changements de manage¬ment, de stratégie ou d’allocation d’actifs.
En parallèle, on constate un nombre croissant d’actionnaires qui, sans être nécessairement activistes, sont dits actifs, car soucieux d’exercer leurs droits.
Il est vrai qu’en France, les actionnaires disposent d’un double droit à l’information : de manière permanente et surtout préalablement à toute assemblée générale afin de disposer de l’ensemble des éléments utiles pour exercer au mieux leurs prérogatives.
Au-delà de ce droit à l’information, les actionnaires peuvent également se faire entendre lors des assemblées générales. Ainsi, tout actionnaire, quelle que soit la fraction du capital qu’il détient, peut préalablement à sa tenue ou lors de l’assemblée générale questionner le conseil. Il peut s’agir de questions écrites auxquelles la société répondra pendant l’assemblée ou préalablement en faisant figurer la réponse sur son site Internet dans une rubrique dédiée. Mais l’actionnaire peut également choisir d’interpeller le management ou le conseil pendant la séance des « questions-réponses » de l’assemblée générale où la détention d’une seule action est suffisante pour qu’il puisse poser toutes les questions qu’il souhaite.
De plus, lorsque l’actionnaire détient un pourcentage minimal (5% pour les sociétés dont le capital est supérieur à 750 000 euros mais seulement 0,5% pour les sociétés dont le capital est supérieur à 15 millions d’euros) il peut déposer un point ou un projet de résolution.
Ces actionnaires « actifs » ont conduit les sociétés à engager un véritable dialogue avec leurs principaux actionnaires tout au long de l’année sans se limiter aux quelques semaines précédant l’assemblée générale. Ainsi, depuis quelques années toutes les résolutions proposées par les sociétés ne sont plus systématiquement adoptées ou parfois avec des résultats particulièrement faibles.
En effet, les actionnaires se prononcent de plus en plus en assemblée et n’hésitent pas à contester et à s’opposer à certaines résolutions, y compris celles concernant la nomination de certains administrateurs. Ceci dans un contexte où leurs prérogatives s’accroissent, notamment avec l’introduction en France ces dernières années du vote sur la rémunération des dirigeants mandataires sociaux : le Say on Pay.
Tout d’abord consultatif, en 2018 celui-ci sera doublement contraignant : vote ex ante sur la politique de rémunération puis vote ex post sur la rémunération versée au titre de l’exercice précédent. Les rémunérations variables et exceptionnelles ne pourront d’ailleurs être versées aux dirigeants qu’après avoir été approuvées en assemblée générale.
Face à ces actionnaires actifs et attentifs, outre la nécessité d’une réflexion continue autour de la gouvernance de la société et de l’optimisation de ses performances, il appartient donc aux sociétés cotées d’anticiper les éventuelles actions activistes en entretenant une discussion ouverte avec leurs actionnaires minoritaires comme avec les agences de conseils en vote dont l’influence ne doit pas être sous-estimée.
Auteurs
Véronique Bruneau Bayard, avocat, Corporate/Fusions & acquistions
Louis-Nicolas Ricard, Professional Support Lawyer